Notre peuple n'a pas les chefs qu'il mérite

Abraham Lincoln disait de ce genre de leaders que la différence entre un homme d’Etat et un politicien, c’est que l’homme d’Etat pense à la prochaine génération et le politicien, à la prochaine élection.

Chronique de Jean-Jacques Nantel

Il y a deux explications au fait qu'une superpuissance morale comme le Québec continue à être dominée à treize contre un par un autre petit peuple comme le Canada anglais au lieu de se tenir à sa place, c'est-à-dire dans le peloton de tête des peuples dignes de prendre la direction morale à l'humanité.
La première cause de cet état de fait est notre isolement géographique; un isolement tel que le pays a été découvert il y a moins de cinq siècles. Le fait d'habiter au bout du monde, c'est-à-dire à la dernière porte avant le pôle Nord, a toujours beaucoup réduit l'impact des grands événements mondiaux sur notre culture. Vivre dans l'ombre du géant américain qui, par sa seule présence, nous protège de tout, a encore accentué le phénomène et fortement contribué à faire de nous d'éternels retardataires.
Déjà, en 1839, Lord Durham avait noté dans son fameux rapport que les idées des philosophes français, sur lesquels s'appuyaient nos intellectuels, n'avaient rien à voir avec la réalité presque moyenâgeuse du Québec d'alors. De nombreux penseurs comme Alexis de Tocqueville, Louis Hémon, Jules Verne ou le Général de Gaulle devaient faire des remarques du même genre sur nos plus évidents retards culturels. Aujourd'hui encore, notre isolement a un effet retardateur important puisque nous sommes un des rares peuples de cette taille à ne pas avoir accompli sa décolonisation.
Si toutes ces remarques sont valables, il reste que la cause première de notre arriération politique actuelle est l'invasion de 1760 qui s'est terminée par l'expulsion de nos élites d'origine (qui sont retournées en France). Ce vide culturel, qui a été créé délibérément dans l'intention de nous détruire, est le principal responsable du fait que, dans le Québec moderne, le peuple vaut mieux que ses élites. Ici, le peuple est adulte et a quatre siècles d'âge alors que ses élites ont été recréées artificiellement il y a à peine cinquante ans lors de la Révolution tranquille. Nos jeunes élites font penser à de jeunes adolescentes timorées et rougissantes qui ont peur du grand monde.
Si nous sommes un peuple de naïfs que tout le monde traite et considère comme tel, c'est parce que la plupart de nos élites, trop jeunes, n'ont pas encore su se mettre à la hauteur de leur rôle historique en défendant nos intérêts avec courage.
Reprenant les thèmes politiquement corrects des autres peuples blancs, qui sont à juste titre honteux de leur passé de génocidaires, d'esclavagistes ou de collaborateurs nazis – des crimes auxquels notre peuple n'a pas participé - nos élites préfèrent en remettre dans le sens de la pureté en blâmant leur propre peuple pour son ¨racisme¨. C'est également à ce réflexe d'autodénigrement que nous devons leurs sempiternelles jérémiades concernant la trop longue domination de l'Eglise catholique sur notre société; une domination qui doit son origine, non à la sottise du peuple, mais à l'expulsion de ses autres élites en 1763. Ce ne sont pas les victimes qu'il faut blâmer, mais leurs agresseurs!
Et que penser de l'extrême pureté environnementale dont font preuve nos écologistes et qui bloque notre développement? Dans le golfe du Saint-Laurent, l'idée, valable en soi, qu'il faut protéger les petits poissons retarde indûment l'exploitation de nos hydrocarbures alors même que Terre-Neuve ne se gène pas pour installer des plates-formes de forage au milieu des immenses icebergs qui dérivent au-dessus des plus productives pêcheries du monde; des pêcheries déjà extrêmement mal en point par suite d'une surpêche intensive. Développement là-bas, purisme ici!
En définitive, comme le Canada anglais, les immigrants et même l'Eglise catholique d'antan n'ont jamais fait autre chose que de défendre leurs intérêts, ce sont nos élites qui doivent être tenues pour responsables de notre actuelle paralysie politique. Quand je parle de nos élites, je parle bien sûr de nous; c'est-à-dire de moi qui écris et de vous qui me lisez.
La piètre qualité de nos élites
Qui et que sommes-nous exactement? De quoi se composent nos élites actuelles? D'abord, de 10 à 15% d'apeurés qui n'oseront jamais se tenir debout pour clamer haut et fort les vérités politiquement incorrectes qui pourraient servir notre peuple. Ce ne sont pas les Québécois qui sont comme ça; c'est l'humanité. Ce type d'hommes existent en effet partout sur la planète et à peu près dans les mêmes proportions.
Il y a ensuite toute la bande des ¨récupérés par le système¨, ces tristes sires qui, pour des hochets comme un siège au Sénat ou pour un peu d'or, aident nos agresseurs de toujours en déclarant ¨qu'on n'est pas capable¨, ¨qu'ils ne veulent pas se retrouver avec des pesos¨ ou que ¨la souveraineté est inatteignable¨.
Pas loin derrière, dans le même groupe, on retrouve toute la tribu des métis calculateurs qui, à l'instar de John James Charest ou d'Elliott Trudeau, préfèrent travailler pour la moitié ¨supérieure¨ de leur famille en luttant à cent contre un contre les vaincus sans défense de l'autre moitié. Ça aussi, c'est de l'hommerie universelle!
Puis viennent les conjoints d'immigrants qui font les généreux à nos frais. Ici, au lieu que ce soit l'époux immigrant qui donne une preuve de son amour en faisant le bien et en aidant le peuple victime, c'est l'époux québécois qui donne une preuve d'amour en faisant le mal et en se joignant au peuple agresseur, encore une fois à cent contre un! Quand on parle de naïfs!
A cela s'ajoute les ¨petits chefs¨ qui connaissent uniquement les problèmes de leurs patelins et ignorent tout des gigantesques métamorphoses qui sont en train de remodeler en profondeur le reste du monde. Ayant souvent une culture politique et historique des plus sommaire, ces leaders faits pour gouverner des villages sont prisonniers de notre culture vieillissante et à évolution lente et sont psychologiquement incapables de comprendre qu'un phénomène hyperimportant comme l'accélération de l'histoire va tout bouleverser sur cette planète à très court terme - dix ou vingt ans au maximum. Ainsi, ils ne réalisent pas que le transfert massif de puissance et de richesse de l'Occident vers l'Asie et l'effondrement ultrarapide de la natalité sur tous les autres continents a toutes les chances de provoquer au Québec et dans les autres pays appauvris de l'Occident une rapide inversion des actuels flux migratoires. (Car les immigrants se dirigeront toujours vers la richesse et le confort et non vers des pays quasi polaires, aux rues défoncées et où il y aura bientôt d'énormes pensions de vieillesse à payer!)
N'oublions pas de mentionner les mous et les timides. Anxieux de se faire pardonner le massacre de six millions de Juifs par les Nazis, ces individus se gardent bien de dénoncer les méfaits de tous ceux qui nous nuisent, nommément les Canadiens anglais et tous ces immigrants qu'ils font venir des quatre coins de la planète pour nuire à un petit peuple qui leur a seulement fait du bien. Ne voulant pas mettre en danger leur réputation d'humanistes et de progressistes, ces leaders se gardent bien de nous défendre en disant la simple vérité et préfèrent distribuer à la ronde des excuses antiracistes... et l'argent de nos taxes.
Obligés de lutter contre cette pitoyable partie de nos élites et contre leurs alliés d'Ottawa et du monde international, on pourrait s'étonner que, lors du référendum de 1995, nos élites les plus braves, qui s'étaient regroupées autour d'un homme d'Etat en avance sur son temps comme Jacques Parizeau, aient presque réussi à briser notre carcan colonial. En réalité, si cette tentative faillit réussir, ce fut d'abord et avant tout parce qu'au Québec, le peuple vaut mieux que ses élites.
Comme notre peuple est adulte depuis longtemps, il a parfaitement compris où étaient ses intérêts et, en 1995, il s'est simplement montré disposé à suivre un vrai chef quand celui-ci se manifestait. Mieux: au cours des quinze années suivantes, il allait faire preuve d'un courage tranquille en continuant à appuyer à 45-50% la souveraineté alors que le Canada anglais menaçait en termes voilés de l'attaquer militairement si jamais il osait un jour voter ¨oui¨. (C'est cela la menace de partition!) C'est faux que notre peuple soit lâche!
Quand on considère ces chiffres et le manque de cran manifesté par nos élites lors du débat sur la partition, il apparaît clairement que notre peuple est loin d'avoir les élites qu'il mérite!
La ¨stratégie pour les peureux¨
La courbe rentrante du mouvement souverainiste, qui fut amorçée lors de la prise de fonction de Lucien Bouchard, a été décidée par les leaders souverainistes eux-mêmes et non par la base. Voyant que son grand frère courageux, Jacques Parizeau, lui avait lâché la main en démissionnant au lendemain du référendum perdu, le pauvre Lucien dut alors se sentir comme un petit garçon abandonné dans une grande forêt obscure, car il entreprit aussitôt d'amadouer les grands méchants loups du Canada anglais en jouant au ¨rassembleur¨.
Pour ne plus devoir parler de souveraineté, il reprit à son compte la ¨stratégie pour les peureux¨ élaborée au cours de la Révolution tranquille. Basée sur l'idée que le peuple est lâche, cette stratégie consiste à toujours temporiser et à constamment diluer le projet souverainiste dans le but de rassurer et de se gagner les fameux indécis. Bouchard et ses successeurs à la tête du PQ répétèrent donc à l'envie, lors de chaque élection, que ce serait lors d'un autre référendum portant sur cette seule question que la souveraineté serait un jour décidée. Cela avait l'avantage, lors d'élections, de faire oublier l'option du parti en parlant uniquement de la performance du gouvernement sortant tout en persuadant les souverainistes de travailler gratuitement pour les faire élire. Quand arrivait la soirée des élections, cependant, les souverainistes se faisaient dire par leurs chefs élus qu'en définitive, ils venaient de participer à une élection référendaire et qu'il n'y aurait donc pas de référendum ¨parce qu'on n'avait pas le pourcentage¨. Autrement dit, ce n'était pas Lucien Bouchard qui avait obtenu 43% du vote en 1998, mais la souveraineté. Ce n'était pas aux bévues d'André Boisclair que le PQ devait sa pitoyable performance de 2007, mais à son option. Et si le PQ de Pauline Marois put redevenir l'opposition officielle en 2008, c'était parce que celle-ci n'avait pratiquement pas parlé de souveraineté.
Après avoir passé par l'étapisme, l'attente des conditions gagnantes, un moratoire sur les référendums et la mise en veilleuse de l'option, les leaders souverainistes en sont désormais arrivés à son abandon pure et simple. Dorénavant, ils affirment aux souverainistes que, pour faire progresser leur cause, il leur faut éviter d'en parler pour être élu, éviter d'en parler pour rester au pouvoir, éviter d'en parler pour se faire réélire et, en cas de défaite, éviter d'en parler pour éventuellement reprendre le pouvoir. Résultat: la population du Québec doit désormais choisir entre le Parti Libéral, le parti des Anglophones; l'ADQ, un parti qui fait semblant d'avoir toujours été fédéraliste et le Parti Québécois, le parti qui sert à faire patienter les souverainistes.
Pitoyables, les leaders souverainistes affirment même sans rire que, pour défendre leurs intérêts, les souverainistes doivent absolument rester groupés derrière leurs chefs néo-fédéralistes et qu'ils doivent éviter de disperser leurs forces. Quand il s'agit de perdre, ces médiocres à la belle prestance ont toujours été très compétents!
Abraham Lincoln disait de ce genre de leaders que la différence entre un homme d'Etat et un politicien, c'est que l'homme d'Etat pense à la prochaine génération et le politicien, à la prochaine élection.
Changer de stratégie
Maintenant que, par le remplacement des générations, nos élites arrivent enfin à l'âge adulte, il est grand temps pour elles de changer de stratégie et de faire preuve d'autant de courage que le peuple. Il faut donc travailler à convaincre les fédéralistes braves en utilisant tous les arguments positifs (moraux, économiques et autres) qui ont été délibérément laissés de côté depuis cinquante ans pour ne pas effrayer les effrayés. Il faut arrêter de susciter le mépris et de jouer aux naïfs et aux coupables. Il faut appliquer une énorme pression de nature morale sur les groupes ethniques pour les convaincre de se joindre à nous et d'arrêter de nuire.
Et, surtout, il faut mettre un terme à cet agaçant pleurnichage de perdants qui a cours dans notre intelligentsia. Oui, les Fédéraux ont encore gagné! Oui, ils ont de nouveau mieux manoeuvré que nous! C'est vrai! Et alors? On se crache dans les mains et on recommence; on finira bien par gagner!
Jean-Jacques Nantel, ing.
Octobre 2010


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