Le confinement avait fourni à François Bousquet l’occasion de se lancer dans un feuilleton rock’n’roll consacré à la « biopolitique du coronavirus ». Il vient d’en tirer un livre assorti d’une longue préface « programmatique ». Quelles leçons tirer de la pandémie de Covid-19 pour les pensées dissidentes ? Crier au complot ou y voir une opportunité politique ?
ÉLÉMENTS : Vous sortez aux éditions de la Nouvelle Librairie vos chroniques Biopolitique du coronavirus, agrémentées de propositions. À l’heure où la pandémie repart en France, a-t-elle été selon vous une bénédiction ou une malédiction ?
FRANÇOIS BOUSQUET. Une bénédiction, même si je n’ignore pas que le virus continue de sévir, qu’il tue, plus que le paludisme, moins que la pandémie d’obésité. On peut discuter indéfiniment de son taux de létalité. Comparé à de précédentes pandémies grippales, il est de faible intensité. Cela étant dit, ces comparaisons ont leurs limites : on n’avait jusqu’ici jamais confiné trois à quatre milliards d’individus. Or, c’est cela qui constitue la nouveauté majeure de l’épidémie : le confinement massif des populations, avec pour conséquence la mise à l’arrêt forcé de l’économie mondiale. Autrement dit, un minuscule agent pathogène, tueur furtif et modeste, a brisé un temps la folle dynamique du capitalisme mondial. Là où des guerres n’ont pas paralysé les échanges mondiaux, là où les contradictions internes du capitalisme, pour parler comme des marxistes, ont échoué à le renverser, la Covid-19 a réussi, certes très provisoirement. Hors des fous s’imaginant croître indéfiniment dans un monde clos, qui ne s’en réjouirait pas ? L’état d’épuisement d’une civilisation se juge au nombre de pathologies qu’elle suscite. Les nôtres sont légion. Tapez « symptôme » ou « syndrome » sur un quelconque moteur de recherche et vous verrez défiler un chapelet de pathologies, de bizarreries, d’anomalies dont la nomenclature est interminable. Ces pathologies résument à elles seules l’accélération foudroyante du changement des modes de vie induite par le capitalisme. En dix ans, les comportements ont plus changé qu’en un siècle. En cinquante ans, qu’en 2 000 ans. Et ceci allant s’accélérant. Jusqu’à où, jusqu’à quand ? Notre folie est-elle vouée à ne jamais rencontrer des limites ?
Devant l’urgence des périls, il faut faire avec ce qu’on a. Tout doit devenir opportunité si on veut arracher les pensées dissidentes du cycle de fatalité dans lequel elles se laissent trop aisément enfermer : fatalité de l’échec, fatalité de l’opposition à vie, fatalité de l’impuissance politique. Qui nous condamne à regarder le train du monde s’emballer depuis notre Aventin intellectuel. Que faire – et comment le faire –, pour parler comme Lénine ou Tchernychevski ? Je n’ai pas la réponse. Mais on ne sortira pas des cercles vicieux de l’échec politique si on ne quitte pas notre Mur des Lamentations, si on ne produit pas un discours positif, offensif, conquérant, si on n’ouvre pas des perspectives pour notre temps, au lieu de les boucher systématiquement. Les failles, les accidents, les pannes font partie de cet « imprévu dans l’histoire » que guettait Dominique Venner. Donnez-moi un levier et je soulèverai l’immonde – pour remettre le monde dans son axe. Ce levier peut être la Covid-19.
ÉLÉMENTS : Entre le titre et le sous-titre de votre livre, on ne sait plus où vous situer ? Alors Foucault ou Pétain ?
FRANÇOIS BOUSQUET. Ni l’un ni l’autre. Ce rapprochement ne gênera d’ailleurs que les foucaldiens. Aujourd’hui les saintes nitouches sortent principalement de leurs rangs. Voyez comment les disciples du « pape » de la déconstruction ont édifié un mausolée autour de sa personne, comment ils vénèrent ses reliques et livrent son œuvre à une exégèse échevelée. Putain de saint Foucault, n’est-ce pas ! Tout ce qui pourra écorner l’icône sulpicienne du Collège de France et des Cultural Studies est bon à prendre. S’il y a une statue à renverser, c’est celle-là.
Ce qui séduit chez Foucault, c’est sa capacité à formuler des concepts un peu abscons chargés de mystère et d’inintelligibilité. La biopolitique en fait partie. Elle postule que la modernité a conféré aux corps une importance qu’ils n’avaient pas dans l’ancien temps. Hier, ce qui comptait, du moins au regard du christianisme, c’était la vie après la mort. Aujourd’hui, c’est la vie avant la mort : le bien-être corporel, la quête d’épanouissement, l’aspiration au bonheur et à la santé. Par exemple, l’idéologie du développement personnel ne se conçoit que dans le cadre conceptuel de la biopolitique. De même du confinement. C’est parce que les hommes ont alloué à la vie humaine un prix qu’elle n’a jamais eu jusque-là, traduit par notre idéal de longévité statistique (79 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes), qu’ils ont consenti, sinon même désiré et devancé le confinement. Désormais, la préservation de la vie compte tellement qu’on est paradoxalement disposé à la sacrifier en s’enfermant si ce sacrifice permet de la prolonger.
ÉLÉMENTS : Vous plaidez pour une réappropriation de l’écologie. La biopolitique se confondrait-elle avec l’écologie ?
FRANÇOIS BOUSQUET. Elle se confond avec l’écologie humaine assurément, qui est le grand impensé de l’écologie politique. Les Verts ont politisé l’écologie pour en faire une succursale de l’internationalisme, quelque chose de moralement confortable, d’économiquement rentable et de philosophiquement intenable. En gros, voir la Terre comme un conservatoire et l’humanité comme un laboratoire. Autrement dit, la Terre est muséale et l’humanité expérimentale. Les hommes pourront être trans, génétiquement modifiés, livrés à la chimie hormonale, mais pas les graines de soja ou les pandas. Franchement, comment prendre au sérieux ces gens ? Nous seuls, qui plaidons pour une écologie intégrale, sommes conséquents. L’écologie doit se confondre pour nous avec une politique des espèces et des espaces, faisant la part belle à la diversité des hommes, des langues, des cultures, des ethnies. Démondialisation, relocalisation, remigration, réenracinement, réaffiliation. Cette rétropréfixation marque un retour aux sources de notre identité que nous n’aurions jamais dû délaisser. Qui d’autres que nous est susceptible d’offrir une alternative cohérente, exhaustive, pertinente ? Les contradictions idéologiques de nos adversaires sont insurmontables, pas les nôtres.