Un marocain révolutionnaire, à sa manière..!

Puisqu'on parle beaucoup de révolution de nos jours, je vous présente un compatriote! Un révolutionnaire à sa manière.

Géopolitique — Afrique du Nord

Puisqu'on parle beaucoup de révolution de nos jours, je vous présente un compatriote! Un révolutionnaire à sa manière.

Il y a de cela très longtemps, au Maroc, au cœur des années de plomb, cet homme a fait sa révolution, tranquille, discrète, presque anonyme, mais néanmoins une véritable révolution. Durant presque 40 ans, il était caissier d'une banque. Le jour, il comptait des chiffres. Le soir et la fin de semaine, il changeait le monde en étant artiste-peintre, danseur, chorégraphe et poète. Aujourd'hui, un peu partout dans le monde, des marocains comme moi, lui doivent leur épanouissement, leur ouverture sur la modernité et sur le monde.

Le point culminant de sa révolution fut le FRAT. Le Foyer de recherche artistique et théâtrale qu'il fonda en 1968 avec la collaboration d'une grande Dame, Nina Baldoui (la générosité en personne). Grâce à elle et son local-studio, juste à côté de l'hôtel Hassan à Rabat, des centaines de jeunes marocains, garçons et filles, ont été initiés à la danse classique par notre révolutionnaire. À travers le royaume, ces jeunes ont laissé des traces de leur art, avec des spectacles inspirés de plusieurs styles, du classique, du modernes et évidemment de notre patrimoine folklorique (Poèmes de sud).

Dans une période qu'on qualifie aujourd'hui de plomb, cet homme avait semé le sens de la beauté et de la grâce dans la tête d'une jeunesse marocaine douée sans le savoir pour l'art. À sa manière, notre révolutionnaire faisait de l'éducation populaire. Il le faisait bénévolement. Très souvent, il dépensait de ses poches les frais des déplacements, des costumes et des décors.

Aujourd'hui, j'ai deux frères en Allemagne. Tous les deux ont mené une carrière exemplaire en tant que danseurs professionnels. L'un à l'Opéra d'Essen, l'autre à l'Opéra de Berlin. C'est au FRAT, avec notre révolutionnaire, qu'ils ont été initiés à la danse classique sans savoir qu'un jour ils en feraient un métier. Je peux citer des dizaine d'autres exemples. Ceux comme moi qui n'ont pas donné suite à la danse et au théâtre, doivent à leur passage au FRAT d'avoir découvert en eux-mêmes la part lumineuse.

Le Roi Hassan II avait assisté à un spectacle de danse dont notre révolutionnaire était le metteur en scène au début des années 70 au théâtre Mohamed V. Il a été le chorégraphe pour d'autres spectacles nationaux dont celui d'un Opéra présenté à la grande porte de Chellah. Pour célébrer la fête de la jeunesse de 1979, le spectacle ''De l'obscurité à la lumière'' a connu la participation de quelques 300 jeunes issus des orphelinats du Maroc. Dans cette aventure qui a demandé des mois de préparation, ce n'est pas le spectacle à grand déploiement qui était le plus important. Ce sont les heures de préparation et de discussion avec tous ces jeunes, venus de plusieurs villes.

Pour tous ces jeunes marocains, cet homme n'avait rien du modèle d'autorité auquel ils étaient habitués dans leurs orphelinats. Entre deux cours de danses, entre deux répétitions, les jeunes retrouvaient en lui l'éducateur et le confident. Celui avec qui ils pouvaient parler librement. Parler de danse, de musique et parler aussi de leurs rêves, leurs projets et de leurs questions existentielles. Pour plusieurs jeunes, cette bouffée de liberté, cette initiation à la culture ont été un moment fondateur, un moment déterminant dans leur vie.

’La marche verte’’.

Notre révolutionnaire s'appelle Hamid Kiran. Aujourd'hui, à 75 ans, il a aussi derrière lui une vie de peintre. Depuis 60 ans, il peint encore, chaque jour. C'est l'un des très grands et des plus prolifiques que le Maroc ait connu. Il est cependant encore mal connu de ses compatriotes. Sur la marche verte, il a peint une œuvre magistrale. En 1975, pendant des mois, notre télévision nationale ouvrait l'antenne avec l'image de ses mains tendues vers le ciel, entourées d'un chapelet. Un jour Hamid a eu l'idée de l'offrir au Roi Hassan II. Il est passé par le Ministre de la Culture de l'époque. Il n'a jamais reçu ni du palais, ni du ministre, un accusé de réception. Un grand tableau sur une grande marche existe quelque part au Maroc, mais on ne sait pas où!

Bientôt un musée national ouvrira ses portes à Rabat regroupant les grands peintres marocains. Ce qui m'afflige est de savoir qu'aucun tableau de Hamid Kiran n'a été choisi comme œuvre permanente du musée. Ses œuvres ont pourtant sillonné le royaume (Aussi en France, en Irak et en Espagne). Son style est unique. Par sa mère espagnol, Hamid Kiran personnifie la double culture arabo-européenne. Cela saute aux yeux! Dans sa technique, dans ses thèmes, dans ses inspirations. Dans le choix des couleurs et des formes. Regardez sa fresque du hammam, regardez la lumière à travers les goûtes d'eau. Sa peinture brille. Certains la qualifie de prophétique.

Je constate avec tristesse que plusieurs parmi les meilleurs du Maroc sont laissés à l'écart. Hamid Kiran est certainement un des meilleurs hommes que le Maroc ait produit après son indépendance autant par son œuvre picturale que par sa contribution à la danse au Maroc. Je ne lui connais qu'un défaut, Il n'est pas homme d'affaire. Il ne sait pas se vendre. Il ne sait faire partie d'une clique. Un défaut qui ajoute à sa grandeur et à son honneur. Je trouve néanmoins inacceptable que son œuvre picturale passe inaperçue. Hamid Kiran est résolument un révolutionnaire marocain. C'est un crime que de l'exclure de notre patrimoine national.

En marge de l'évènement du 20 février, j'ai entendu beaucoup de voix appeler à la construction du progrès du Maroc et son développement. Je suis certain que le Maroc saura se distinguer en faisant sa propre révolution. Je crois que faire sortir de l'ombre ce grand marocain, alors qu'il est encore en vie, est aussi une belle façon de contribuer au développement et au dialogue dans notre pays. Contribuez à la révolution en reconnaissant les gestes et les actions révolutionnaires de nos compatriotes.

Mohamed Lotfi
Journaliste et réalisateur radio.
Montréal.

Un texte sur Hamid Kiran http://www.maghress.com/fr/lematin/56015

PS: Ceux et celles qui aimeraient entrer en contact personnellement avec Hamid Kiran (Il serait heureux de vous recevoir), écrivez-moi personnellement, je vous donnerais ses coordonnées. anonymes dQ5 gmail.com

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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