Un gouvernement fidèle au Québec à Québec

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« Il annonce, en d’autres mots, sa rupture avec le multiculturalisme canadien qui est une machine à nous dissoudre comme peuple »

C’est presque une tradition: se moquer des premiers pas d’un gouvernement, qui peine à s’installer aux affaires, en constatant qu’il était bien moins préparé au pouvoir qu’il ne le croyait. Le gouvernement Legault n’y échappe pas. On s’amuse de l’incompétence manifeste et hallucinante de la nouvelle ministre de l’Environnement ou des récriminations de Claire Samson, qui n’a pas eu le ministère auquel elle croyait avoir droit. La critique est légitime, même si elle s’accompagne d’un peu de mauvaise foi : le gouvernement n’est pas encore pleinement engagé dans l’action alors on le mordille comme on peut.


Pourtant, quelque chose d’important s’est passé au Québec il y a un mois. Nous n’avons pas seulement changé un gouvernement pour un autre. Nous n’avons pas seulement non plus changé de cycle politique en nous extrayant d’une certaine conception de la question nationale qui nous enfonçait dans l’impuissance collective. Nous avons surtout remplacé un gouvernement canadien systématiquement déloyal envers le peuple québécois et qui œuvrait à sa normalisation dans le système fédéral par un gouvernement dont la fidélité au Québec est manifeste, et qu’on ne peut suspecter de travailler contre nos intérêts nationaux. Un ami me le disait ainsi le lendemain du 1eroctobre: «ce sera bizarre d’être gouverné par des gens qui ne méprisent pas le peuple québécois». Certes, le nationalisme caquiste est trop souvent tiède, et souvent empêtré dans ses contradictions, comme on l’a vu ces dernières années, mais nul ne doute de sa claire inscription sous la référence québécoise.


On le sent à plusieurs indices. D’abord, le gouvernement Legault a envoyé le signal qu’il entendait prendre au sérieux le malaise identitaire québécois et assumer le désir de réaffirmation de la majorité historique francophone qui s’exprime de bien des manières depuis des années en agissant rapidement sur le terrain de la laïcité. Il annonce, en d’autres mots, sa rupture avec le multiculturalisme canadien qui est une machine à nous dissoudre comme peuple. Ensuite, François Legault a voulu inscrire la formation de son gouvernement dans la continuité historique de René Lévesque, en lui empruntant une des déclarations les plus célèbres de l’histoire du nationalisme québécois. Enfin, en remplissant les cabinets ministériels de souverainistes déclarés. Certes, on ne doutera pas de leur fidélité à leur nouveau parti et de leur ralliement à son agenda autonomiste, mais on peut croire qu’ils ne se sont pas tous intimement reniés et qu’au fond d’eux-mêmes, l’aspiration à une pleine existence nationale n’est pas complètement éteinte.


Je ne m’imagine pas un instant que François Legault a un plan secret pour faire la souveraineté.  C’est aux indépendantistes à faire vivre l’idée d’indépendance, en ce moment, et à se reconstruire en cessant d’en avoir honte. Ce sera une longue entreprise. Mais chez les nationalistes, le mot se passe: si jamais ce gouvernement, malgré ses ambitions réformatrices modérées, est entrainé dans une crise avec Ottawa qui ramène la question nationale au centre du jeu, il n’est pas certain qu’il s’aplatira – plus encore, il sera connecté non pas sur le réflexe de censure identitaire qui caractérise les fédéralistes radicaux mais bien sur l’instinct national, qui ne se réveille au Québec que lorsque notre droit fondamental à l’existence est nié par le Canada. Et une telle crise est à prévoir, si le gouvernement s’engage vraiment, comme il l’a annoncé, sur le terrain de la laïcité.  En d’autres mots, un nouveau champ de possibles vient de s’ouvrir au Québec, et il faut être d’un fatalisme extrême pour décréter que rien n’en sortira.