Un autre héros

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Un épisode méconnu de notre histoire : la lutte des agriculteurs du lac St-Jean contre le capital anglophone

Dimanche dernier, comme la fête nationale nous invitait à célébrer nos héros, je me suis rendu à Métabetchouan, au Lac Saint-Jean.


On y inaugurait un buste d’Onésime Tremblay, fils de pionnier. Mon arrière-arrière-grand-père est bien connu chez nous pour avoir pris la défense des cultivateurs lésés lors du rehaussement du niveau du lac, en 1926.


Il fallait créer des emplois industriels pour freiner la fuite des Canadiens-français vers les États-Unis ou les grands centres surpeuplés. Les capitalistes américains lorgnaient le pouvoir hydraulique du lac Saint-Jean, qui deviendrait un immense réservoir d’eau une fois son embouchure fermée par un barrage.


Pour ce faire, on a inondé des milliers d’hectares des meilleures terres du Québec. La compagnie Duke-Price ne s’est pas limitée au niveau d’eau qu’elle devait respecter. On a menti à des colons qui ont acheté leur bien, alors même que l’on connaissait le sort qui lui serait réservé.


Ces gens, déjà pauvres, ont perdu des terres qu’ils avaient défrichées en suant sang et eau, puis on les a indemnisés à prix dérisoire, après que le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau les eut expropriés, au moyen d’une loi privée. Cet évènement est connu comme «la tragédie du lac Saint-Jean».


Privations et solidarité


Onésime Tremblay, lui-même affecté, prit la tête du comité de défense. On voulait d’abord ramener le lac à un niveau compatible avec les activités agricoles. Rapidement, le combat devint plutôt d’obtenir un remboursement des terres à leur juste valeur.


On contesta les règlements financiers, fixés par une commission contrôlée par la compagnie, jusqu’au Conseil privé de Londres. Taschereau se rendit lui-même en Angleterre pour supplier les lords de ne pas donner raison à ces paysans, sans quoi l’économie de la province serait littéralement détruite. Discours familier...


À la fin, Onésime perdit tout, dont ce qui restait de la terre familiale, cédée à son fils Raoul, mais placée en garantie pour financer les recours. Les Tremblay mirent huit ans à la racheter, à force de privations et de solidarité des gens de la paroisse.


Question de principe


Près de cent ans plus tard, Onésime Tremblay reste un personnage controversé. Les gens du Lac ne peuvent s’imaginer notre région sans le développement industriel que le barrage a permis.


En même temps, il est indéniable que les cultivateurs auraient dû être mieux traités, puis il y a quelque chose de profondément colonial et anachronique dans le fait que Rio Tinto soit aujourd’hui propriétaire des berges du lac – fortement menacées par l’érosion – et qu’elle décide toujours de son niveau. À l’occasion, la compagnie laisse entendre aux riverains qu’ils pourraient devoir payer pour continuer d’occuper des terres qui lui ont été littéralement données par des politiciens corrompus.


Dans ma famille, aussi, plusieurs ont un sentiment aigre-doux quand ils repensent à ce patriarche réputé ombrageux qui a mis ses enfants et ses petits-enfants dans la gêne pour un combat désespéré.


Qu’importe. Onésime Tremblay trône désormais dans le parc Maurice-Kirouac, à Métabetchouan. Le bronze est une œuvre de sa petite-fille Yvonne Tremblay-Gagnon, âgée de 86 ans. Son installation a été initiée par Denis Trottier, ancien député du comté voisin.


Grâce à eux, les générations futures débattront à leur tour du bien-fondé de l’action de ce héros bien de chez nous, qui nous rappelle que la poursuite du bien commun entraîne souvent un sacrifice individuel.


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Claude Villeneuve137 articles

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L’auteur est blogueur au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Il a été président du Comité national des jeunes du Parti Québécois de 2005 à 2006 et rédacteur des discours de la première ministre Pauline Marois de 2008 à 2014.