Sortir de la bulle

08c73fce3db65b80afdab391a90d21fa

Les souverainistes ne sont plus en prise sur le Québec réel





Un jour, j’ai compris que je vivais dans une bulle. Dans ma bulle, tout le monde est souverainiste, ou à peu près. Évidemment, il y a des exceptions. Mais justement, ce sont des exceptions. Mes amis et moi, nous ne nous contentons pas de répondre Oui aux sondeurs quand ils nous demandent comment nous voterions lors d’un prochain référendum. Nous parlons de l’indépendance quotidiennement. C’est la grande cause qui éclaire nos vies. Dans nos mauvais jours, nous nous imaginons comme les derniers fidèles d’un idéal splendide qui ne doit pas mourir. J'en rajoute: nous sommes le grain d’honneur dans un Québec décadent, les derniers braves qui n’abandonneront pas la bataille. Quand on sent que son pays régresse, c’est une manière comme une autre de l’habiter et ne pas trop déprimer.


J’ai l’air de me moquer mais ce n’est pas le cas. Un pays a besoin de courants politique structurés. Il a besoin de familles politiques organisées, où se retrouvent des militants et des intellectuels qui permettent de structurer les idées qui au fil des générations, deviennent des traditions politiques. Autrement dit, les partis, en démocratie, ne sont pas seulement des structures politiques périssables et secondaires : à travers eux, des visions du monde s’expriment. À travers eux, la démocratie sort de son apathie gestionnaire et d’un centrisme débilitant où la pensée vient souvent mourir en se maquillant en pragmatisme. En un mot, la démocratie ne vit pas seulement du consensus mais d'un conflit civilisé entre projets contradictoires, témoignant de la diversité des avenirs possibles pour une population, pour une nation.


Le problème, pour un courant politique, c’est lorsqu’il connecte de moins en moins avec la population. Alors, il risque de se retrouver dans les marges, où il deviendra de plus en plus autoréférentiel. Ses militants risquent alors de s’enfermer dans un imaginaire coupé de la population. Ce courant, autrement dit, risque alors sa folklorisation. Longtemps, le souverainisme a exercé une position dominante dans l’espace public. Il traduisait politiquement les préférences réelles et les urgences intimement ressenties de grands pans de la population. Hélas, c’est de moins en moins le cas. Les souverainistes, aujourd’hui, offrent une excellente réponse à une question que la population se pose de moins en moins. Ils sortent peu à peu du jeu politique. Ils conservent une certaine force d'inertie mais on sent très bien qu'ils n'ont plus l'initiative historique.


Nous sommes encore nombreux dans la bulle indépendantiste. Assez nombreux, en tout cas, pour s’imaginer qu’on représente beaucoup de monde au Québec. Mais cette bulle, finalement, elle rapetisse, elle régresse. Dès qu’on en sort un peu, on constate une chose: nos obsessions sont partagées par bien peu de gens. Évidemment, le commun des mortels, qui travaille et respire hors de la bulle sait que nous existons. Il a peut-être même de la sympathie pour nos idées. Mais il y pense trois ou quatre jours par année. Le reste du temps, l’existence n’est pas commandée par nos obsessions. Et quand les souverainistes veulent le faire entrer dans la bulle, il part en courant : il sent qu’on veut l’entrer de force dans un univers mental qui pour l’instant, n’est pas le sien. Dès lors, il sera convaincu que le souverainiste typique est un monomaniaque soliloquant qu'il ne faut surtout pas inviter à sa table.


Le nationalisme n’est pas mort. Mais il ne débouche plus nécessairement sur l’indépendance. Et même ceux qui voteraient Oui si on leur imposait un référendum ne semblent plus croire que c’est urgent. En un mot, la question nationale n’est plus considérée comme une question qu’il faut résoudre avant toutes les autres mais comme une question parmi d’autres dans le jeu politique qui ne mérite pas qu’on lui considère une énergie exagérée. Il y a eu une fenêtre historique pour un souverainisme maximaliste et conquérant définissant l’essentiel de la vie politique au Québec. Elle est fermée depuis un bon moment déjà. Qu’on le veuille ou non, un peuple ne perd pas deux référendums et ne se fait pas imposer une constitution sans en payer le prix. Notre peuple est dans un très mauvais état, même si nous peinons à l'admettre, à le reconnaître.


Le jour où les souverainistes pourront reprendre l’initiative, c’est lorsqu’ils parviendront à intéresser à leur cause des gens qui, à la différence de moi et mes amis, ne sont pas des obsédés de l’indépendance, des souverainistes historiques, des nationalistes tragiques méditant sans cesse sur le destin du Québec. La grande force du camp du Oui, en 1995, c’était de rassembler à la fois un indépendantiste orthodoxe, Jacques Parizeau, un nationaliste tragique tenté par la souveraineté mais ouvert au Canada des deux nations, Lucien Bouchard, et un patriote sincère qui avait donné sa chance au Canada mais que l’honneur et les circonstances conduisirent dans le camp du oui, Mario Dumont. Nous avons changé d’époque, les gens à coaliser ne sont plus les mêmes, mais il suffit de penser à 1995 pour comprendre ce que veut dire rassembler une coalition suffisamment vaste et efficace pour que la souveraineté passe d’idéal lointain à projet politique.


Pour certains souverainistes, il suffirait de mettre de l’avant une bonne campagne de publicité et de marketing pour gagner les Québécois à l’indépendance. Il suffirait, en fait, de rendre audible par le commun des mortels une bonne pédagogie souverainiste pour engendrer des conversions à la tonne au camp du Oui.  Je ne partage pas cet optimisme. En ce moment, qu’on le veuille ou non, le contexte historique, qui nous échappe, et que nous ne pouvons simplement soumettre à la toute-puissance de notre volonté, est étranger à la question nationale. Les souverainistes, même lorsqu’ils parlent bien, parlent plus souvent qu’autrement dans le vide. Ils argument, ils théorisent, ils rêvent, ils chantent, mais la population s’en moque. Il faudra que les circonstances remettent la question nationale à l'avant pour que de grands blocs de l'opinion se déplacent et rejoignent à nouveau le camp du Oui.


Cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent rien faire. Jean-Martin Aussant a su faire lever une nouvelle génération d’indépendantiste dans les mois qui ont suivi la fondation d’Option nationale. Cela veut dire, toutefois, que nous ne maîtrisons pas toutes les variables du jeu. Une grande volonté politique peut agir sur des circonstances, elle peut changer la donne, mais elle ne peut définir à elle seule le contexte dans lequel elle se manifeste. En un mot, Jacques Parizeau, sans l’échec de Meech, ne serait probablement pas parvenu à tenir un référendum presque gagnant en 1995. Reconnaître qu'en politique, tout ne dépend pas seulement de notre volonté, ce n'est pas du défaitisme ou de la capitulation, c'est une forme de sagesse.


Tout cela pour parler de la course à la chefferie du PQ. Les Québécois sont de plus en plus nombreux à trouver que le PQ est dans sa bulle. Les débats qui s’y tiennent leur sont incompréhensibles. Les péquistes parlent des heures et des heures du pays rêvé, pendant que la vie se passe ailleurs. Le Québec réel échappe aux souverainistes. Et il y a de moins en moins d’air dans la bulle. Si les souverainistes n’en sortent pas pour aller à la rencontre des Québécois ordinaires et reconnecter avec eux, ils finiront par étouffer dans leur monde parallèle, sous l’indifférence générale. Et ce serait une tragédie pour le Québec.




Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé