Pipeline Trans Mountain: Ottawa imposera sa volonté

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Trudeau dédommagera Kinder Morgan

Après la médiation, l’action. Le premier ministre Justin Trudeau a changé de ton dimanche dans le dossier du projet d’oléoduc Trans Mountain et a annoncé que son gouvernement prendra les moyens financiers et législatifs pour qu’il se réalise malgré l’impasse politique dans laquelle il est embourbé. Une approche qui laisse perplexes certains experts et écologistes.


Au cours d’un point de presse dans lequel il a souligné « l’intérêt national » du projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, le premier ministre Trudeau a déclaré avoir demandé à son ministre des Finances, Bill Morneau, d’entreprendre des négociations avec l’entreprise Kinder Morgan afin d’« éliminer l’incertitude » planant sur le dossier. Ottawa pourrait par exemple devenir un participant financier dans ce projet de 7,4 milliards.


Justin Trudeau n’en est pas resté là, déclarant qu’une pièce législative était dans les plans pour « réaffirmer et renforcer » le fait que le gouvernement fédéral a la compétence pour approuver le projet et s’assurer qu’il se concrétise. Le premier ministre est par contre resté avare de détails, disant que les négociations ne se feraient pas publiquement.


« On va pouvoir démontrer aux investisseurs que nous sommes un pays de droit où, quand les processus sont suivis comme il faut et qu’on approuve des projets, on est capables de créer ces projets », a-t-il dit.


Rencontre infructueuse


M. Trudeau a fait ces déclarations peu après une rencontre infructueuse de près de deux heures avec la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley,et le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan.


Ce dernier s’oppose à l’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain, entre autres en raison des dommages environnementaux qu’un déversement pétrolier pourrait causer pour les côtes de sa province, où le tourisme est un enjeu de taille. M. Horgan, qui mène un gouvernement néodémocrate, invoque des enjeux de compétence, mais est aussi aux prises avec un problème politique, lui qui doit en effet son pouvoir à une alliance avec le Parti vert.


Rachel Notley a déclaré que le gouvernement fédéral et celui de l’Alberta avaient convenu d’un plan pour éliminer le risque des investisseurs entourant le projet d’expansion de Trans Mountain. Par conséquent, a-t-elle soutenu, l’oléoduc « sera construit », ajoutant que « personnellement et au non des Albertains, nous n’abandonnerons pas tant que le travail ne sera pas fait. »


Il y a une semaine, Kinder Morgan a cessé les dépenses jugées non essentielles au projet. L’entreprise américaine a accordé à Justin Trudeau jusqu’à la fin mai pour trouver une solution qui offrirait aux investisseurs une certaine garantie que le projet pourra aller de l’avant. Il doit permettre de plus que doubler la capacité de l’oléoduc existant, qui relie Edmonton à Burnaby, en Colombie-Britannique.


Le gouvernement de Justin Trudeau a donné son feu vert au projet l’automne dernier.


Éléphant blanc ?


Frédéric Boily, professeur de science politique à l’Université de l’Alberta, a noté le changement d’approche d’Ottawa dans le dossier.


« Le gouvernement fédéral et Justin Trudeau se sont engagés beaucoup plus fermement que ce qu’ils avaient fait jusque-là, a-t-il noté lors d’une entrevue à Radio-Canada dimanche. On disait que le projet était important, mais je pense qu’on est maintenant à une étape où on va vers les actes. »


Aux yeux du professeur Boily, les enjeux de compétence sont beaucoup moins importants que ceux autour de la joute politique. « Le gouvernement de M. Trudeau se réclame de la collaboration, du fédéralisme de coopération et, dans ce contexte, s’il apparaît trop directif, s’il [semble] avoir imposé sa décision au gouvernement de la Colombie-Britannique, eh bien, ça peut lui créer des problèmes. »


Reste que, selon le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, la gestion de M. Trudeau est un échec. « La responsabilité de cette situation revient entièrement à Justin Trudeau, a dit M. Scheer dans un point de presse. Il a échoué à chaque étape. […] Il est temps qu’il prenne les choses au sérieux et nous montre un plan pour le projet Trans Mountain. »


M. Scheer accuse M. Trudeau d’avoir fait perdre au secteur énergétique canadien des investissements de 80 milliards au fil des derniers mois.


Greenpeace Canada a pour sa part affirmé qu’Ottawa commettrait une grave erreur en adoptant des mesures législatives et financières pour forcer la construction de ce pipeline. « Le gouvernement fédéral n’aura jamais assez d’argent pour “acheter l’opposition” à ce pipeline, car celle-ci est fortement ancrée dans une optique de protection de l’environnement, de respect de nos engagements climatiques et de réconciliation avec les peuples autochtones, a déclaré par voie de communiqué le responsable de la campagne Énergie-Climat de Greenpeace Canada, Patrick Bonin. »


Karel Mayrand, directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki, croit pour sa part que « c’est un non-sens que le gouvernement mette des fonds publics dans ce projet-là », d’autant que le pays pourrait se retrouver d’ici quelques années avec des infrastructures beaucoup moins utilisées. L’oléoduc Trans Mountain deviendrait « un peu comme un éléphant blanc, c’est troublant. »


Création d’emplois


Au sujet de l’éventuelle contribution financière du gouvernement fédéral au projet, Justin Trudeau a par ailleurs expliqué que le futur oléoduc ferait en sorte que le pays recevrait « plus d’argent pour [ses] ressources » et permettrait de créer des emplois de qualité.


« Cela démontre notre engagement en 2015 de créer de la croissance économique tout en protégeant l’environnement. »


M. Trudeau a déjà dit maintes fois que son gouvernement avait mis en place les politiques et les protections environnementales nécessaires pour réduire les risques d’un déversement pétrolier et que le projet d’expansion pour acheminer les ressources canadiennes sur les marchés d’exportation était crucial pour l’économie canadienne.


Mais selon le professeur Éric Pineault, du Département de sociologie et de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal, le premier ministre s’entête à mettre en avant une position bidimensionnelle irréaliste.


« À son avis, il faut moderniser les politiques environnementales, mais aussi soutenir l’industrie extractive. C’est une position intenable. Il s’y accroche quand même depuis qu’il est au pouvoir », a soutenu le professeur.


> La suite sur Le Devoir.



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