Plaines d’Abraham: la bataille continue

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire



Par Vincent Muller – Semaine du 17 novembre au 23 novembre 2009



«C’est grâce à la victoire de Wolfe sur les Français que le Québec a pu préserver sa langue et sa culture», affirmait l’historien torontois Jack Granatstein, lors d’un débat sur les conséquences de la défaite française des Plaines d’Abraham en septembre 1759. Un point de vue qu’est très loin de partager Bernard Landry, ancien chef du Parti québécois, qui fut Premier ministre du Québec entre mars 2001 et avril 2003. Celui-ci a également pu faire valoir sa position sur la question lors du débat qui s’est tenu dans la soirée du mercredi 11 novembre au Musée royal de l’Ontario (ROM).
La soirée a commencé par un bref rappel des faits historiques concernant la bataille des Plaines d’Abraham et la Guerre de Sept Ans (1756-1763), par Desmond Morton, historien, professeur à l’Université McGill, pour qui durant cette guerre se sont déroulées «de nombreuses batailles cruciales pour le futur du Canada».
Le 13 septembre 1759, sur les Plaines d’Abraham, aux portes de la ville de Québec, les troupes françaises menées par le marquis de Montcalm et appuyées par des miliciens canadiens et leurs alliés amérindiens capitulent face à la marine britannique emmenée par le major général James Wolfe.
«Les lois du XVIIIe siècle voulaient que lorsqu’il y a victoire tout appartient à l’armée», rappelle l’historien pour qui les Français ont préféré se rendre pour éviter un carnage.
Par la suite, c’est James Murray, l’un des trois brigadiers de Wolfe, qui assurera le gouvernement de la ville de Québec. Nommé gouverneur militaire du district de Québec en 1760 puis gouverneur de la province en 1763, il en devient le premier gouverneur civil en 1764.
En tant que gouverneur, James Murray a refusé certaines règles, que les Britanniques voulaient imposer au territoire nouvellement conquis, afin de préserver la paix sociale. Pour Desmond Morton, «la survivance des français catholiques dépend de gens comme Murray» qui, notamment, favorisait les paysans francophones par rapport aux commerçants anglais fraîchement arrivés.
Victoire bénéfique ?
Jack Granatstein lui, va beaucoup plus loin en affirmant que cette victoire britannique est un bénéfice pour les Français. Il considère lamentable la polémique ayant entouré la reconstitution de la bataille des Plaines d’Abraham qui devait avoir lieu du 6 au 9 août dernier et estime que son annulation est une défaite pour le Canada et le Québec. Pour lui «les revendications de ces groupes qui veulent des excuses de la couronne sont ridicules». «Il est temps d’avancer», lance t-il, «et le Québec ne le fait pas».
«La terreur, les expropriations, si Montcalm avait gagné il aurait fait la même chose», ajoute-il. Pour l’historien il n’y a pas eu de décapitation sociale, les administrateurs sont rentrés en France et ont été remplacés par des Britanniques. Il reconnaît toutefois que les administrations ont été difficiles avec les francophones et qu’il y a longtemps eu des discriminations, notamment au sein de l’armée canadienne.
Selon Jack Granatstein, le comportement du Québec engendre un certain nombre de problèmes. L’image qu’il a de la Belle-Province est loin d’être reluisante: «Les plus de 65 ans sont de plus en plus nombreux, l’immigration est faible, entre 16 et 18%, le nombre de personnes touchant des aides sociales est de plus en plus important, le taux de chômage a atteint un niveau historiquement haut, la législation sur les langues a fait partir de nombreuses maisons mères…» et ceci «n’est en rien la faute du fédéral, c’est les résultats de choix politiques des gouvernements précédents».
«Certaines lois sont meilleures qu’en Ontario, d’autres plus mauvaises, mais les performances économiques de l’Ontario n’ont cessé de croître durant les 40 dernières années», ajoute l’historien, pour qui les choses seraient pires au Québec si la province était indépendante et ne bénéficiait plus de la péréquation.
En concluant son intervention il enfonce le clou: «On a le système le plus décentralisé du monde, la politique étrangère est faible, le gouvernement fédéral est si faible qu’il ne peut même pas gérer une campagne de vaccination!»
«Ce sont les politiciens québécois qui ont modelé le Canada, mais le Québec se sent toujours victime. Tout est vu selon le prisme de la langue et de la race.» Considérant que sans les Britanniques, les Américains, beaucoup plus assimilationnistes auraient pris le dessus, il termine en affirmant que «la seule raison pour laquelle ils (les Québécois) existent comme peuple c’est grâce à la victoire de Wolfe.»
Patriote, pas séparatiste
Suite à une telle conclusion, Bernard Landry ne s’est pas fait prier pour intervenir et défendre ses positions, avançant des arguments totalement opposés et contestant certains des chiffres données par Jack Granatstein.
«Je ne suis pas un séparatiste mais un patriote», insiste-t-il. Quand à la bataille des Plaines d’Abraham, «c’est évident que ce fut un désastre, une tragédie.» Il poursuit en énumérant les nombreuses conséquences néfastes de la victoire de Wolfe sur Montcalm: l’abandon des élites, des aristocrates, des marchands ainsi que des officiers de l’armée, la disparition des classes sociales au Québec, la rupture des liens financiers et commerciaux avec la France, la forte baisse du taux d’alphabétisme auprès de gens qui «ont préféré l’ignorance à l’assimilation» ainsi que le remplacement de l’État par le clergé, pas «toujours dans l’intérêt du peuple».
«La colonisation a duré jusqu’en 1960 et le sentiment de supériorité des anglophones sur les francophones n’a pas cessé», affirme-t-il. Selon lui, jusqu’en 1960, les activités économiques étaient régies par les Anglais et la Révolution tranquille a permis aux Québécois de devenir maître dans leur propre maison.
Il balaye les critiques de Jack Granatstein concernant l’économie du Québec, affirmant que «son PNB est supérieur à celui de l’Ontario», ajoutant que la province a vu naître de grands groupes tels Bombardier, Lavalin ou CGI alors que l’Ontario est davantage connue pour l’industrie automobile dont les maisons-mères sont étrangères. Il mentionne également les arts et la culture qui s’exportent bien, citant le Cirque du Soleil et Céline Dion.
Pour le souverainiste, le Québec a toujours subi les décisions du Canada: il rappelle les mesures disproportionnées prises, durant la crise d’octobre 1970, par le gouvernement fédéral qui a envoyé l’armée et «arrêté plus de 500 intellectuels» et se permet une comparaison rapide avec l’Europe: «Il a suffi qu’un seul pays, l’Irlande, vote non à un traité pour qu’il ne soit pas ratifié. Ici, en 1982, le Québec était contre le rapatriement de la constitution mais Ottawa a dit oui».
Bernard Landry est donc sans concession: pour lui, la défaite n’a rien apporté de bon au Québec qui était, déjà en 1759, une nation «multiethnique depuis longtemps» avec des racines amérindiennes françaises et irlandaises, et qui est toujours une nation à part entière.


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