Ouragan meurtrier

Depuis une semaine au moins, toute la planète de l'information vit au rythme de la volonté du pasteur Terry Jones

L’Empire - l'instrumentalisation du religieux



Comme tout bon militaire confronté à une situation qu'il trouve ridicule, le général Petraeus, commandant des troupes américaines en Afghanistan, a dû lancer quelques jurons bien sentis. Il venait d'apprendre par un de ses officiers de renseignement qu'un illuminé avait décidé d'organiser en Floride un autodafé d'exemplaires du Coran. On lui rapporta que déjà la nouvelle faisait le tour des mosquées extrémistes de Kaboul et de Kandahar. Il poussa quelques autres jurons.
Quai Charles-de-Gaulle à Lyon, le chef de la section antiterroriste d'Interpol reçut le même jour un message du ministre des Affaires étrangères du Pakistan qui s'inquiétait des répercussions possibles de cet autodafé dans son pays. Le ministre rappelait aussi que l'événement se déroulerait tout juste à la fin du ramadan, période où la ferveur religieuse est particulièrement exacerbée. Interpol décida d'émettre une alerte.
Au Pentagone, en début de semaine, les messages alarmants s'accumulaient: manifestations en Indonésie, au Pakistan, en Afghanistan, en Iran. On demanda au général Petraeus de déclarer que l'autodafé mettait en danger la vie des soldats américains et le département d'État suivit en émettant une alerte mondiale à l'intention des voyageurs américains.
Hier matin, le président Obama donnait sa première conférence de presse depuis quatre mois. En ces temps difficiles pour lui, il souhaitait mettre de l'avant son programme de relance économique. Mais la machine médiatique était déjà emballée et incontrôlable, pour ne pas dire surréaliste. Ce sont ses commentaires sur le projet de brûler des exemplaires du Coran qui firent les manchettes des chaînes d'informations continues.
Depuis une semaine au moins, toute la planète de l'information vit au rythme de la volonté du pasteur Terry Jones qui est maintenant plus célèbre que son homonyme, le merveilleux comédien du groupe britannique Monty Python.
Le parcours du révérend Jones ressemble étrangement à celui d'une petite dépression tropicale perdue au-dessus de l'océan et qui au gré des courants, des vents, de la température se transforme en tempête tropicale puis d'ouragan force 1, atteint l'ampleur terrorisante d'un ouragan force 4 qui menace de détruire tout sur son passage.
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Cet homme à la barbe mal taillée, vêtu de Fortrel gris délavé et qui s'exprime dans une langue approximative ne représente personne sinon une cinquantaine de paumés qui fréquentent son «Église». Son parcours le rend suspect. Pasteur d'une petite église fondamentaliste à Cologne en Allemagne, il fut remercié par sa congrégation pour instabilité psychologique. Il adore se faire interviewer derrière son bureau où trônent les symboles de ses convictions, une Bible et un revolver semi-automatique qui repose probablement sur le brouillon de son prochain prêche. Sa situation financière est plutôt mystérieuse et celle de son «Église» fait l'objet d'un examen de la part des autorités municipales de Gainesville.
Objet d'un reportage par un étudiant d'une école secondaire, Terry Jones n'aurait pas passé le filtre de la crédibilité minimum sinon dans la catégorie «crackpot» de la semaine, mais il a subi l'examen de la nébuleuse médiatique. Une fois sur les réseaux sociaux ou YouTube, cité probablement par un journal local, puis filmé par une télé régionale affiliée à un grand réseau, l'ovni fondamentaliste est apparu dans quelques salons. Puis le phénomène encore marginal fut nourri par les journalistes qui demandèrent à un politicien de commenter le projet d'autodafé. La dépression tropicale s'était transformée en ouragan maintenant incontrôlable. Une fois commenté par des hommes politiques crédibles, le projet d'autodafé devenait un événement significatif et porteur de sens.
Les médias, emballés comme des chevaux fous, oublièrent toute prudence et tout sens des responsabilités. Cet homme qui ne représentait que cinquante personnes, et encore, devint un symbole de l'islamophobie qui semblait assombrir les États-Unis. Pour mieux inventer un semblant de crédibilité au débat qui fit rage durant toute la semaine, on lia le projet d'autodafé à celui de la construction d'un centre culturel islamique à quelques centaines de mètres de Ground Zero. Voilà maintenant que c'étaient des musulmans qui devaient se défendre contre un manque de respect pour les victimes du 11-Septembre. Aux dernières nouvelles, on mettait encore en balance la construction du centre islamique contre l'abandon du projet d'autodafé. Nous sommes dans l'absurde absolu. Un pasteur extrémiste qui prétend négocier avec un imam modéré qui prêche le dialogue entre les religions. Hier matin, après la prière à Kaboul, un Afghan qui protestait contre le pasteur Terry Jones fut tué par les forces de sécurité. Cet homme a été assassiné par la folie médiatique, l'obsession de la concurrence, le refus de la prise de responsabilité.
Cet homme ridicule et dérangé, une fois «adopté» par les médias, puis utilisé, décrit, publicisé, est devenu dans le monde musulman le symbole d'un préjugé qui était déjà solidement ancré à la suite de l'invasion de l'Irak et de l'appui inconditionnel de Washington à Israël: les États-Unis sont en guerre contre l'islam. Comment maintenant CNN peut-elle expliquer que Terry Jones n'est pas représentatif des Américains? Comment leur dire qu'il n'est qu'un illuminé isolé? Peut-être en insistant sur une déclaration de Terry Jones qui disait il y a quelque temps que l'autre religion de Satan avec l'islam est le judaïsme. De cela, on n'en a pas beaucoup parlé.


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