Qui dit vrai?

Incursion sur le terrain miné de la crédibilité à la commission Bastarache

Commission Bastarache


Brian Myles - Les principaux protagonistes de la commission Bastarache ont ouvert leur jeu. La question qui brûle maintenant les lèvres? Entre Jean Charest et Marc Bellemare, qui croire? Pour y parvenir, le juge Michel Bastarache doit se baser sur une savante mécanique juridique, sans pour autant laisser de côté le gros bon sens.
Le Devoir a consulté deux éminents juristes pour tenter de percer les «mystères» de la crédibilité: Sylvain Lussier, procureur du gouvernement fédéral lors de la commission Gomery, et Louise Otis, médiatrice et juge à la retraite de la Cour d'appel. Les écrits de Réjean Paul, juge surnuméraire à la Cour supérieure, complètent cette incursion dans les méandres d'un plausible délibéré.
Le choc des versions contradictoires de Jean Charest et de Marc Bellemare, au sujet de l'ingérence des collecteurs de fonds libéraux Charles Rondeau et Franco Fava dans la nomination des juges, tient le monde du droit en haleine.
Peu importe la gravité de l'affaire, il faut d'abord soupeser la crédibilité des témoins, à la lumière de leur discours. «On va examiner la cohérence du témoin. Est-ce qu'il est précis dans son témoignage? Est-ce qu'il y a des détails confirmatifs? Est-ce que son récit est plausible? Est-ce qu'il y a des descriptions de temps et d'espace?», résume Mme Otis.
Pas une affaire de pif
Distinguer le fieffé menteur de l'honnête citoyen n'est pas une affaire de pif. Dans sa carrière de juge en première instance et à la Cour d'appel, Louise Otis n'a jamais accordé trop d'importance à la gestuelle des témoins, à leurs hésitations, leurs soupirs et même leurs contradictions secondaires.
De même, l'éloquence et la théâtralité, deux qualités foisonnantes au sein de la classe politique, ne suffisent pas à séduire les juges. Ils digèrent mal l'esbroufe et la rhétorique. «Les juges ne sont pas impressionnés par le "show", confirme Me Lussier. Les avocats n'ont toujours pas compris ça. Normalement, un juge est capable de voir quand il se fait remplir.»
Le juge cherche plutôt les failles, les imprécisions, les contradictions majeures. «Il peut arriver qu'un témoin ne soit pas assez précis. Mais quand il y a des contradictions qui demeurent inexpliquées, c'est lourd», précise Louise Otis. Autres signes qu'il y a anguille sous roche? «Des refus de répondre, des témoins élusifs, fuyants, imprécis. Ce sont tous des éléments qui allument une "lumière rouge" dans l'esprit du décideur», explique Mme Otis.
Un témoin à la mémoire parfaite est tout aussi préoccupant. «C'est normal de retenir le principal et d'oublier les détails de moindre importance. Mais il est étonnant parfois qu'un témoin se souvienne de certains événements avec une grande richesse de détails, alors que sa mémoire concernant d'autres événements soit beaucoup plus floue, presque nulle», a écrit le juge Réjean Paul dans un texte à l'intention des jurés qui a fait jurisprudence.
La carte maîtresse, c'est un aveu. «C'est l'as de pique! C'est le plus fort. Toute acceptation, par un témoin, d'un élément qui lui nuit impressionne le juge», estime Sylvain Lussier. À ce sujet, le témoignage accablant, pour ne pas dire la confession du publicitaire Jean Brault, lors de la commission d'enquête sur le scandale des commandites, fait figure d'exemple. Le commissaire John H. Gomery a bu les paroles du fondateur déchu de Groupaction.
Les délices du papier
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, dans un système fondé sur la recherche d'une parole véridique, le témoignage est à la fois important et suspect aux yeux du juge. Les menteurs professionnels peuvent mener le tribunal en barque. Combien d'erreurs judiciaires reposent sur de faux témoignages?
Dans l'affrontement Bellemare-Charest, la plupart des témoins défendent soit leur réputation, soit leur carrière, soit leur famille politique, soit les trois. Un témoin peut mentir ou biaiser son récit «pour en tirer avantage, pour se protéger lui-même, pour protéger d'autres personnes par dépit, pour nuire à d'autres», avertit le juge Paul dans ses écrits.
Les témoignages extérieurs et la paperasse (le met favori des juges) apparaissent alors comme de précieuses bouées de sauvetage. «La règle de base, c'est de trouver des éléments chez des témoins neutres, pour corroborer les principaux témoins. Le décideur aura tendance à se fier à eux, car les principaux protagonistes ont tous avantage à raconter l'histoire de la façon la plus favorable qui soit dans leur tête», explique Sylvain Lussier.
L'avocat voit en Michel Bouchard ce genre de témoin neutre. «C'est un haut fonctionnaire, un grand commis de l'État. Il n'a rien à gagner ou à perdre dans cette commission, et il a servi sous tous les gouvernements.» Or, M. Bouchard, qui était sous-ministre à la Justice sous Marc Bellemare, a contredit son ancien patron sur plusieurs points. Entre autres, il a dit qu'il n'avait jamais été mis au courant de pressions indues de Franco Fava et Charles Rondeau sur l'ex-ministre Bellemare.
La preuve documentaire vient compléter cet exercice de corroboration. Des agendas, des notes, des déclarations enregistrées, voire des procès-verbaux d'assemblées permettent de confirmer ou d'infirmer des témoignages. «On s'accroche toujours à quelque chose de matériel. C'est le filon», dit Louise Otis.
Au final, un témoin corroboré par d'autres témoins, dont le récit est soutenu par la preuve et dont l'histoire reste plausible du début à la fin, va finir par s'imprégner de façon positive dans l'esprit du juge.
Encore faut-il que la cause ait été bien menée. Sylvain Lussier déplore que tous les avocats à la commission Bastarache aient cherché, avant toute chose, à ébranler la crédibilité des Charest, Bellemare et consorts. «Ce n'est pas un procès criminel, dit-il. Il aurait fallu pousser plus loin, écouter les réponses. [...] On a poussé les témoins dans leurs derniers retranchements, mais certainement pas de manière efficace.»


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