Sous le regard du géant

Un banc de titres vides

En prime, un retour sur les causes d’une défaite douloureuse

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La force du destin

Quelle cérémonie, mes aïeux, quelle cérémonie ! Une solennité, une sobriété, une classe dans la plus grande et la plus belle tradition de nos racines et de notre culture ! Une cérémonie à l’image de ce que nous sommes dans le plus profond de nous-mêmes et qu’on voudrait nous voir diluer dans ce que sont les autres. Chassez le naturel, il revient au galop et nous en met plein la vue.

Dans l’éditorial que je signais à l’annonce du décès de Jacques Parizeau la semaine dernière, j’écrivais « Il était déjà plus grand que nature de son vivant », et j’invitais les lecteurs à comparer son oeuvre avec celles des premiers ministres qui lui survivent.

Hier, dans l’austère et élégant décor de l’église Saint-Germain d’Outremont qui avait pour moi valeur particulière de symbole pour y avoir fait ma première communion en 1954, je distinguais plusieurs rangées devant moi (protocole exige), les têtes de Pierre-Marc Johnson, Daniel Johnson fils, Lucien Bouchard, Bernard Landry, Jean Charest, Pauline Marois et Philippe Couillard. Et j’essayais de me mettre à leur place après avoir entendu le rappel des réalisations de cet homme qui fut leur collègue et à qui l’on rendait un aussi vibrant hommage.

Ils devaient se sentir bien petits. Et sans doute se demandaient-ils tous, en leur for intérieur, ce que l’histoire retiendrait de leur passage comme premiers ministres. J’avais beau me creuser les méninges et fouiller les derniers recoins de ma mémoire, je ne trouvais rien, ou si peu.

Pauline Marois s’en tire moins mal que les autres pour avoir eu au moins le double mérite d'avoir mis fin au scandale des pensions alimentaires impayées en instituant un régime de prélèvement à la source, et d'avoir mis sur pied les centres de la petite enfance.

Quant aux autres, l'un d'entre eux, Charest, est sous enquête de l'UPAC, et les autres n’ont rien d’autre à afficher que d’avoir occupé la charge et avoir de ce seul fait droit au titre. Aucune réalisation digne de ce nom ! Beaucoup de bruit pour rien, aurait dit Shakespeare. Much ado about nothing. Des usurpateurs... J’en avais froid dans le dos. Parizeau, lui, survivra dans la mémoire des Québécois, et il le mérite largement.

On retiendra des témoignages celui du premier ministre actuel, Philippe Couillard, qui n’a pu s’empêcher de verser dans la partisanerie en contrastant le respect montré à Jacques Parizeau avec l’absence de respect qui marque trop souvent les débats à l’Assemblée Nationale. Il ne semble pas avoir encore compris que le respect n’est acquis à personne, et surtout pas à un politicien, fut-il premier ministre. Le respect se mérite, et sur ce plan, il lui reste bien des croûtes à manger.

La surprise de l’événement, et elle était totalement inattendue, allait éclater dans l’hommage du recteur Guy Breton de l’Université de Montréal, cette institution à laquelle Jacques Parizeau a tant donné de sa personne. Après avoir rappelé les grandes réalisations de Jacques Parizeau en expliquant combien elles avaient propulsé le Québec dans la modernité, il fut le seul à signaler qu’elles avaient mis la table pour l’indépendance du Québec et qu’il appartenait maintenant aux Québécois de s’en saisir... ou non. Parizeau, lui, avait fait ce qu’il fallait pour qu'ils le fassent, et pouvait avoir la conscience du devoir bien accompli.

Aucun parcours humain n’est jamais sans faute, et Jacques Parizeau était humain. Il en a donc commis quelques-unes qui n’enlèvent rien à ses réalisations tant elles sont éclatantes. De ces mauvais coups, on retiendra le fiasco de la Société nationale de l’amiante (SNA), une nationalisation effectuée alors que la ressource était en fin de cycle d’utilisation pour les dommages qu’elle causait à la santé des travailleurs et usagers, la stratégie des études référendaires dont je fis les frais et qui n’auraient jamais dû être réalisées par le gouvernement, et ses paroles malheureuses le soir du référendum de 1995 lorsque, envahi par la déception de l’échec, il l’avait attribué au pouvoir de « l’argent et quelques votes ethniques ».

L’eût-il plus justement attribué à la collusion entre un régime fédéral aux abois en déficit profond de légitimité et certains intérêts particuliers que, comme le disait Blaise Pascal au sujet du nez de Cléopâtre s’il eût été plus court, son commentaire n’aurait fait aucune vague et la face du monde, ou à tout le moins celle du Québec, aurait pu en être changée.

Mais c’était en 1995, et nous sommes en 2015. Le passé n’est pas là pour qu’on s’y arrête, mais pour ce qu’il peut nous apprendre. Pour la suite des choses, il faut prendre acte de la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, après son décès.

Un homme est sorti de la cérémonie hier, la tête penchée vers le sol, le visage empreint de gravité. Mieux que quiconque, il mesurait ce qui venait de se produire.

Pour la deuxième fois de sa vie, il est appelé à chausser des bottes très grandes. La première fois, c’était pour prendre la succession de son père, Pierre Péladeau, un autre personnage plus grand que nature, à la tête de Québécor. Il a su se montrer à la hauteur. Et aujourd’hui, il doit chausser celles de Jacques Parizeau dans sa quête de souveraineté pour le Québec. La tâche est herculéenne, mais à la mesure de ses moyens et de ses ambitions.

Telle est la force du destin ! La forza del destino, pour reprendre les paroles et la musique de Giuseppe Verdi.

Que Dieu et les Québécois soient avec lui !


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7 commentaires

  • James A. Wilkins Répondre

    26 juin 2015

    J'apprécie Monsieur Le Hir de souligner la fameuse erreur de la création de la SNA. Ce qui a consolidé ma profonde admiration pour Jacques Parizeau a été de l'entendre à une émission radiophonique du dimanche matin à CKAC dire quelle foutue erreur il avait fait.
    D'entendre un politicien avouer aussi honnêtement et candidement une de ses erreurs l'a classé, pour moi, comme homme d'exception. Son intégrité intellectuelle était irréprochable. Ses sucesseurs ont de très grandes bottes à chausser!

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2015

    M. Le Hir, à titre d'info, il y a aussi Bruno Bisson à La Presse (voir votre éditorial).

  • Jos Guy Répondre

    12 juin 2015

    Petite nuance ce n'est pas « l’argent et quelques votes ethniques » mais bien: «l'argent et des votes ethniques».
    Merci.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 juin 2015

    M. LeHir, félicitations pour votre ténacité. Ignorant si les chefs de cabinet sont soumis aux règles du Juriconsulte. Je me permets de rêver à quelle belle équipe ferait Aussant, premier-ministre et PKP chef-de-cabinet.
    Octogénaire avancé,je ferais un effort pour durer et enfin voir éclore l'Indépendance

  • @ Richard Le Hir Répondre

    11 juin 2015

    Réponse @ Claude Thompson
    Si je n'ai pas parlé de Jean-Martin Aussant, c'est que son hommage correspondait à mes attentes et que je ne trouvais rien à y redire ou à rajouter. Quant à son retour éventuel, PKP lui a très clairement ouvert la porte hier.
    Si j'ai pris la peine de mentionner les moins bons coups de Jacques Parizeau, c'est qu'aucun parcours n'est parfait. Le sien a été excellent, et j'ai pris la peine de le souligner, mais il n'a pas été parfait.
    Le dernier homme à me reprocher ce rappel aurait été Jacques Parizeaqu lui-même. Nous avons tous les deux été formés à la même école rigoureuse et exigeante, celle du Collège Stanislas, où les notes étaient attribuées sur la base du coefficient de difficulté de l'exercice. Vous pouviez avoir tout bon et n'obtenir que la note de 15/20. Et lorsque l'exercice était très difficile, le maximum que vous pouviez obtenir, c'était 18/20. Un tel régime ne favorise guère la complaisance, et développe férocement l'esprit critique.
    Pensez-vous que si Pierre Péladeau n'avait pas vu à ce que son fils soit formé selon les mêmes méthodes, il serait là où il est ?
    Richard Le Hir

  • Claude G. Thompson Répondre

    10 juin 2015

    M. Le Hir.
    Je lis votre éditorial et je suis perplexe. Vous parlez avec raison des interventions du premier ministre Couillard et du recteur Breton, mais passez sous silence celle de M. Aussant, le dauphin de M. Parizeau, témoignage et hommage d’une hauteur, d’une profondeur et d’une authenticité du cœur comme on n’en a jamais entendu à propos d’un père de la nation québécoise.
    Pourquoi insister sur quelques « erreurs de parcours » ou de « mauvais coups » si ça n’enlève rien à ses réalisations tant elles sont éclatantes ? Votre oubli, s’il en est un, ou votre intention délibérée d’ignorer Jean-Martin Aussant sont quant à moi déshonorants et choquants.
    Comme plusieurs, je considère la présence de M. Aussant au côté de M. Péladeau, incontournable. Nous souhaitons de tout cœur qu’il se joigne à l’équipe du parti québécois et que tous ensemble, dans l’enthousiasme, la fierté et l’harmonie, nous menions à son terme notre démarche vers l’indépendance de notre nation et la naissance de notre pays.
    La seule force qui régisse le destin est celle de son acceptation, car celui qui l’accepte, il le porte, celui qui le refuse, il le traîne. Le destin des Québécois est d’avoir un pays bien à eux et cette destinée a porté des hommes comme René Lévesque et Jacques Parizeau, et bien d’autres avant eux. Bien d’autres après eux, dont nous sommes, sont portés par ce même destin qui nous amène à affirmer haut et fort que NOUS NE RENONCERONS JAMAIS.
    Claude G. Thompson

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juin 2015

    Il y a de l'espoir tout de même. Aussant mettra fin à l'exil et Duceppe revient. C'est ça de gagné 😊