Perspectives - Big Brother Inc.

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Le modèle américain dénoncé

Les dernières semaines ont permis d’en apprendre un peu plus sur les services de renseignement américainainsi que sur leurs liens étroits avec l’entreprise privée.
Les journaux ont beaucoup parlé, ces derniers mois, des fascinantes perspectives d’affaires qu’ouvre désormais la masse de données que peuvent transmettre nos téléphones, tablettes et mille et un autres bidules électroniques. Le croisement de seulement quelques-unes de ces données permettrait d’apprendre un tas de choses sur nos habitudes de vie et de consommation, leur conférant ainsi une valeur commerciale en forte hausse.
Les révélations faites par l’analyste informatique Edward Snowden sont venues jeter un tout autre éclairage sur l’usage que l’on pouvait faire de ces impressionnantes capacités technologiques. Le jeune Américain, maintenant en fuite, a expliqué comment son ex-employeur, la firme privée de consultants technologiques Booz Allen Hamilton, s’est vu sous-traiter, au nom de la protection de la sécurité nationale, la collecte et le traitement de données recueillies sur leurs clients par des compagnies de téléphonie cellulaire, comme Verizon, et par les plus grandes entreprises Internet du pays, dont Google, Facebook, Microsoft et Apple.
L’histoire n’a pas manqué de soulever une controverse sur la surveillance que le gouvernement devrait, ou ne devrait pas, exercer sur ces données privées. Elle a sans doute bien fait rire en Chine, que les Américains ont beaucoup accusée de se servir d’Internet pour faire de l’espionnage économique à grande échelle.
L’utilisation, par l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA), de données recueillies aux États-Unis et à l’étranger par des sociétés technologiques américaines n’est pas sans rappeler les craintes soulevées par la possible venue en Amérique de l’équipementier chinois Huawei et qui s’y est finalement vu interdire la vente de ses routeurs pour des raisons de sécurité nationale. Il n’en fallait pas plus pour que des voix réclament en Europe la création de grandes compagnies Internet locales capables de remplacer les Américains devenus peu fiables.
Recours grandissant au privé
L’affaire donne également un aperçu du recours grandissant du gouvernement américain au secteur privé, non seulement en matière de défense, mais aussi de renseignement. On estime qu’environ le tiers des 1,4 million de personnes ayant la cote de sécurité top secret aux États-Unis travaillent désormais pour des sous-traitants privés. En pleine expansion depuis les attentats du 11-Septembre, cette industrie accaparait même 70 % des quelque 70 milliards dépensés annuellement en matière de renseignement.
Le nombre d’anciens espions américains transformés en consultants privés - ou vice versa - ne cesse d’augmenter, rapportait The Economist, il y a dix jours. L’exemple le plus souvent cité est celui de l’ex-vice-amiral Mike McConnell, qui est passé de la direction de la NSA à un poste de vice-président chez Booz Allen Hamilton, avant d’être nommé à la tête de l’autorité suprême aux États-Unis en matière de renseignement (National Intelligence), puis de revenir chez Booz Allen Hamilton.
Ce recours croissant au secteur privé en matière de renseignement pose de nombreux problèmes, constatait, jeudi, l’expert de l’Université nationale de Singapour, Simon Chesterman, dans le site d’analyse Project Syndicate. L’un d’eux est « qu’elle autorise les sous-traitants à mener des activités qui seraient normalement considérées comme illégales, mais en leur promettant l’impunité de manière expresse ou implicite, et dans un environnement visant à les soustraire aux regards ». Le fait qu’Edward Snowden se disait capable « de mettre sur écoute n’importe qui » illustre l’ampleur de ce problème. Cette pratique présente aussi le danger de donner une influence considérable au secteur privé sur la conception et la conduite de politiques à la fois essentielles et on ne peut plus délicates en démocratie.
Il arrive que le marché parvienne à discipliner les entreprises, notamment lorsque le jeu de la concurrence fait son oeuvre et que l’information circule librement, note Simon Chesterman. Malheureusement, aucun de ces facteurs n’est présent dans le monde du renseignement.
Les responsables américains se sont défendus, la semaine dernière, en affirmant qu’une cinquantaine d’attentats terroristes avaient été déjoués grâce aux écoutes de la NSA, dont dix aux États-Unis. L’argument semble trouver un certain écho dans la population, une mince majorité d’Américains se disant d’accord pour que le gouvernement recueille des données téléphoniques et Internet dans sa guerre contre la menace terroriste, selon le Pew Research Center.
Les jeunes de 18 à 29 ans se démarquent de deux façons, dont une étonnante. D’abord, plus de la moitié d’entre eux (55 %) s’opposent à cette pratique. Mais cette opposition baisse ensuite à 47 % - contre 59 % dans la population générale - lorsqu’il est question de l’utilisation des mêmes données, mais cette fois, par des compagnies privées à des fins commerciales.


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