Retour au nationalisme

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« Si les indépendantistes veulent revivre politiquement, ils devront renouer avec un nationalisme décomplexé. »


On a raison de dire qu’en 2018, le souverainisme québécois s’est effondré, même s’il est probablement entré au même moment dans une dynamique de recomposition qui commence à peine à se laisser deviner. Mais 2018 marque aussi paradoxalement un retour au nationalisme dans sa forme autonomiste avec la forte victoire de la CAQ, qui est parvenue tout à la fois à vaincre le PLQ et à remplacer le PQ comme principal parti nationaliste, ou si on préfère, comme principal parti du Québec francophone. Autant le souverainisme péquiste semblait en fin de parcours, épuisé, sans charge programmatique, et condamné à ne plus se faire entendre par les Québécois, autant le nationalisme caquiste, qui mise à la fois sur le principe du Québec d’abord et sur la réaffirmation identitaire de la majorité historique francophone, semble en phase avec l’électorat qui cherche aujourd’hui à faire aboutir dix ans de débats sur les accommodements raisonnables. 


Ce type de nationalisme cadre avec l’humeur politique du peuple québécois, qui sort d’un cycle politique marqué par l’échec de l’indépendance, ce qui ne lui donne pas envie de se lancer à court terme dans une aventure référendaire, d’autant que les souverainistes eux-mêmes, ces dernières années, n’étaient pas particulièrement inspirants en la matière. La grande majorité des nationalistes entend donner à François Legault sa chance: les indépendantistes incapables de comprendre cela s’enferment dans des marges dont ils auront ensuite de la difficulté à sortir. Avec raison, on dira que l’autonomisme de la CAQ frappera un mur dans le régime fédéral, d’autant qu’il ne s’accorde à aucune proposition de réforme constitutionnelle. Ce sera le cas avec la laïcité, on peut en être certain. Les Québécois découvriront alors que sur une question identitaire fondamentale, leurs marges de manœuvres sont limitées et que la moindre initiative collective peut être cassée par les tribunaux fédéraux. Le bon côté de cela, c’est que les Québécois redécouvriront alors la contradiction entre l’affirmation de leur identité et leur appartenance au Canada


C’est dans ce contexte que les indépendantistes doivent repenser leur projet, en renouant avec ses déterminants fondamentaux. Ils devront s’arracher au souverainisme technocratique des dernières décennies, qui semblait de plus en plus étranger aux raisons fondamentales expliquant la présence d’un mouvement national au Québec. Ces raisons doivent être rappelées, à la manière de réalités indéniables: dans la fédération canadienne, le poids du Québec est appelé à régresser fatalement, et le poids des francophones régressera également. La présente vague de francophobie au Canada anglais nous rappelle que ce dernier est fondamentalement intolérant à l’endroit du fait français, qu’il considère comme un résidu exaspérant dont on devra un jour abolir les droits, assimilés à des privilèges. Seule l’indépendance assurera pour de bon notre existence collective. Le peuple québécois, s’il demeure dans le Canada, est appelé à s’y effacer.


L’indépendantisme québécois devra renouer avec ce qu’on pourrait appeler ses raisons naturelles, présentées depuis quelques années comme des raisons identitaires optionnelles, et souvent même condamnables. Elles se résument en une seule: le Québec est le seul endroit où les francophones sont majoritaires en Amérique, c’est le seul endroit où ils peuvent se définir non pas en quémandant des droits mais en exerçant le pouvoir, et on ne voit pas pourquoi ils se contenteraient d’un demi-pouvoir constamment remis en question par une fédération qui voit dans la moindre affirmation du peuple québécois une manifestation honteuse de suprémacisme ethnique. Si nous voulons la souveraineté, c’est pour continuer d’exister comme nation et éviter de devenir une réserve francophone folklorique condamnée à la dissolution nationale. Notre peuple est en droit de faire valoir son droit à la continuité historique.


En d’autres mots, le mouvement indépendantiste devra se réancrer dans le nationalisme historique du peuple québécois, en renouant avec la mémoire des luttes nationales, tout en s’inscrivant dans notre époque qui semble annoncer le retour aux identités profondes, celle des peuples et des civilisations. Les souverainistes se sont trop longtemps définis par leur mauvaise conscience progressistes: ils se laissaient intimider par les discours antinationaux criminalisant la critique de l’immigration massive ou même de l’immigration illégale, ils répétaient le bobard historique présentant Montréal comme un territoire amérindien non-cédé, ils acceptaient de se définir selon la logique diversitaire prescrite par le multiculturalisme canadien, ils faisaient semblant de croire que la bilinguisation de Montréal était une bonne nouvelle. Et ainsi de suite. Résultat: l’autonomisme de la CAQ semblait plus nationaliste que le souverainisme du PQ.


Si les indépendantistes veulent revivre politiquement, ils devront renouer avec un nationalisme décomplexé. Théoriquement, cela semble simple. Reste à voir s’ils seront nombreux à résister à ce retour au bon sens. Le politiquement correct a la tête dure.