Réflexion sur la « parole publique »

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Le monde à l'envers : le Journal de Montréal qui fait la « job » du Devoir

Je relis depuis quelques temps les écrits du Général de Gaulle, et je traverse en ce moment, à nouveau, évidemment, car je les ai lu si souvent, ses Mémoires de guerre. J’en retiens cet extrait bien connu : «Trêve de doutes! Penché sur le gouffre où la patrie a roulé, je suis son fils qui l’appelle, lui tient la lumière, lui montre la voie du salut. Beaucoup, déjà, m’ont rejoint. D’autres viendront, j’en suis sûr ! Maintenant, j’entends la France me répondre. Au fond de l’abîme, elle se relève, elle marche, elle gravit la pente. Ah ! mère, telle que nous sommes, nous voici pour vous servir».
On se moquerait probablement d’un homme politique qui écrirait ainsi, aujourd’hui. En fait, on s’en moquerait certainement. À l’heure du marketing politique, à l’heure de la «communication», à l’heure des rigolards qui dominent une époque incapable de prendre au sérieux les choses qui doivent l’être, dans une époque, finalement, qui ne comprend plus le politique, on n’entendrait dans un tel propos que paroles ronflantes, ne voulant pas dire grand-chose. Notre époque a son propre sacré «public», évidemment. Mais il est moins politique que juridique. Il touche aux «droits fondamentaux», qui ne cessent d’étendre leur empire, sans qu’on parvienne vraiment à les définir.
Pourtant, j’en suis convaincu, il faut en quelque sorte penser et parler ainsi pour toucher le cœur des hommes, parce que la politique ne touche pas que l’organisation de la société, mais bien «l’âme humaine», qui a besoin pour se révéler pleinement de participer à la cité. Évidemment, à chaque société sa «parole publique», et la France n’est pas le Québec, qui fait preuve, pour le meilleur et pour le pire, d’une plus grande simplicité de langage. Mais chose certaine, la parole publique ne saurait déchoir dans la langue de bois (comme c’est le cas en ce moment) sans d’un coup dégoûter de la politique ceux qui attendent justement qu’elle donne un sens à la vie en commun. Oui, la parole politique doit révéler une époque et donner aux hommes une emprise sur elle. Cela implique évidemment que la politique transcende la sacro-sainte consultation par un authentique sens de la décision.
Pour cela, la politique doit déchiffrer l’époque, elle doit en révéler les enjeux, et à sa manière, y répondre. C’est évidemment ce que les politiciens ne font plus. D’abord parce qu’ils ne pensent plus l’époque. Mais aussi parce qu’ils ne pensent même plus leur société à travers son épaisseur historique. Fondamentalement, ils n’ont d’accès à leur société qu’à travers le discours médiatique qui déréalise de plus en plus notre rapport à la société en nous faisant vivre dans le présent perpétuel de la nouvelle immédiate, par rapport à laquelle on ne saurait ne pas réagir. Un homme politique, aujourd’hui, ne se contente pas de tenir compte des médias, ce qu’il doit évidemment faire. Mais il pense à travers eux et respecte spontanément les contours de l’espace public qu’ils délimitent. Évidemment, un politicien sans substance finit par répéter le slogan du jour, ce qui ne l’empêchera pas de se croire original.
Un homme politique, aujourd’hui, cherche de moins en moins à répondre à des problèmes qui existent «objectivement», et qu’il aurait identifiés, et auquel il aurait réfléchi. Il cherche plutôt à résoudre un problème «médiatiquement», jusqu’à ce que l’attention publique se porte sur autre chose. C’est ce qu’on appelle la politique du communiqué. On annonce quelque chose médiatiquement et on croit avoir mené une action politique. Ce n’est évidemment pas le cas. Il ne suffit pas toujours de dire pour faire. Il ne suffit pas d’occuper l’espace médiatique pour travailler en profondeur la société.
Car répondre à de tels problèmes, sociologiquement structurés et historiquement déterminants, cela implique évidemment de comprendre l’histoire de sa société, de voir à quel moment de son développement elle est rendue, et de connecter cela à une certaine vision de l’être humain et de ses passions et de ses aspirations, une vision qu’on ne saurait sérieusement réduire à un certain individualisme appauvri, qui abolit politiquement la question de l’homme en privatisant la question du sens. À chacun de mener sa vie comme il l’entend et la société sera heureuse. Évidemment, les choses ne sont jamais aussi simples. Un homme politique sérieux doit donc avoir une vision de l’histoire et de l’être humain. Cela veut dire qu’il doit avoir au moins un minimum de réflexion philosophique – j’y reviens dans un instant.
Le malaise politique de notre époque vient en bonne partie de la démission de la parole publique, les hommes ne comprenant plus finalement le monde dans lequel ils vivent. Naturellement, ils se replient alors dans l’intimité et se font une représentation caricaturale de la chose publique. Ceux qui s’y engagent ne sauraient alors être motivés par autre chose que par l’appât du gain. Le fossé entre les institutions et le peuple s’élargit sans cesse. Ce dernier se fracture en factions et chacune d’entre elles devient jalouse de ses privilèges, sans vraiment s’intéresser au bien commun. Évidemment, ces privilèges, on les présente comme des «droits fondamentaux», ce qui rend la discussion politique à peu près impossible. Un sentiment de déclin finit par convaincre les hommes de leur impuissance collective.
Une autre chose dont je suis certain : pour mouvoir les hommes, encore faut-il connaître leur cœur, et comprendre que la politique est une exigence existentielle. Cela exige des hommes politiques cultivés, qui ont fréquenté les grandes œuvres de la littérature, qui connaissent l’histoire de leur pays et de leur civilisation, qui ont lu quelques philosophes et qui, peut-être, en sont venus à élaborer leur propre philosophie politique. C’est même indispensable, pour connaître la société autrement qu’à travers la représentation desséchée et déshumanisé qu’on en tire à partir d’une compréhension purement statistique de la réalité, d’autant plus que les statistiques sont souvent conçues par de pesantes bureaucraties qui ne connectent plus avec les profondeurs d’une société.
De Gaulle, je crois bien, était un immense politique parce qu’il était aussi un philosophe politique. On pourrait probablement dire une chose semblable de Churchill, même si dans son cas, on devrait plutôt dire qu’il s’agissait d’un immense politique parce qu’il était aussi un historien politique. Une chose est certaine : on ne fait pas de politiquement véritablement en s’enfermant dans le langage de la «gestion», et en renonçant finalement à orienter la société à partir d’une vision qui s’inscrit dans l’histoire, d’autant plus qu’elle prétend au moins minimalement lui imprimer une direction.


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