Soral, l’Empire et Satan

Révolution - le retour d'une grande oubliée

par NICOPOL - Alain SORAL fait partie (avec Alain de Benoist) des intellectuels français contemporains que je considère comme les plus importants, dont je partage assez largement les idées, et dont j’apprécie qui plus est le personnage volontiers provocateur, narquois, haut en couleur, tout particulièrement redoutable dans un débat (avec ou sans interlocuteur, cf le démontage en règle du postier de la LCR). Et dont, cerise sur le gâteau, le passage du Parti Communisme au Front National est symptomatique de ce que je considère comme l’actuelle « tendance lourde » (bien qu’encore hésitante) du paysage politique français. Je le suis un peu moins, certes, dans une certaine phobie à l’égard de ce « lobby sioniste » qui contrôlerait les manettes mondiales, ainsi que sa sympathie douteuse pour Chavez, Tarik Ramadan et plus largement la mouvance trouble de la liste « antisioniste (parmi laquelle son ami Dieudonné, humoriste que j’apprécie énormément mais qui commence vraiment à déconner lorsqu’il soutient Kadhafi). Je n’ai malheureusement pas encore pu lire son dernier livre, Comprendre l’Empire (pas trouvé au Mexique, où je réside…), mais j’en ai lu des extraits, des critiques, et j’ai visionné certaines interviews relatifs à sa sortie, sans parler des articles d’Agoravox qui en ont traité, pour m’en faire une petite idée…
Au cours de cette petite revue de presse médiatique, je suis notamment tombé sur la vidéo d’une conférence donnée récemment en Bretagne dans le cadre de son association « Egalité et réconciliation », et dans laquelle, avec la verve, parfois à la limite de l’exaltation, mais toujours sincère, qui le caractérise, il précise et développe certains éléments de son analyse sociopolitique, contribue à dissiper certaines contradictions apparentes de ses prises de position, et se lance dans l’étonnante digression sur le satanisme...


Petit tour d’horizon et commentaires personnels…

L’analyse sociopolitique du monde moderne par Soral

Je vais être bref là-dessus, je pense que ses idées sont assez bien connue pour ne pas avoir à les présenter plus en détail. En gros, selon Soral, depuis à peu près la Révolution française, une sorte de « caste » progressivement mondiale a acquis un pouvoir occulte et malfaisant sur le monde. Cette caste, c’est avant tout celle des banquiers, des argentiers, aujourd’hui des actionnaires et autres « financiers », qui, par cercles concentriques d’influence, contrôlent le monde des affaires, l’économie, la politique, la presse, et finalement la société dans son ensemble. Occupant une place centrale, prééminente, dans cet « Empire », les réseaux sionistes (comme il le dit dans cette conférence, par une formule qui perso m’a bien faite rire - je cite de mémoire, qu’il me pardonne- : « je ne peux pas donner des noms, mais ce serait un peu la Liste de Schindler »). Il associe également à cette caste mondiale le protestantisme anglo-saxon tendance « néocons » (analyse rejoignant celles d’Alain de Benoist sur le millénarisme puritains américain, des premiers colons américains jusqu’aux néoconservateurs actuels, et le « sionisme chrétiens » ; je vous renvoie à un article précédent abordant justement ce sujet).
Sur cette analyse, on ne peut, je pense, qu’être à peu près d’accord, même si, personnellement, je trouve son obnubilation pour le lobby sioniste un peu outrancier (notamment en tenant compte de la recomposition actuelle des lignes de force politiques au Moyen-Orient : perte de confiance des israéliens envers les américains, rapprochement avec la Russie et l’Arabie Saoudite…). En même temps, je vois moi-même dans les idéologies juives et puritaines, reposant sur le fantasme d’être un « Peuple Elu », supérieur au reste du monde et choisi par un « Dieu unique » pour une sorte de « combat divin » millénariste, la source de violences et de désordres extrêmes qui expliquent bien des malheurs actuels de notre pauvre espèce… J’aurais tendance, donc, à nuancer un peu sa description d’une réalité par essence complexe et irréductible, tout en le retrouvant plus ou moins sur le fonds « théorique » de son modèle d’analyse.

Je me demande au passage si on peut qualifier Soral de « complotiste » ou « conspirationniste ». Le titre de son ouvrage est à cet égard évocateur : lorsqu’il désigne par le mot d’« Empire » cette nouvelle caste mondialisée, il sous-entend consciemment ou non que derrière tout cela il y a un « Empereur », ou du moins une sorte de « centre de pouvoir centralisé », une assemblée de puissants siégeant régulièrement dans l’un ou l’autre de ces « cercles » informels bien connus des lecteurs d’Agoravox. Personnellement, je ne partage pas cette vision des choses : je vois plutôt la situation comme le recoupement (l’intersection, comme on dirait en géométrie des ensembles) d’un grand nombre de cercles de pouvoirs juxtaposés dans l’espace et le temps, de réseaux d’influence, de lobbys, de groupes d’intérêts, tantôt luttant, tantôt coopérant, tantôt s’évitant, sur l’échiquier mondial du capital. Je partage donc davantage les propos d’un Emanuel Ratier lorsqu’il dit dans Le Choc du mois (citation reprise sur la page Wikipedia qui lui est consacrée) :
« Je ne me considère pas du tout comme complotiste, c'est-à-dire que, d'après les informations dont je dispose (...), je n'ai jamais trouvé aucun document récent, ou jamais eu d'entretien avec des personnalités haut placées, qui me permettraient de démontrer qu'il y ait une espèce d'organisation pyramidale, qui serait dirigée par un marionnettiste puissant qui aurait fait du monde un théâtre où il manipulerait les gens à sa guise. Je pense plutôt qu'il y a un système de cercles concentriques, avec des satellites autour, qui regroupent des gens puissants ou qui cherchent à avoir plus de pouvoir. Et bien sûr, et ça peut paraître une évidence, des groupes de pression et des lobbys. »

Choc des civilisations et rapprochement catholiques - musulmans

A cet Empire « protestant-juif » (auquel, pour être complet, il rajoute les réseaux francs-maçons), il oppose les catholiques de la « France traditionnelle » et les musulmans « modérés », qu’il semble tous respecter, même s’il se déclare athée. Soral établit en particulier une distinction assez nette entre des immigrés musulmans travaillant honnêtement pour faire vivre leur famille et s’intégrer dans la société française, et ces « islamo-racailles » qui « chient sur la France » et autres amabilités, et qui, au fond, loin d’être des « rebelles du système », ne font que reproduire sous un vernis religieux le modèle ultra-libéral du « rappeur américain » avec ses grosses voitures et ses gonzesses en string ; et, surtout, participent, par leurs provocations et leurs insultes à l’égard des populations autochtones, à la montée du racisme et de l’islamophobie (Soral propose au passage une petite analyse presque levis-straussienne de l’appel à l’inceste que constitue le nom d’un groupe de rap bien connu…).

Pour Soral, l’une des armes de domination de l’Empire, fidèle à l’adage « diviser pour mieux régner », est la méfiance et l’antagonisme des « peuples » sur des motifs ethniques ou religieux. A ce titre, pour lui, la montée des tensions communautaires en France entre « autochtones » majoritairement catholiques et « immigrés » majoritairement musulmans est créé de toute pièce et instrumentalisée par une mouvance politico-médiatique aux ordres de l’Empire ; montée de la tension dans laquelle occupent un rôle essentiel les pseudo-associations dites « antiracistes », les rappeurs du 9-3 et autres intellectuels et journalistes bien-pensants, qui jouent habilement sur la culpabilité de l’homme blanc, ce « salaud de colonisateur », face aux revendications de plus en plus outrancières d’une minorité de barbus...

Là-dessus, Soral a un message très clair : il est français, patriote, fier de ses racines ; il refuse de culpabiliser pour les méfaits d’une colonisation à laquelle ni lui ni ses ancêtres n’ont participé, mais qui fut le fait d’une petite minorité de francs-maçons socialistes ne représentant pas le « peuple français » ; dont il n’a tiré aucun bénéfice, mais dont il a du au contraire subir le coût (la « décolonisation » n’étant finalement qu’une forme déguisée de colonisation en gardant les bénéfices mais s’épargnant les dépenses « de prestige » style routes, hôpitaux et garnisons…). Comme il l’explique à un public dans lequel on devine une forte composante de la « diversité », comme on dit : pas plus que les Tunisiens ne se réduisent à Ben Ali, les Egyptiens à Moubarak, les Malgaches à leurs différents présidents corrompus, le peuple français ne peut être tenu collectivement responsables de la colonisation (de même d’ailleurs que de Vichy et de la collaboration). Le « français » moyen est un honnête travailleur, un paysan, fort et fier d’une histoire et d’une culture que les élites transnationales contrôlant le système éducatif et les médias n’ont eu de cesse de salir et déconsidérer. Dès lors, au lieu de tomber dans le piège tendu par l’Empire en se laissant aller à des dérives communautaires de plus en plus violentes, les « français de souche » et les immigrés musulmans devraient faire front commun contre les puissances protestantes-sionistes-maçonniques.

Personnellement, je ne rejoindrais pas Soral dans sa sympathie apparente pour les « gentils » catholiques et les musulmans, opposés aux « méchants » juifs et protestants. Pour moi, comme je l’ai développé dans une série d’articles (inachevé pour l’instant...) sur le millénarisme, tous font partie de la même constellation psychique du « Dieu unique » monothéiste, source des plus grandes intolérances et violences de l’histoire de l’humanité, y compris et peut-être surtout, celles perpétrées au nom de ces versions « laïcisées » du millénarisme judéo-chrétien qu’ont pu être le marxisme, le communisme, le nazisme, et plus largement toutes les idéologies appelant à une « fin de l’histoire » et un « homme nouveau ». Je considère en ce qui me concerne toute personne se prétendant dépositaire de la seule et unique « Vérité » révélée, et ayant pour mission d’en instruire, par la force s’il le faut, le reste de l’humanité, voire d’éliminer physiquement les « infidèles » ou « déviants », comme un malade mental des plus dangereux, à mettre sans délai hors d’état de nuire. Là-dessus, je rejoins donc entièrement les analyses qu’a pu faire, parmi d’autres sans doute, Alain de Benoist dans ses réflexions sur le millénarisme et le paganisme ; je rejoins également son invitation à retrouver ou régénérer les racines d’une identité européenne pré- ou a-chrétienne, et plus largement à une « sagesse » grecque qui n’avait pas encore été pervertie par les délires « métaphysique » de Platon et les nouvelles religions, intolérantes, totalitaires, violentes et prosélytes, venues d’orient (qu’elles soient juives ou chrétiennes), et leurs dérivés idéologiques profanes.
En revanche, je le rejoints davantage lorsqu’il explique (en bon marxiste qu’il est) que les véritables luttes ne sont pas « horizontales », entre peuples, mais « verticales », entre les peuples pacifiques et laborieux et les élites transnationales prédatrices. Pour Soral, la réussite fondamentale de l’ « Empire », qui lui vaut aujourd’hui ce pouvoir de plus en plus solide et tentaculaire sur le monde, est justement d’avoir su transformer cette violence verticale réelle de dominant / dominé en violence horizontale artificielle entre « peuples », « religions » ou « civilisations ». La nouvelle élite mondiale n’est qu’une petite minorité, qui serait vite balayée si les peuples savaient s’unir contre elle, comme à l’échelle d’un pays une population peut se soulever soudainement pour chasser un dictateur que l’on pensait indéboulonnable. Seule notre incapacité à sortir du formatage mental méfiant et hostile que nous impose l’Empire nous empêche de faire front commun et nous débarrasser de ce « parasite » ou de ce « virus » qui va finir par achever de nous vider de notre substance vitale (là, l’image est de moi, pas de Soral).

2012


Sur le plan politique, Soral, comme beaucoup, voit dans la clique « UMPS » le même visage de l’Empire, dans Sarkozy une sorte de « raté », dans Strauss-Kahn le « remplaçant programmé », et dans Marine Le Pen une sorte d’épouvantail destiné à effrayer le « bon peuple » et conduire à une élection triomphale pour le « candidat de l’Empire ».
Sa source d’optimisme résiderait dans la capacité de Marine Le Pen à fédérer derrière elle le « peuple » contre les élites représenté par l’UMPS : selon Soral, la seule chance de Le Pen d’être autre-chose qu’un faire-valoir électoral, si tant est qu’elle en ait l’ambition (mais il la considère a priori comme une « patriote » sincère, libre et ambitieuse pour son pays), est justement de rallier à sa cause le « peuple », indifféremment catholique ou musulman, contre l’ « Empire » incarné par les candidats interchangeables de l’UMPS. Or, pour cela, il lui faudrait modifier son discours sur l’Islam en faisant clairement la différence entre les « musulmans modérés », qui n’aspirent qu’à une vie paisible, républicaine et laïque, et les extrémistes ou islamo-racailles manipulés par l’Empire pour faire monter la haine, le racisme et l’islamophobie. En gros, dit Soral, le FN ne peut l’emporter que s’il parvient à mobiliser l’électorat musulman : voilà qui ne pourra que plonger les habituels chroniqueurs de la vie politique dans des abîmes de perplexité (déjà que l’entourage gays de Marine…) !
A ces considérations, s’ajoute une analyse sur l’immigration qui n’a pas été tout à fait claire pour moi : Soral est-il favorable, ou pas, à un contrôle, voire un arrêt, de l’immigration ? De façon corolaire, quelles sont ses conceptions en matière d’intégration / assimilation des populations immigrées ? J’avoue ne pas avoir bien saisi, ni avoir eu le temps de creuser, si un aimable lecteur veut bien m’informer ou me renvoyer à un lien exposant la pensée soralienne en la matière, je lui en serai reconnaissant (de même que ce qu’il pourrait penser de Mélanchon…)

Satan


Pour finir, quelques mots sur ces étonnantes digressions sur le Diable et le Satanisme… Soral établit en cours de conférence un parallèle entre la description de l’Apocalypse dans la Bible et le Coran et la situation internationale actuelle (je ne sais pas si ce parallèle apparaît dans son bouquin ou pas…). Pour lui, les prédictions apocalyptiques sont en train de se réaliser : l’Empire, littéralement, est d’essence « satanique » et s’apprête à détruire l’humanité. Soral précise toutefois bien que pour lui ce rapprochement, ou ce cadre d’analyse, est tout aussi valable que l’on croit à la « réalité » des textes sacrés ou qu’on les interprète de façon « symbolique ».

J’avoue être un peu réservé sur cette facette de la pensée, ou de l’expression, soralienne. En décrivant les évènements actuels sous un angle apocalyptique, Soral reste, me semble-t-il, dans un cadre mental hérité du judéo-christianisme, à savoir le fait qu’il y a des « bons », des « mauvais », une lutte manichéenne entre un camp du « bien » et un camp du « mal » : du coup, toute son analyse prend le risque de rester enfermée dans les limites de cette idéologie particulière qu’est le judéo-christianisme et ses dérivés « profanes » modernes, dont elle ne propose aucun dépassement, aucune porte de sortie. Sur ce point, là encore, je me sens davantage proche d’un Alain de Benoist, reprenant à son compte l’analyse Heideggérienne de la pensée de Nietzsche présentant celle-ci non pas comme un dépassement mais comme un renversement et un achèvement de la « métaphysique » platonicienne et chrétienne. Cette grille de lecture marxiste et apocalyptique de l’histoire, finalement, marque la limite de la pensée de Soral, son enfermement dans une logique duale, manichéenne, millénariste, de la lutte du « bien » incarné par une poignée de « résistants » ou « prophètes » contre le « mal » incarné par la « puissance occulte » d’un petit groupe bien identifié (les juifs, les protestants, les francs-maçons…) ; sa difficulté, en fait, à sortir de l’idéologie qu’il tente pourtant de combattre dans ce qu’il conçoit comme un « Empire » : sous-entendu, un « Empire du Mal », différent en degré mais non en nature de l’ « Empire du mal » des Bush Père et Fils...

Dans son explication du recours à la notion de « satanisme », Soral a en revanche posé un point qui me semble fondamental, essentiel, au-delà de toutes ces considérations politiques et sociales : est « satanique », pour Soral, celui qui est prêt à faire le mal à son prochain, consciemment et volontairement, dans la recherche de son propre intérêt. Est ainsi « satanique » celui qui (pour reprendre son exemple) vend des crédits subprimes à de malheureux ouvriers pour s’acheter une plus grande maison ou une voiture plus puissante, en sachant très bien qu’ils ne pourront jamais les rembourser ; est « satanique » celui qui occulte un scandale médical ou environnemental potentiellement mortel pour des milliers ou millions de personne pour protéger un revenu, une situation ; est « satanique » celui qui considère la vie humaine comme négligeable ou nulle dans des calculs de profits ou de rentabilité. Est « satanique » finalement l’hyper-individualisme, le matérialisme, la perte du sens du « sacré » (Alain de Benoist, après Heidegger, parlerait de l’occultation de l’ « Etre ») ; est « satanique », donc, cette idéologie moderne prise dans son ensemble et dont la généalogie, allant de Platon à Adam Smith, en passant par Descartes et Hobbes, fait de la subjectivité, de la volonté individuelle et de la recherche de l’intérêt égoïste le moteur ultime de nos comportements...

Là-dessus, même si ce n’est pas le mot « satanique » que j’emploierais, car pour moi trop connoté religieusement et idéologiquement, je partage la même stupéfaction et le même dégoût en pensant qu’un être humain peut en toute conscience, sciemment, menacer ou sacrifier le bien-être d’un autre être humain dans la recherche de son seul intérêt. Et ce d’autant plus qu’il ne s’agit même pas d’une sorte de « lutte pour la survie » où la mort de l’autre est la seule condition de ma survie (ce qui pourrait avoir un sens), mais du seul appétit déraisonnable, démesuré (pour reprendre ce concept grec essentiel de la « démesure »), pour plus de fric, plus de luxe, plus de pouvoir économique, politique et (au fond de choses…) sexuel.
J’ai tendance à voir, sans doute comme Soral, l’une des origines « généalogiques » de cette abjection dans la Réforme protestante, qui valorise désormais la réussite, la puissance et la fortune comme une marque d’élection divine, de supériorité sur les autres, et finalement d’autorisation implicite à traiter le reste de l’humanité comme des « objets » inférieurs, indignes du respect et de la compassion des « élus ». Mais je ne fais pas de cette grille de lecture une explication « ultime » ; il me semble que de tout temps, sans attendre les protestants, et même les judéo-chrétiens, des hommes se sont montrés violents envers d’autres hommes pour plus de possessions, de domination, de pouvoir, et que la problématique fondamentale de chaque civilisation a justement été de mettre en place des mécanismes de régulation et de contrôle de cette violence intra-spécifique (dont on a pu dire qu’elle constituait le vrai « propre de l’homme »).
Le caractère inédit du monde moderne est peut-être d’avoir « inventé » une idéologie qui, au lieu de rendre condamnable cette violence de l’homme sur l’homme et de fournir des valeurs et critères moraux permettant de juger de façon négative ceux qui s’y adonnent, la justifie, la décomplexe, la déculpabilise, et donc la déchaîne, si l’on peut dire, dans des proportions inédites. Mais en disant cela, il faut se garder de tomber dans la déformation intellectuelle si courante qui consiste à considérer son époque comme « exceptionnelle » ou incomparable avec le passé : disons, a minima, que la « mondialisation » et les progrès technologiques ont donné à ces êtres « sataniques » un pouvoir géographiquement et industriellement démultiplié qu’ils n’avaient jamais eu dans l’histoire...

Il me semble surtout que cette caractérisation du « satanisme » ne permet pas de découper au sein de l’humanité une frontière entre des « bons » et des « mauvais » : en effet, les racines psychologiques des comportements de cette nouvelle caste supérieure que Soral juge comme sataniques ne constituent pas une propriété spécifique et exclusive des membres de l’Empire, mais bien le « bain » mental et idéologique dans lequel croit l’ensemble de la société moderne ; l’ultralibéralisme ne fonctionne que parce qu’il flatte nos instincts et nos schémas mentaux ; l’élite mondiale n’est pas différente par nature du reste de l’humanité : elle n’en est que la couche supérieure qui a « réussi », et à laquelle tant d’entre nous ne rêverait que de participer. C’est une vision assez pessimiste de l’humanité, j’en suis conscient, mais elle me semble nécessaire pour traiter le mal à la racine, c’est-à-dire en nous : sinon, on triomphera trop tôt de la destruction d’un Empire pour le voir remplacer, si rapidement, par une nouvelle élite s’élevant des masses du peuple vainqueur…

Mais tout ceci, pour conclure, ne fait que me conforter dans ma conviction, rejoignant la pensée d’Alain de Benoist, qu’on ne pourra sortir de l’Empire qu’en rompant avec l’univers mental hérité, pour schématiser, du croisement de la métaphysique platonicienne (et sa descendance cartésienne) et de la religion Abrahamique. Il ne s’agit pas ici de verser dans le factice d’un « néo-paganisme » de pacotille, de prétendre ressusciter un monde Antique fantasmé (la société grecque ayant été, malgré l’extrême niveau de son élévation philosophique, et à côté d’une grande tolérance en matière religieuse, une société violente, raciste, esclavagiste et particulièrement peu favorables à l’émancipation féminine…), de se perdre dans des pseudo-spiritualités artificielles et complaisantes ne reprenant des pensées orientales que ce qui nous conforte dans notre égocentrisme et notre auto-complaisance (cet « auto-érotisme » dont a pu parler Jean-Paul II) : il s’agit de retrouver en premier lieu et de façon tout à fait concrète, charnelle, une solidarité et une fraternité (ce beau mot au fronton de nos édifices publics, hélas, hélas, tellement écrasé par le totalitarisme destructeur des 2 premiers…) entre nous, les humains : d’abord au niveau local, puis régional, puis, un jour, mondial.
Il s’agit pour cela de nous aimer tels que nous sommes, comme des frères et des sœurs avec leurs qualités et leurs défauts ; de ne plus nier stupidement les différences de chacun au travers d’un antiracisme absurde, mais au contraire de les valoriser en voyant en elles l’expression de la diversité et de la beauté du monde ; de ne plus se courber au nom d’un relativisme moral qui n’est que l’arme de domination des puissants, mais repenser les bases d’une nouvelle « éthique », c’est-à-dire littéralement d’un ensemble de coutumes ou de règles sociales, c’est-à-dire finalement d’une justice, adaptée à la dimension « mondiale » de l’humanité moderne confrontée aux limites de son environnement (et donc incluant la nature comme un « sujet » et non plus un « objet », comme le propose le Contrat naturel de Michel Serre), et dans laquelle les « satanistes » de l’Empire soralien se verraient tout simplement privés de la possibilité morale et matérielle d’existence…
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par NICOPOL (son site) mardi 29 mars 2011


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