Retrouvailles à Gaspé

Si le 400e de Québec a remporté un succès monstre, le 475e de Gaspé est presque en train de lui faire de l'ombre.

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire

Amélie Daoust-Boisvert - Le groupe Mes Aïeux en spectacle à Gaspé le 14 juillet dernier
Gaspé, le 24 juillet 1534. Jacques Cartier et son équipage fit «faire une croix de trente piedz de hault (...) sur la poincte de l'entree dudit hable de laquelle mismes ung escusson en bosse à troys fleurs de lys et dessus ung escripteau en boys engravé en grosse lettre de forme où il y avoit "Vive le Roy de France".» Aujourd'hui, 475 ans plus tard, Gaspé manque presque de place pour héberger tous ceux venus participer au point culminant des fêtes de «l'acte fondateur de l'Amérique française».
Si le 400e de Québec a remporté un succès monstre, le 475e de Gaspé est presque en train de lui faire de l'ombre. Le 24 juillet 1534, raconte l'historien Jean-Marie-Fallu, c'est la finale du premier voyage de Cartier. L'explorateur malouin s'abrite dans la baie de Gaspé depuis le 14 juillet, après avoir longé les côtes de l'île du Prince-Édouard, la pointe de Miscou (Nouveau-Brunswick) et s'être ancré à Port-Daniel, dans la Baie des Chaleurs. L'ancien directeur du musée de la Gaspésie travaille depuis des mois à documenter l'histoire de la ville. Gaspé deviendra un véritable village des dizaines d'années plus tard, mais «quand Cartier plante sa croix, c'est un acte fondateur, politique et religieux», soutient le rédacteur en chef du magazine Gaspésie.
Le navigateur rencontre au passage Donnaconna, chef des Iroquois de Québec, qui voit d'un drôle d'oeil cette croix qui s'élève sur ses territoires de chasse. Cartier partira pour la France avec deux de ses fils en guise de preuve. Les relations entre les deux hommes resteront houleuses lors de ses voyages subséquents dans la région de Québec.
La croix a disparu, mais l'historien croit qu'elle s'érigeait près de l'actuel pont de Gaspé. Un pont sur lequel, hier, «du jamais vu, il y avait un bouchon!», s'étonne le maire François Roussy. Les plaisanciers déferlent littéralement sur la petite ville de 15 000 âmes pour y fêter aujourd'hui, au point où, à 100 km de là, les hôtels affichent complet. «Hier, les gens ne trouvaient plus rien, alors y en a un qui est même revenu ici après être allé chercher plus proche», relate Denise Lebreux, de l'Auberge la maison Lebreux, à Petite-Vallée.
Pas question de refuser du monde: les habitants de Gaspé ont commencé, depuis deux jours, à offrir le gîte aux touristes, à la maison. «Résidences étudiantes, campings, motels, tout était plein. Doubler notre population le temps d'une soirée, c'est tout un défi», s'amuse le maire, le vent dans les voiles. Gaetanne Mercier, de l'auberge Fort Prével, est plus directe: «Oh mon dieu, on a les cheveux raides sur la tête! C'est "full" partout, même dans les p'tits motels. C'est réservé pour le 24 depuis 3 semaines, on refuse du monde. On a pas mal de monde de Montréal, on les a installés en camping parce qu'on n'a plus de chambres. Le monde arrive juste pour ça!»
Mais qu'attend tout ce monde? Le spectacle phare de la programmation, réunissant Laurence Jalbert, Kevin Parent, Diane Dufresne, Florent Volant... De plus, environ 500 navigateurs des temps modernes appareilleront dans le port. Certains se sont livrés à une course conviviale et arriveront à temps pour la reconstitution symbolique du fameux 24 juillet fondateur. Et il va faire beau: la mère de Claudine Roy, présidente du comité organisateur, a mis son chapelet sur la corde à linge.
«La participation est au-delà de ce qu'on espérait. Il y a du monde à tous les événements. On a vendu 10 000 billets pour demain. Pas pire pour un village de 15 000 habitants!», raconte la femme d'affaires après un coloré «Salut, c'est Clo!» à l'autre bout du fil. «Il y a vraiment plus de monde à Gaspé que d'habitude. Il y a une ambiance de fête, on la sent, ça sourit, c'est le bonheur total!»
Il y a bien sûr la famille de Montréal qui débarque, mais l'événement rassemble aussi toute population de la péninsule. Nancy Moreau, qui habite à 90 km de là, n'aurait manqué le «grand show» pour rien au monde.
La popularité de Gaspé a fait un peu d'ombre aux villes des alentours en juin et en juillet, selon Denise Lebreux. Les touristes passaient devant son auberge, à quelque 100 km des festivités, sans s'arrêter: direction Gaspé. Hier, toutefois, elle affichait enfin complet. «Je les comprends d'aller à Gaspé, philosophe-t-elle. Si je pouvais, j'irais tous les jours moi aussi!»
Une occasion pour les gens de la place -- Guy Laliberté, Laurence Jalbert et bien d'autres -- de revenir aux sources, mais aussi, pour les jeunes, de frayer avec les grands. Yanik Boulay ne cachait pas son enthousiasme à l'idée de se produire avec son groupe, Les Lunatiks, aujourd'hui, en première partie de DJ champion. «Que des bons musiciens, et il y a du monde à Gaspé ces jours-ci, beaucoup de monde!»
«Le vent [étant] bon», Jacques Cartier en avait profité pour quitter le havre et retourner en France pour rendre compte de son exploration du golfe Saint-Laurent. Les fêtes du 475e, elles, se poursuivent tout l'été. Pas trop tard donc pour la Semaine irlandaise (3 au 9 août), le Festival du bout du monde (13 au 16 août), le spectacle de la rentrée, avec Daniel Bélanger (26 août) et bien d'autres. La rumeur dit que les Gaspésiens ouvrent leurs portes... et leur coeur.


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