''Avant, les marocains avaient peur de Hassan II, aujourd'hui, ils ont peur pour Mohammed VI''. Cette phrase d'un parlementaire marocain, illustre un changement d'époque et une évolution des rapports entre les marocains et leur monarchie. Elle affirme néanmoins que la peur est toujours là! Sinon comment expliquer l'obsession de milliers de marocains sur facebook qui multiplient les appels pour boycotter la manifestation du 20 février..?
Certains opposants à cette marche emploient des mots d'une violence inouïe. D'autres accusent les organisateurs de la manif de traîtres et font circuler leurs photos comme si c'était des dangereux criminels recherchés. Un des opposants à la marche a même osé écrire en arabe : ‘’Oui je vais sortir le 20 février pour marcher, je vais apporter mon bâton et je vais me joindre aux forces de l’ordre pour taper sur les traitres’’. Une autre page sur Facebook porte ce titre décourageant ‘’Nous casserons la tête à ceux qui osent défier le Maroc’’.
On croirait que le Maroc est séparé entre les pro-20 et les anti-20. Chaque groupe prétend aimer son pays mieux que l’autre. Chacun se considère meilleur patriote que l’autre. Apparemment, aucun leader au Maroc n’est capable de calmer les esprits. J’ai envie de crier, y’a-t-il un Nelson Mandela dans la salle..? Voilà une situation ironique ou les bonnes intentions des uns et des autres risquent de nous mener tout droit à l’enfer.
Force est de constater que dans la ‘’révolution’’ facebookienne, la sagesse et la nuance brillent par leur absence. En parcourant les centaines de commentaires sur la tenue de la marche du 20 février, j’entends une voix chuchoter entre les mots, ‘’Vous êtes avec nous ou contre nous’’. Ça ne vous rappelle pas un certain Georges Bush qui a fait de la peur son arme redoutable pour diviser le monde.
Dans ces commentaires, certains justifient leur peur en prétendant que ça ne sert à rien de manifester, que ça ne réglera pas tous les problèmes comme par magie, qu'au lendemain de la manif, la corruption continuera, que ce n'est pas bon pour le tourisme, qu'il ne faut pas donner l'impression au monde que le Maroc c'est la Tunisie ou l'Égypte, que nous n'avons pas besoin de singer les autres, que notre révolution est entamée depuis déjà 20 ans.. etc.
Mais toutes ces raisons perdent leur poids devant un droit. Le droit de manifester n'est-il pas un moyen parmi tant d'autre pour construire une démocratie ? Empêcher un tel droit ne constitue pas un danger plus grand que celui d'une marche pacifique ? Empêcher un tel droit n'aurait-il pas pour conséquence une radicalisation des positions des uns et des autres ?
Il est malhonnête d'associer tous les manifestants du 20 février à des manipulateurs, des excités et des ennemis du Maroc. Leurs revendications pour réduire les inégalités, pour les réformes sociales, pour rendre la justice plus indépendante, sont fondées et c’est notre devoir de les entendre.
Par ailleurs, la question la plus importance qui s’impose dans les circonstances est la suivante : Multiplier les appels pour boycotter la marche du 20 février ne serait pas une erreur de stratégie et de principe..?
Erreur de principe: Comment prétendre que le Maroc se démocratise si par ailleurs, ceux-là même qui louangent les progrès du Maroc, multiplient les appels pour boycotter un droit légitime ? Un droit inscrit dans la constitution marocaine. Une manifestation pacifique, sans violence et sans arrestations, dans un pays émergent comme le Maroc, ne serait pas un petit pas vers cette démocratie que nous appelons tous de nos vœux ?
Erreur de stratégie: Ce qui ferait l'affaire de l'ennemi marocain, ne serait-il pas de voir les marocains divisés ? De les voir se haïr, se lancer des insultes. De les voir faire éclater l'union et la stabilité qui caractérise leur pays ? Vouloir à tout prix empêcher une manif risque de la transformer en une émeute, en une intifada. Des marocains lançant des pierres à d'autres marocains, voilà ce qui pourrait semer les graines d'une guerre civile. Ce qui est pour l'instant une guerre virtuelle, quel marocain voudrait la voir passer au réel..?
Qu'on soit pour ou contre la tenue d'une manifestation ce 20 février au Maroc, elle aura lieu de toute façon. Je constate que ses détracteurs, à force de vouloir l'empêcher, il lui donne une ampleur qu'elle n'avait peut-être pas au départ. Le monde sera rivé sur le Maroc ce dimanche. Soyez plutôt bons joueurs. Surprenez les adversaires! Faîtes votre propre marche, avec vos propres slogans le 21. Et que chacun respecte la marche de l’autre.
Montrez au monde entier, y compris à ces manipulateurs et ennemis présumés du Maroc, comment notre pays n'est pas justement la Tunisie ni l'Égypte. Que chez-nous il est possible de manifester librement! Que ceux qui attendent voir une télé réalité de chaos et de désolation soient déçus. Montrez au monde que même dans l'adversité, nous demeurons unis. Que nous sommes arrivés à un point de maturité et de civisme dont on peut être fier. Si le Maroc devait suivre le mouvement de révoltes comme en Tunisie ou en Égypte, il n'aurait pas attendu la programmation d'une date ni la permission des autorités.
Cet appel au boycott trahit une peur qui me fait peur. Sur quoi est-elle fondée ? Sur notre fragilité ? Sur notre manque de confiance ? Ou sur notre manque de savoir faire démocratique ? J'ose espérer que cette peur est passagère. Il serait trop facile de détruire ce que les marocains essayent de construire depuis 1956. Nous avons l’occasion de donner des forces à notre démocratie naissante. Donner la parole à ceux qui n’ont pas la même opinion que nous, ne fait-il pas partie de l’apprentissage démocratique ?
Je retiens de la vidéo des organisateurs de la manif du 20 la parole de cette femme d'âge mur. Elle aurait pu être ma mère, ma tante ou ma vieille voisine. Il dit simplement : ''Si on plus d'être victime d'injustice, je ne peux pas marcher pacifiquement pour protester! C'est trop''. La seule manipulation dont cette dame pourrait être victime c’est de l’empêcher de marcher.
Je répète, voilà une situation ironique ou les bonnes intentions des uns et des autres risquent de nous mener tout droit à l’enfer. À votre avis, à qui cela profitera t-il ? Il est temps qu’on s’en rende compte avant qu’il ne soit trop tard. Je propose de répondre à une marche pacifique par une autre marche pacifique. De répondre au 20 par le 21. C’est notre démocratie qui en sortira gagnante.
Puisque certains monarchistes prétendent que le régime monarchique marocain est assez solide pourquoi jeter le doute sur sa force et ses capacités d’écoute..?
C'est le quatrième billet que je rédige en une semaine sur le Maroc, essayant humblement d’observer et d’analyser la situation marocaine. Ma ligne directrice c'est un effort de lucidité et de vigilance! Notre Maroc mérite que notre amour lui soit rendu avec intelligence! À nous de savoir reconnaître et respecter la manière de chacun d'exprimer cet amour.
Dans un précédent texte, j'affirmais qu'à partir de mon ''confort démocratique'' québécois, je ne me sentais pas la légitimité de dicter à tout un peuple marocain comment devrait-il faire sa révolution, encore moins comment organiser son débat! Mais là, face à ce concert de bruits, face à ce dialogue de sourds, divisant des concitoyens qui ont en commun l'amour de leur pays, j'ai envie de proposer une voix. Celle de Saïda Fikri!
Une chanteuse marocaine issue du peuple qui n'a chanté que pour lui et très souvent avec lui. Ils étaient 30 mille marocains au Mawazine de 2007 venus de plusieurs villes et villages pour l'entendre chanter Zmane Naga, Jbal Errif, Liam et Misiria.. C'est cette dernière chanson que je vous invite vivement à écouter et à méditer. Cliquez et écoutez: http://www.saidafikri.net/video/

Cette chanson dénonce sans détour l'injustice et la corruption. Elle aurait été bannie au Maroc des années 70 et 80. Aujourd'hui, Saïda la chante dans ses tournées en chœur avec le peuple. En présence des forces de l'ordre. Sans peur et sans regret! Une véritable bouffée d'air pour un peuple encore assoiffé de liberté et d’un profond désir de marcher.
Chaque marche du peuple marocain est un petit pas! Vaux mieux des petits pas vers la démocratie qu'un grand pas vers le chaos.

Mohamed Lotfi
Journaliste et réalisateur radio.
anonymes fC2 gmail.com