Pourquoi tant de sacres?

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Le milieu de l'humour québécois : un nivellement par le bas

Le gala Les Olivier fut encore cette année la tribune de trop d’humoristes sacreurs. Comme si truffer leur langue de jurons — et combien d’entre eux en connaissent le vrai sens ? — est un laissez-passer vers le peuple dont ils se réclament. Car il existe chez les gens du show-business, mais aussi chez de nombreux artistes, la peur de s’exprimer dans une langue de qualité qui pourrait suggérer qu’ils sont au-dessus du « monde ordinaire » qui les adule. Pourtant, certains ne portent plus à terre, atteints du syndrome de la « grosse tête ».


Les vedettes qui rêvent de s’enrichir croient qu’en débarquant dans leur gala, revêtues de vêtements défraîchis qu’on n’oserait offrir à des itinérants, ils se la jouent « authentiques », tutoyant tout ce qui bouge et mâchant de la gomme pour calmer leur stress de nominé.


« Peuple »


Les humoristes sont-ils représentatifs de ce qu’on appelle le « peuple » ? Pourquoi agissent-ils avec un sans-gêne, une désinvolture et une grossièreté lorsqu’ils ne sont plus en spectacle, mais simplement eux-mêmes ? Il faut les voir dans les « talk-shows » alors qu’ils s’appliquent à caricaturer leur langue déjà pauvre ou pire, qu’ils masquent la langue correcte dans laquelle ils s’adressent devant des gens qu’ils souhaitent impressionner.


Est-ce une erreur de croire qu’avec l’augmentation du taux de scolarité au Québec, on était en droit d’espérer que le niveau général s’élève ? Et que l’usage systématique des jurons diminue ?






Or, c’est le contraire qui s’est produit. Dans ma carrière, j’ai interviewé nombre de vedettes de variétés : La Poune (Rose Ouellette) en passant par Claude Blanchard, Olivier Guimond et Gilles Latulippe. J’ai été émue devant ces vedettes qui en public faisaient un effort pour s’exprimer dans une langue que devraient leur envier plusieurs humoristes. Ces artistes populaires qui devaient sacrer comme on l’a toujours fait dans le milieu ouvrier ne se permettaient pas de s’exprimer en joual lorsqu’ils accordaient des entrevues.


Complaisance


Décidément, il existe une complaisance perverse chez trop de Québécois à massacrer la langue, à la caricaturer, la rendant ainsi incompréhensible au reste de la francophonie. Au nom de l’anti-élitisme, ce nuage polluant suspendu au-dessus du Québec. Au nom d’une affirmation identitaire où les sacres servent d’adverbes, d’adjectifs, de conjonctions et de verbes.


Cette langue, comprenons-le bien, n’est pas la langue de Fred Pellerin à qui ne rebutent pas les jurons qu’il emploie, lui, dans un sens poétique.


Or, la langue de ces humoristes est à l’image de celle des séries télévisées qui rassemblent des millions de téléspectateurs fidèles, qui ne bronchent pas devant la grossièreté, l’obscénité, et la violence du vocabulaire mis dans la bouche des personnages.


Justifier ces infractions contre la langue au nom de notre distinction collective, notre authenticité, notre créativité langagière est absurde.


Dimanche, François Morency a démontré qu’un humoriste peut être spirituel en nous faisant rire dans une langue qui n’est pas clanique. Mais, hélas, le « j’parle comme j’parle ? C’est quoi, ton problème, stie » a encore préséance sur le « Je me souviens ».


Vaut-il mieux en rire qu’en pleurer ?