L'art de Pinocchio

Une démocratie d’opinions tue la démocratie des idées

Mais tout se sera résorbé, le cinq septembre. Les nez ne seront plus proéminents, et les oreilles se seront atrophiées pour quatre ans…

Tribune libre

La campagne vient à peine de débuter que le débat s’inscrit – comme à l’habitude – dans le régionalisme le plus éthéré. Certes, je ne m’attendrai pas à entendre une citation de Gaston Miron, de Jacques Ferron ou encore de Lord Durham.
Je sais très bien que cette campagne électorale – quand on n’est pas en guerre, la campagne est toujours décevante et les forces en présence cherchent toujours à s’écarter des rangs pour profiter de l’été – ne sera pas à la hauteur de mes aspirations intellectuelles. Autant cultiver son jardin.
Cela dit, le débat entre intellectuels – ou entre philosophes – n’a jamais eu sa place en politique. Pourquoi? Parce que le peuple seul décide de sa destinée. Et que celle-ci est tributaire – du moins, dans une société démocratique – de la « volonté » du plus grand nombre. Quand on doit tenir compte des idées de tous – même ceux qui n’en ont pas mais qui « les » proposent –, on s’étonne du piètre résultat qu’on obtient et de l’immobilisme qui en résulte.
Donner la parole à tout le monde, c’est aplatir la réflexion et annihiler l’action. Il faut parfois accepter de se taire et ne pas « donner » (« l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas, à qui n’en veut pas », Jacques Lacan) son opinion à tout vent.
J’avoue ne pas aimer le ton de Jean Charest. Son style, ses airs. C’est une bête médiatique qui ne doit ressembler en rien à l’homme intime. Dans le monde de la domination de l’image, les personnages (car ce sont vraiment des personnages de théâtre) politiques sont manipulés par l’opinion (qui se traduit la plupart du temps en intentions de vote) créée par les boîtes de marketing et de communication. Je n’ai rien contre le marché, l’échange et le dialogue. Mais quand ils sont formatés, segmentés, disséqués et recrachés d’une manière lénifiante, je me détourne pour respirer. Mais tous n’ont pas cette chance de vivre en ermite, d’observer le monde et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Parlons de Pauline Marois. Une femme aguerrie, formatée à la politique québécoise du vingtième siècle. Une femme dont le poids politique est indéniable. Et pourtant, Madame Marois s’est enlisée dans un siècle qu’elle ne veut pas quitter. Pourquoi n’a-t-elle pas tendu la main à Québec Solidaire, à Option Nationale, au Parti Vert? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à regrouper les Québécois sous un élan libérateur, hors du néolibéralisme (j’emploie ce mot avec précaution) du vingtième siècle? Les peuples ne sont pas des marchandises (le sont-ils?) et le monde actuel court à sa perte en continuant à jouer la carte de la compétition. Pourquoi ne sommes-nous pas aussi grands que nous le permet notre condition? Peut-être parce que nous avons été conditionnés à ne penser qu’en terme de succès, de réussite et que nous croyons fermement que le dépassement ne concerne que notre for intérieur individuel. Nous faisons fausse route et nous découvrirons bientôt le poids de la solitude dans un monde atomisé, son effroyable prix.
Qu’en est-il de François Legault? Comptable agréé de formation, Monsieur Legault a réussi dans les affaires et a rapidement cru que l’état pouvait être géré comme une PME! C’est la grave erreur que font ceux qui ne réfléchissent pas aux mécanismes de leurs succès. La complexité de l’état est à la mesure de celle de ses citoyens. Nous connaissons la rengaine. L’état providence coûte cher. Mais son coût n’est pas qu’une simple « opération » comptable. L’état a des devoirs : Celui de protéger les citoyens les plus faibles. Celui d’une justice, une et commune. Celui d’offrir à ses citoyens une vie remplie de libertés individuelles dans un cadre collectif. Difficile tâche qui ne s’apparente en rien à la conception managériale d’une entreprise néolibérale ne s’interrogeant pas sur sa finalité. Le sens critique du libéralisme actuel est tout simplement absent du modèle. Il ne me semble pas que celui proposé par Monsieur Legault – celui d’une gestion axée uniquement sur les résultats – soit propice à l’émergence d’une société nouvelle. Copier ce qui s’est fait dans le passé, notamment au vingtième siècle, sans en examiner les aspects les plus haïssables (« la solution finale »), ne me semble pas une idée très structurante. Reste la question de l’identité nationale. Monsieur Legault se contente d’une fédération qui méprise la langue et les institutions de la majorité québécoise, de langue française. Il ne sert en rien le désir profond d’un peuple qui se cherche et a besoin d’une « voie » rassembleuse, sa langue : « Je n’ai pas besoin de parler français, mais j’ai besoin du français pour parler. »
Peut-on parler de Françoise David? Qui est-elle? Femme du peuple, Madame David tente de manière noble – étrange paradoxe – d’aborder la politique autrement. Cherche-t-elle à défendre l’autre? C’est ce qu’elle prétend. Pourtant, dans l’histoire du débat des chefs – spectacle inintéressant et contre-productif sur le plan de l’échange, compte tenu que le tout est organisé par les médias qui contrôlent les séquences, formatent les échanges et coupent dans le réel pour y inclure une bonne dose de fiction, notre nouvelle réalité –, Québec Solidaire n’a jamais défendu la liberté de débattre au nom des plus faibles. Étrangeté s’il en est une, en pensant à la mission de Québec Solidaire. Je cite Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites. Mais je me battrai pour que vous puissiez le dire. » Il est vrai qu’on est à des années-lumière des… Lumières! Quand la réalité ne nous plaît pas, on change de chaîne. Mieux, on l’efface! Simple et conforme au monde que l’on crée.
Je ne parlerai pas de Jean-Martin Aussant. N’ayant jamais écouté l’une de ses interventions. Il semble proposer autre chose. Une souveraineté immédiate. Sur ce sujet, je dois lui donner raison. Nous devons être souverains. Mais une question me vient à l’esprit. Être souverain, qu’est-ce que c’est, dans un monde en perpétuelle compétition (si ce n’est en perpétuelle guerre)? Dans un Québec souverain, allons-nous favoriser la taxation des entreprises et désavantager les particuliers afin de créer de l’emploi? Ne pouvons-nous pas dès maintenant réfléchir (sans nécessairement nous ruer sur des solutions qui nous éviteraient de penser à plus long terme) à ce que sera demain, dans un monde fragilisé par notre mégalomanie?
Le Parti Vert, au Québec, a beau jeu. Il n’existe pas virtuellement et son temps de parole se limite – dans les médias traditionnels – à un rôle de figuration pour faire croire aux citoyens que l’environnement est important, au Québec. On n’exploitera pas les gaz de schiste. On ne transformera pas l’Île d’Anticosti en fromage gruyère et on ne segmentera plus les rivières – même si les développements hydroélectriques des quarante dernières années nous ont offert une qualité de vie sans précédent quoique, dans le troc, l’affront fait aux communautés autochtones les a tellement stigmatisées qu’elles font dorénavant partie inhérente du folklore québécois, ce qui est, selon moi, un échec retentissant – pour développer notre expertise d’ingénierie quand il serait plus beau, parfois, de méditer sur les douceurs de la nature et ne pas les transformer entièrement à notre image. Pourquoi ne parlera-t-on pas d’environnement, durant cette campagne? C’est une prédiction. Il en sera très peu question!
Je demeurerai dans ma seigneurie, le temps de cette campagne. Je serai aux aguets, intrigué par ces bêtes politiciennes à qui on voit, soudainement, pousser des oreilles, et parfois un nez!
Mais tout se sera résorbé, le cinq septembre. Les nez ne seront plus proéminents, et les oreilles se seront atrophiées pour quatre ans…
Peut-être n’entendrons-nous alors que la voix de la rue, celle qui n’acceptera jamais le débat sans engagement, celle qui portera toujours en elle le réel message de la souffrance et de la liberté.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 août 2012

    /...Je demeurerai dans ma seigneurie, le temps de cette campagne. Je serai aux aguets, intrigué par ces bêtes politiciennes à qui on voit, soudainement, pousser des oreilles, et parfois un nez !
    Mais tout se sera résorbé, le cinq septembre. Les nez ne seront plus proéminents, et les oreilles se seront atrophiées pour quatre ans.
    Peut-être n’entendrons-nous alors que la voix de la rue, celle qui n’acceptera jamais le débat sans engagement, celle qui portera toujours en elle le réel message de la souffrance et de la liberté.../
    La démocratie version oligarque n’est pas plus unitaire que celle du peuple, entre prédateurs, entre dictateurs, ils se font la guerre, les alliances sont instables, de plus, de par leur nature, ils prennent même la tête des groupes sociaux qui s’opposent à l’oligarchie, ce sont des fieffés menteurs, visage à deux faces, à trois, à quatre…, à travers des pseudo-partis du peuple, où ils tentent d’endormir, de ralentir, les aspirations même des peuples qui les ont mandatés justement pour actualiser leurs besoins, les porter, les installer, à travers leur gouvernance, alors, bien au contraire, il détourne cette démocratie, la travestisse, la retourne à l’envers, et s’en serve pour faire avancer leurs propres intérêts, toujours à l’encontre de celui des peuples qu’ils soi-disant représentent.
    La démocratie à plusieurs têtes, et l’oligarchie coupe toute tête qui n’est pas alignée avec leur expansion planétaire, et l’installation d’un gouvernement mondial, où l’intérêt ne sera pas celle des peuples de la terre, mais bien celle des intérêts des soi-disant élites mondiales qui se placent elles-mêmes au-dessus des peuples ; car les peuples selon leur croyance millénaire sont incapables de s’occuper d’eux-mêmes, alors nous nous en occupons qu’ils nous disent !
    Maintenant, quel est la porte de sortie de cette mascarade ? Sûrement pas en luttant contre eux de front, car cela les nourrit, mais bien en réfutant ce pouvoir hégémonique pour soi d’abord, en refusant de l’alimenter, d’y participer ; en prenant nos distances, du moins, au niveau d’un autre point de vue, même si notre corps, lui, continue d’y participer, tout en sachant que nous sommes bien plus que ce corps, qui lui retournera à la terre un jour ou l’autre, alors nous saisissons que nous ne sommes pas ce corps, de par notre point de vue derrière ce scénario nous saisissons que cela n’est qu’un théâtre dont nous jouons encore à l’acteur sans nous prendre au sérieux dans ce jeu d’acteur, qui n’est qu’un jeu, ni plus ni moins, qui pour nous maintenant, n’est rien d’autres qu’une farce monumentale ; en fait nous jouons encore pour un temps, sans réellement jouer, nous pouvons même y prendre plaisirs, nous jouons sans jouer, nous sommes acteurs sans être réellement acteur, nous nous plaçons de par notre nouveau point de vue au-dessus de cette mascarade. La lutte des classes, de ce qu’ils appellent les classes, ne se fera jamais par l’opposition, le combat, la lutte, elle se fera par le refus des peuples de poursuivre sur cette voie que nous trace pour le futur cette oligarchie, en nous plaçant au-delà de la mêlée, derrière ce jeu, derrière ce théâtre, qui n’est qu’un jeu, où encore hier, nous étions pris par ce jeu, où ce jeu nous possédait, mais aujourd’hui, nous réalisons que nous ne sommes aucunement ce jeu, ni ce théâtre, ni cet acteur, ni ce corps ; nous sommes au-delà, libérés de cette illusion qui est la démocratie.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 août 2012


    /...Cela dit, le débat entre intellectuels – ou entre philosophes – n’a jamais eu sa place en politique. Pourquoi ? Parce que le peuple seul décide de sa destinée. Et que celle-ci est tributaire – du moins, dans une société démocratique – de la « volonté » du plus grand nombre. Quand on doit tenir compte des idées de tous – même ceux qui n’en ont pas mais qui « les » proposent –, on s’étonne du piètre résultat qu’on obtient et de l’immobilisme qui en résulte.
    Donner la parole à tout le monde, c’est aplatir la réflexion et annihiler l’action. Il faut parfois accepter de se taire et ne pas « donner » (« l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas, à qui n’en veut pas », Jacques Lacan) son opinion à tout vent.../
    La voie du peuple n’est unitaire qu’en apparence, très vite elle se fractionne, se divise, se fragmente à l’infini, où chacun dans cette ensemble conceptuelle à son opinion personnel de ce que devrait être la réalité ; cela conduit inévitablement au chaos à l’intérieur même de l’ensemble, qui se croyait unit, cela appartient à l’illusion d’une démocratie, qui ne sera toujours qu’une bête à plusieurs têtes. La présence, de par le monde, comme au Québec, dans la situation qui nous occupe, de la multitude croissante des partis politiques de toute acabit, et de toute nature, tiers-partis, partis de l’opposition, opposition de l’opposition, et opposition de l’opposition de l’opposition…, n’en sont que les projections, que les représentations extérieurs de ce que chaque homme intérieur conçoit comme le réel en fonction de ses croyances et de ses émotions, qui elles sont infinis ; chacun élabore sa stratégie, son point de vue, en fonction d’éléments toujours relatifs et personnels, qui diffère souvent, voir toujours, de celle son voisin et de l’ensemble, qui n’est qu’un tout artificiel sans cohérence aucune.
    L’oligarchie elle, l’a bien comprise, mais cela ne suffit pas, elle tente par tous les moyens d’imposer par la force et la manipulation son point de vue. L’un comme l’autre sont des illusions. L’intellectualisme, de droite ou de gauche, est aussi une limite, où chacun projette sa compréhension, sa vision personnelle, toujours à partir de son connu, sans pouvoir toucher ce qui appartiendrait à un inconnu, que l’intellect et la raison ne peuvent même approcher. Ce système appartient à la dualité, à la recherche d’un bien et à la fuite d’un mal, et chaque acteur est toujours placé en opposition par rapport à l’autre, chacun nourrit l’autre en le combattant, le bien de l’un n’est pas le bien de l’autre, et le mal de l’un n’est pas le mal de l’autre non plus, chacun y va de sa mécanique, et elle est sans fin; c’est une roue, un cercle vicieux, qui n’a pas de fin.
    Aujourd’hui, la machine s’emballe, s’enraye, bientôt elle déraillera, les esprits s’ouvrent, les chocs à l’âme se multiplient, il n’y a pas de solutions à cette lutte où chacun tire de son côté, il n’y a même pas d’équilibre à rechercher, à atteindre, elle sera toujours instable, temporaire, suivant les hommes qui prendront les rênes du pouvoir. Nous assistons à l’autodestruction de ce système, et il n’y a rien à faire pour l’empêcher, bien au contraire, nous devrions applaudir, car elle conduit à notre libération à tous, et il le fera seul sans notre aide. Cette vie est un grand théâtre où le scénario s’effrite, tellement il révèle cette mascarade grandiose cachée à nos esprits encore hier, mais à un moment donné, réalisant son insignifiance, chacun de nous bascule, d’une réalité dualitaire, à une réalité unitaire, où tout sera saisi à partir d’une autre réalité, d’un autre point de vue, d’acteurs nous passeront à celui d’observateurs, et puis l’absolu de sera pas loin. Le nouveau ne se construit pas à partir de l’ancien. La mort de l’ancien n’est grave qu’à travers les yeux de la bête économique qui nous habite, à partir d’un autre point de vue, nous assistons à notre libération ; de l’esclave d’un système de prédation, l’homme libéré naîtra sur une terre nouvelle, ici ou ailleurs. Nous sommes à l’aube d’un jour nouveau. Il ne faut pas s’inquiéter ! N’ayez pas peur !

  • Archives de Vigile Répondre

    5 août 2012

    "...les personnages (car ce sont vraiment des personnages de théâtre) politiques sont manipulés par l’opinion (qui se traduit la plupart du temps en intentions de vote) créée par les boîtes de marketing et de communication."
    Vous n'avez jamais cru si bien dire monsieur Meloche.
    Une campagne électorale est le summum de la politique-spectacle qui est notre politique habituelle au Québec. Car élire un gouvernement qui peut faire tout ce qui lui plaît pour quatre ans, ce n'est pas fort comme démocratie.
    Dans la vidéo qui suit, monsieur Étienne Chouard nous donne des pistes pour cheminer vers une véritable démocratie:
    http://www.youtube.com/watch?v=M2ADw7hZiT0