Qu'en est-il vraiment, mais vraiment, des «accommodements raisonnables»?

Tribune libre

Des situations cocasses se répètent de plus en plus souvent. C’est tantôt le droit d’ajouter un élément exotique (un turban) à l’uniforme de la GRC, tantôt celui de porter une arme symbolique à l’école. Une autre fois, c’est une demande pressante de givrer ses vitres pour ne pas scandaliser le voisin, alors qu’il n’y a nulle matière à scandale. Ou d’interdire à une policière de s’adresser à un mâle s’il appartient à une religion donnée. Une autre fois encore c’est l’exigence de procurer un tapis de prière, voire même de mettre à disposition une salle pour prier. Ces revendications ne sont pas propres au Québec. Elles sont en train de se manifester dans plusieurs pays européens, et même ces jours-ci aux USA. Qu’est-ce donc qui peut expliquer un tel phénomène? Comment se fait–il que des exigences semblables ne se soient pas manifestées dans un pays musulman, ou en Israël, ou encore au Pendjab? Permettez-moi d’élaborer ma petite théorie sur le sujet.

À la différence d’autres cultures ou d’autres civilisations, les pays de tradition chrétienne ont développé, depuis le siècle des Lumières, la théorie de la séparation de l’Église et de l’État. Cette théorie, née au XVIIIe siècle d’un anticléricalisme évident, et souvent justifié, a trouvé plus tard une justification chrétienne dans les récits évangéliques. Le Christ ne dit-il pas : «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu»? La laïcisation qui en est issue a connu des destins divers : totale en France (mais aussi en Turquie), elle est mise en pratique au Québec de façon ponctuelle et en l’absence d’une codification générale. Ainsi, on a laïcisé les écoles, mais certains conseils municipaux continuent à débuter leurs réunions par une prière. Aux USA, on nage dans la contradiction. Dieu est sur les billets de banque, mais on ne précise pas de quelle divinité il s’agit. On vient d’inventer le concept d’une culture judéo-chrétienne, alors même que la culture judéo-arabe de l’Andalousie est bien plus évidente. Et George Bush prétend que Dieu lui parle sans qu’il soit tout à fait sûr lui-même s’il s’agit de Jésus ou de Yahwé. En Grande Bretagne, le monarque est encore le chef de l’Église anglicane, sans que cela ait une grande portée. Les pays scandinaves restent, quant à eux, attachés à un christianisme d’État assez rigoureux, et même rigide, parfois. Etc…

Loin de moi l’idée de condamner cette laïcité qui devrait figurer peut-être parmi les meilleures trouvailles de l’Occident. En tout cas, loin devant l’énergie nucléaire, par exemple.
Mais depuis quelques années, sous prétexte de laïcité, nous versons dans la négation même de ce qui a fait notre Histoire collective depuis 2000 ans. Nous sommes en train de jeter le bébé avec l’eau du bain. Un anticléricalisme à mon avis justifié par les abus de pouvoir nombreux de l’institution ecclésiale, un agnosticisme, voire un véritable athéisme que je respecte parfaitement, et un inconscient comportement que je qualifierais de suicidaire se sont conjugués pour nous faire rejeter en même temps l’institution ecclésiale et la foi, mais aussi la culture chrétienne qui constitue nos racines vieilles de 2000 ans. Nous voulons un État laïc et débarrassé de l’influence de l’Église et de ses dogme. Fort bien. Mais pouvons-nous, sans nous renier profondément, balayer d’un revers de la main nos cathédrales, notre chant grégorien, notre musique sacrée, nos Pieta, les fresques de nos églises et tout l’art sacré dans toutes ses dimensions musicales, architecturales, sculpturales, picturales, etc.? Pouvons-nous renier les valeurs évangéliques d’universalité, de solidarité, de partage et d’amour mille fois trahies, il est vrai, par nos dirigeants? Mais, également, mille fois reprises par des pamphlétaires nés dans notre culture, pour dénoncer ces mêmes trahisons?

J’avoue ne pas savoir grand-chose sur le Pendjab dont je ne parlerai pas. Mais je connais de très nombreux juifs et autant de musulmans agnostiques, voire carrément athées, souvent anti-rabbins ou anti-ulémas (si je puis dire). Mais extrêmement rares sont ceux d’entre eux, si rares qu’ils paraîtraient bizarres, rares sont donc ceux d’entre eux qui iraient jusqu’à renier le fond juif ou musulman qui est un élément largement constitutif de leur personnalité individuelle et collective.

En fait, en reniant les sources chrétiennes de notre culture, nous nous déracinons. Nous devenons incolores, inodores et sans saveur, en un mot insignifiants.

Nous créons ainsi dans nos sociétés un vide immense que les autres cultures, plus vivantes, plus dynamiques, plus sûres d’elles-mêmes s’empressent de chercher – consciemment ou inconsciemment - à combler pour une raison qui les dépasse et qui nous dépasse, parce qu’elle relève des lois physiques autant qu’humaines : LA NATURE A HORREUR DU VIDE.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    9 janvier 2007

    Je suis d'accord avec le contenu de cet article.
    La phrase citée ci-après et tirée de cet article résume bien ma pensée.
    «En fait, en reniant les sources chrétiennes de notre culture, nous nous déracinons. Nous devenons incolores, inodores et sans saveur, en un mot insignifiants.»
    Nous devons nous tenir debout.
    LB