Le vendredi 7 décembre dernier, le journal Le Devoir ne consacrait qu’une seule ligne pour décrire le commentaire de la Fondation Rivières sur le feu vert donné par le ministère de la Culture du Québec concernant le projet de centrale à Val-Jalbert. Tous les lecteurs du Québec n’ont donc eu droit qu’à une vision tronquée de la réalité.
L’article mentionne que le MCCQ a tenu compte d’un avis favorable du Conseil du patrimoine du Québec avant de prendre sa décision.
Mais il faut savoir que le Conseil du patrimoine n’a pas, sur le fond, retenu l’argumentation légale présentée le 13 novembre, à Québec, par la Coalition pour la sauvegarde de la Ouiatchouan à Val-Jalbert.
Puisqu’elle fait partie de la Société d’Énergie Communautaire du Lac St-Jean (promoteur du projet de petite centrale avec la MRC Maria-Chapdelaine et le Conseil des Montagnais de la communauté de Masteuiash), la MRC Domaine-Du-Roy est en flagrant conflit d’intérêts.
La Loi sur le Patrimoine culturel du Québec, entrée en vigueur le 19 octobre 2012 remplace la Loi sur les Biens culturels adoptée en 1996. Elle vient changer les paradigmes traditionnels en matière de protection et de valorisation du patrimoine auxquels nous étions habitués depuis des décennies.
Elle concerne aussi directement la décision que vient de rendre le ministère de la Culture et des Communications dans le dossier Val-Jalbert.
Selon l’article publié, « Québec ne voit aucune menace » pour le Village historique, la rivière et la chute Ouiatchouan, tous compris dans le « site protégé ». Dans sa réponse, le MCCQ confirme aussi que « la partie de la rivière Ouiatchouan qui sera exploitée est incluse dans le périmètre patrimonial ».
Les spécificités propres au village de Val-Jalbert, village fantôme devenu attrait touristique international et un village modèle, berceau de l’architecture moderne et de la forme urbaine au Saguenay-Lac-Saint-Jean, lui ont valu d’être classé site patrimonial d’intérêt national en vertu de la Loi sur les biens culturels, en 1996, justement pour protéger le site de projets de centrale comme celui qui a été refusé en 1994.
Ce qui fut alors considéré comme étant «patrimoine » était un ensemble de 94 bâtiments et vestiges. On y recensait aussi des équipements mécaniques et hydrauliques, un site archéologique préhistorique et des infrastructures de services.
Ces éléments font partie du Répertoire des biens culturels du Québec et du Répertoire canadien des lieux patrimoniaux qui dressent une description du site, en plus d’identifier ce qui doit être conservé et protégé pour assurer la pérennité de l’identité du site.
Il est pourtant logique de croire que ce qui justifie le fait que Val-Jalbert soit un site si exceptionnel au plan historique est dû précisément à la présence de la chute Ouiatchouan elle-même et de son interrelation avec des éléments humains. Comment alors expliquer l’absence d’un statut de protection pour la chute ?
Nous pouvons expliquer que l’idée d’intégrer la chute dans l’inventaire des éléments patrimoniaux à être classés ne pouvait pas alors être envisagée, car la Loi sur les biens culturels en vigueur à l’époque ne le permettait pas.
Nouveau contexte législatif
Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec, la nouvelle loi vise à « favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine culturel, reflet de l’identité d’une société, dans l’intérêt public et dans une perspective de développement durable».
Les deux principes de « l’intérêt public » et du « développement durable» sont fondamentaux et militent pour une plus grande appropriation, par l’ensemble de la collectivité, des diverses composantes du patrimoine québécois.
Cette loi vise à moderniser le droit en tenant compte de l’évolution de la notion de patrimoine culturel.
Elle définit le patrimoine culturel comme englobant non seulement les documents, immeubles, objets et sites patrimoniaux, mais également les paysages culturels patrimoniaux. La nouvelle loi est ce qu’on appelle une loi d’ordre public, c’est-à-dire à l’avantage de l’ensemble de la population, au-delà des intérêts privés.
L’article 2 de la loi définit comme « paysage culturel patrimonial » :
Tout territoire reconnu par une collectivité pour ses caractéristiques paysagères remarquables résultant de l’interrelation de facteurs naturels et humains qui méritent d’être conservées et, le cas échéant, mises en valeur en raison de leur intérêt historique, emblématique ou identitaire.
Une définition qui colle parfaitement au paysage de la chute Ouiatchouan au site de Val-Jalbert.
Malheureusement, dans la conclusion de leur rapport, les commissaires du BAPE ont donné leur appui au projet de construction de la centrale, malgré une forte opposition citoyenne durant les audiences publiques. Mais ils ajoutent un bémol important :
« La reconnaissance patrimoniale du site impose cependant des contraintes d’intégration et d’harmonisation des infrastructures. Aussi les mesures proposées seraient acceptables pour préserver le caractère patrimonial, mais devraient obtenir au préalable l’autorisation du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine ».
Dans leur conclusion, les commissaires se sont référés aux seuls éléments du patrimoine bâti que sont les infrastructures, les biens immobiliers, alors que le législateur élargit maintenant clairement la portée de la préservation souhaitée.
En se limitant, lui aussi, aux éléments patrimoniaux régis par l’ancienne loi, le ministère de la Culture ne tient pas compte de la "révolution culturelle" qu’il veut lui-même implanter avec sa nouvelle loi. Le champ est désormais libre pour s’attaquer physiquement au principal élément qui fait du site un paysage culturel patrimonial: la chute. Nous avons souligné au Conseil du patrimoine qu’en se collant à l’avis des commissaires du BAPE, le ministre commettrait une grave erreur.
En outre, la loi oblige le demandeur, une MRC, d’une désignation de statut de « paysage culturel patrimonial » (selon les critères qui pourraient s’appliquer à la chute Ouiatchouan, en vertu de l’article 2 de la Loi), à consulter la collectivité concernée.
Le MCCQ parle d’une « approche participative ascendante », basée sur TOUS les acteurs concernés. Les citoyens sont concernés.
En octobre dernier, lors d’une rencontre mouvementée, Bernard Généreux, le préfet de la MRC Domaine-du-Roy a refusé à des citoyens l’idée même de présenter une demande de désignation de ce nouveau statut.Il a sauvagement levé l’assemblée en invoquant un « dialogue de sourds »…
La loi, dite d’ »intérêt public », fut dès lors violée dans son esprit. Ce qui est un non-sens.
Demander une révision du statut patrimonial équivaudrait, il est vrai, pour la MRC à donner la possibilité aux opposants de faire avorter le projet de petite centrale. Si le projet de centrale va de l’avant, les citoyens ne pourront plus demander ce nouveau statut patrimonial pour la chute, par le biais de la MRC, car l’intégrité physique de celle-ci aura été irrémédiablement attaquée par le barrage souhaité par la même MRC.
Lors de notre présentation, le Conseil du patrimoine se disait neutre. Mais il cautionne maintenant des anomalies contenues dans la loi. Nous lui avons démontré ces anomalies. Il ne nous prend pas au sérieux. Les Québécois risquent d'assiter maintenant à un vol patrimonial et au saccage inutile d’une rivière et d’une chute magnifiques. Le ministre de la Culture, Maka Kotto, devrait maintenant avoir honte.
Pierre Leclerc
Fondation Rivières
Val-Jalbert
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