Réponse à Jacques Attali : derrière la diabolisation du souverainisme, la peur de la démocratie

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Dans la bouche des mondialistes, le « souverainisme » est désormais synonyme de racisme et d'islamophobie

Le propre d’une bataille idéologique est de se jouer avant tout au niveau des mots. Et voilà déjà quelques années que les concepts politiques sont tordus sans vergogne, vidés de leur sens, pour permettre de jeter l’opprobre sur tout ce qui pourrait ressembler à une alternative au système économique et politique qui prend l’eau sous nos yeux. On connaît le principe, usé jusqu’à la corde : diaboliser, par un jeu d’équivalences et de fausses proximités, en renvoyant les idées à combattre aux « heures les plus sombres de notre histoire », en les assortissant de divers qualificatifs olfactifs tels que « nauséabond »


A ce jeu-là, il faut désormais placer la constitution de la Ve République sous surveillance : elle véhicule des idées douteuses. En effet, dans la dernière note de son blog, Jacques Attali rend une sentence pour le moins expéditive : le souverainisme est un antisémitisme. « Quand on parle de "souverainisme", écrit l’opiniâtre conseiller des princes de tous bords, beaucoup de gens veulent croire qu’on ne parle, en Europe, que d’une maîtrise des importations et d’un refus des disciplines communautaires. En réalité, en plus d’un souverainisme purement économique ou politique, en Europe en tout cas, ceux qui en font l’apologie parlent en fait souvent, à mots couverts, en premier lieu, d’un refus des migrants, et plus largement, d’un refus des musulmans. »


« Souverainisme ». L’avantage d’un tel mot est qu’il ne veut plus rien dire et que personne ne sait plus ce qu’il désigne. Jacques Attali, dans son texte, ne nomme que trois supposés souverainistes : Eric Zemmour, Gilles-William Goldnadel et Alain Finkielkraut. Manque de chance, pas un ne se dit souverainiste, pas un ne l’est de près ou de loin. Gilles-William Goldnadel est même un franc partisan de la libre circulation des capitaux et des marchandises. Leur point commun, aux yeux de Jacques Attali, est de ne pas considérer l’islam comme une religion de paix et d’amour, et de marquer une méfiance non seulement forte, mais pour le premier d’entre eux obsessionnelle, contre l’immigration de populations musulmanes. Quel rapport avec le souverainisme ? « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du referendum », dit la constitution de la Ve République. Pour le dire simplement, il n’est pas de démocratie sans souveraineté du peuple ni souveraineté de la nation. Si quelque chose existe qui s’appelle souverainisme, ce n’est donc rien d’autre que la défense d’une authentique démocratie. On comprend que cela gêne certains, et sans doute faut-il y voir la raison de cette diabolisation grossière du concept. Mais on voit mal le lien avec l’antisémitisme et la haine des musulmans.


Le mot souverainisme est popularisé dans les années 1990 alors que les débats autour du traité de Maastricht ont fait apparaître combien la notion même de souveraineté était désormais totalement étrangère à la très grande majorité des gouvernants. C’est pourtant autour de cette notion que s’articule le discours de Philippe Séguin devant l’Assemblée nationale le 5 mai 1992. Au départ, les courants dits souverainistes sont donc ceux qui dénoncent comme non démocratiques les institutions de l’Union européenne, et qui considèrent qu’elles sont un moyen pour imposer contre la volonté des peuples un modèle néolibéral fondé sur le dogme du libre-échange et de la mise en concurrence généralisée. On peut distinguer un souverainisme de droite ou d’extrême droite, davantage emprunt de nationalisme et un souverainisme qui va du gaullisme social à la gauche républicaine, centré sur la résistance au néolibéralisme et à sa destruction des compromis sociaux et politiques hérités de la Libération et du Conseil national de la Résistance. On en revient donc à la question précédente : quel rapport avec l’antisémitisme et le rejet des musulmans ?


Il est intéressant de voir ressurgir cette notion de souveraineté dans le débat public. Emmanuel Macron en est l’un des plus fervents artisans, lui qui place le mot souveraineté dans chaque discours. Mais c’est une souveraineté "européenne", donc présentable, à défaut d’être définissable…


Celui qui lit le texte de Jacques Attali pourra bien sûr goûter la subtilité des arguments et la précision des chiffres censés nous prouver, non pas que les idées d’Eric Zemmour sont racistes et anti-républicaines, ce qui serait légitime car parfaitement exact, mais qu’il n’y a pas le moindre problème d’intégration en France, ce qui est tout de même une autre paire de manches. « 99% des migrants non européens, écrit Jacques Attali, s’intègrent parfaitement dans la nation (…). Et les musulmans ne sont pas beaucoup plus pratiquants que le sont aujourd’hui les fidèles des autres monothéismes. » Fichtre ! Les chiffres de Jérôme Fourquet seraient donc totalement faux ? L’Ifop publiait il y a quinze jours une étude montrant que 49% des musulmans de moins de 25 ans pensent que la laïcité doit s’adapter à la pratique de l’islam. 27% des musulmans, tous âges confondus, pensent que la loi islamique, la charia, devrait s’imposer aux lois de la République. Cela dit, on ne parle pas là des migrants mais bien des musulmans français, dont beaucoup sont enfants d’immigrés. Mais tout de même, on s’autorisera à penser qu’il y a bien un sérieux problème d’intégration…


Pour autant, cette question n’a que peu à voir avec celle de la souveraineté. Certes, parmi les sujets dont les gouvernants ont estimé depuis des décennies qu’il ne fallait surtout pas les laisser trancher par les citoyens, il y a les questions d’immigration, et plus encore les questions d’éducation et d’intégration, mais parmi une telle masse d’autres sujets qu’ils ne sont qu’une dimension du problème.


Il est d’ailleurs intéressant de voir ressurgir cette notion de souveraineté dans le débat public. Emmanuel Macron en est l’un des plus fervents artisans, lui qui place le mot souveraineté dans chaque discours. Mais c’est une souveraineté « européenne », donc présentable, à défaut d’être définissable… Emmanuel Macron est suffisamment intelligent pour avoir compris que ce qui lui a permis d’arriver au pouvoir est la remise en cause majeure du modèle néolibéral par une proportion croissante des citoyens européens et la tentative désespérée des tenants de ce modèle pour le replâtrer sous les apparences du renouvellement. Et ce n’est pas un hasard si le « souverainisme » est au fond l’incarnation du mal absolu pour les sociaux-libéraux et les libéraux sociaux qui se sont partagé le pouvoir dans une fausse alternance avant de se rallier à la bannière du macronisme. Ceux-là même qui réussissent l’exploit d’accuser Jean-Pierre Chevènement, fondateur du CERES et théoricien de l’union de la gauche, d’être un suppôt de l’extrême droite parce qu’il alerte depuis des années sur l’impuissance volontaire de l’Union européenne.


Tout à coup, dans le désordre des manifestations, des gens ont proclamé leur droit à être considérés comme des citoyens. Des individus souverains, maîtres collectivement de leur destin.


Ceux-là même qui applaudissent à chaque nouvel essai sur les « nouveaux réactionnaires », amalgamant dans un même élan de mauvaise foi un Eric Zemmour et un Marcel Gauchet. En 2015, quand Michel Onfray avait été accusé en une de Libération d’avoir basculé du côté de l’extrême droite, certains s’étaient interrogés sur cette attaque soudaine. Mais trois jours plus tard, Laurent Joffrin, dans un éditorial, donnait l’explication : Michel Onfray était coupable d’un crime bien plus grave que d’avoir marqué sa réticence devant l’émotion commune autour de la photo d’un enfant syrien. Il était « souverainiste ». Péché mortel. Crime inqualifiable. Et qui valait condamnation immédiate.


L’année que nous venons de vivre a fait émerger la question que tous ces aimables faiseurs d’opinion avaient enterrée depuis des lustres : la question démocratique. Tout à coup, dans le désordre des manifestations, des gens ont proclamé leur droit à être considérés comme des citoyens. Des individus souverains, maîtres collectivement de leur destin. Un mouvement inattendu et inclassable a fait apparaître au grand jour la question politique majeure qui traverse les pays occidentaux : le fait que le néolibéralisme a imposé un système échappant à la volonté et au contrôle des citoyens et fonctionnant malgré eux au profit de multinationales déterritorialisées. Tout à coup, la démocratie représentative est apparue pour ce qu’elle était devenue, un outil vidé de sa substance et instrumentalisé par des élites soucieuses de garder le monopole de la représentation.


On comprend que le « souverainisme », si l’on définit cette notion comme la volonté de replacer la souveraineté du peuple au centre de l’organisation politique, fasse trembler certains. Doivent-ils pour autant manipuler les mots, user des anathèmes infamants, brandir la figure repoussoir d’un Eric Zemmour, adepte de la France blanche et chrétienne, pour salir une idée qui leur déplaît ? Si l’on s’en tient au sens des mots, un souverainiste n’est rien d’autre qu’un démocrate, et c’est la seule dénomination qui vaille. La démocratie fait-elle si peur ?