Pour conjurer l’agonie du Québec

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Faire de l'indépendance un enjeu existentiel

Philosophe discret et profond, brillant apôtre de la pensée de Fernand Dumont, Serge Cantin est inquiet. La déroute actuelle du projet de souveraineté politique du Québec le taraude et le désole. Dans La souveraineté dans l’impasse, un recueil d’essais publiés dans divers journaux et revues depuis une quinzaine d’années, il reprend même une dramatique question de son maître : « Une nation comme la nôtre vaut-elle la peine d’être continuée ? »

Cantin, le 7 avril 2014, a voté, sans illusion, pour le Parti québécois, parce que, écrit-il, ce dernier, avec sa charte des valeurs québécoises, « affirmait l’existence d’un nous irréductible au communautarisme ghettoïsant » et tentait, ce faisant, de surmonter le désarroi qui affecte le Québec.

En un temps où l’on ne sait plus trop qui nous sommes et que vaut notre culture — n’entend-on pas répéter, de plus en plus fréquemment, que ce qui presse, c’est de se mettre à l’anglais pour éviter le déclassement ? —, la béatitude postnationaliste équivaut à consentir à notre disparition. « Refuser ou accepter cette agonie silencieuse, cette lente déchéance de la culture que l’histoire nous a léguée, écrit Cantin, tel était, pour Dumont, le choix éthique fondamental qui se posait à chacun de nous, et par rapport auquel la souveraineté et le nationalisme lui-même trouvaient leur raison d’être. »

Pour refuser cette agonie, pour « assumer le paradoxe que constitue le fait de vivre en français en Amérique », il faut avoir la conviction que l’héritage qui nous a fait être ce que nous sommes vaut la peine d’être continué. Or cette conviction nous fait défaut. Afin d’expliquer cette impasse, Cantin, qui s’inspire aussi des Miron, Vadeboncoeur et Bouthillette, recourt principalement à l’oeuvre de Dumont. Ça vole haut.

La Conquête de 1760 et ses suites, expliquait le regretté sociologue, ont donné naissance à l’idéologie de la survivance. Cette dernière, résume Cantin, « reposait sur une scission préalable entre la nation culturelle et la nation politique » et « postulait que la nation canadienne-française pouvait survivre comme nation culturelle minoritaire à l’intérieur d’un État qu’elle ne contrôle pas ».

Cette idéologie visait la conservation de la langue française, du catholicisme et d’un mode de vie spécifique. Elle se caractérise toutefois par une intériorisation du regard de l’autre, anglais. Les Canadiens français ressentent, en effet, la nécessité de convaincre le conquérant des avantages qu’il tire à maintenir une réserve française.

La Révolution tranquille, pour sortir de cette frustrante impasse, veut « raccorder ce que la survivance avait dissocié », c’est-à-dire la nation culturelle et la nation politique, mais, sur ce plan, elle tourne court, selon Dumont et Cantin, en se transformant en « procès du passé canadien-français », en rejet de l’héritage.

L’idéologie de la survivance se fondait sur une référence : langue, religion, mode de vie. Le dépassement de cette dernière, pour être signifiant, exigeait le ralliement autour « d’une nouvelle référence » — Dumont proposait le projet d’une « culture médiatrice » ou « de convergence » française — qui ne s’est jamais majoritairement imposée.

Le projet de souveraineté-association minait son potentiel libérateur en se soumettant à l’acceptation de l’État fédéral et le projet subséquent de nationalisme civique, un « souverainisme sans nationalisme », selon la formule de Laurent-Michel Vacher, privait la souveraineté de son sens en la coupant de son héritage culturel. Or la souveraineté, ça se prend, ça ne se quémande pas, et ça ne se dissocie pas d’une culture nationale substantielle.

Fatigue

L’état actuel du souverainisme québécois est la résultante de cette histoire. Faute d’une nouvelle référence partagée, d’une raison commune qui lui donnerait son sens, la souveraineté est dans l’impasse, le désarroi règne et l’agonie de la culture québécoise est en marche.

« On a parlé de fatigue culturelle, écrivait l’essayiste Jean Bouthillette à Serge Cantin en 1997. Il y a peut-être plus, ajoute l’auteur du Canadien français et son double (l’Hexagone, 1972) : la fatigue tout court. Et si ce peuple, chez les humbles comme chez les élites, ne voulait plus rien savoir ? Ne plus nous regarder dans les yeux. Les fermer et dormir. Disparaître en douce. Ne plus être. Nous engourdir dans l’hiver de force… »

Cantin, lui, nous regarde dans les yeux et nous incite, en renouant avec tout notre héritage culturel réinterprété à partir du présent, à conjurer l’agonie. Il faut le lire dans le texte parce que la vibration de son ardente écriture est peut-être, ici, la principale pourvoyeuse de sens.


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