Non, monsieur Bugingo, les défenseurs de la Charte de la laïcité ne sont pas des nazis

49ff1ba0366f232b3f511f43e30ec375

On ne peut pas dire n'importe quoi et demeurer crédible

Monsieur François Bugingo, vous êtes contre la Charte de la laïcité que le gouvernement de Pauline Marois propose. Dans un débat démocratique, c’est tout à fait naturel d’avoir une opinion différente de celle des autres. Tout le monde sait que dans une démocratie nous pouvons être du côté de la majorité ou du côté de la minorité, du camp du gouvernement comme de celui de l’opposition, et il est aussi bien légitime qu’acceptable de ne prendre aucune position. Mais critiquer la Charte de la laïcité de la façon dont vous le faites en prétendant que vous n’êtes ni pour ni contre est une tentative de tromper le lecteur en prétendant que votre position est celle d’un observateur neutre et objectif. Toutefois, même si vous ne dites pas clairement dans votre lettre que vous êtes «ni contre ni pour la charte», cela à notre sens est étrange et difficile à imaginer particulièrement lorsqu’il s’agit d’un professionnel et d’un passionné de la politique comme vous.
Nous ne croyons pas qu’une personne comme vous soit capable de suspendre son jugement sur une question aussi complexe que la relation de l’État avec la religion, cette question a suscité un débat passionné et passionnant depuis trois mois, le débat auquel les citoyens et citoyennes appartenant à toutes les couches sociales ont participé. Ce débat soulève des questions d’ordre pratique qui concernent la vie des citoyens au quotidien et des questions d’ordre théorique et philosophique qui soulèvent des questions politiques fondamentales. Ainsi, nous pouvons dire que le débat est un débat de tout le monde, il interpelle le profane comme le spécialiste. La démocratie a besoin de débats contradictoires, la divergence et la contradiction des opinions sont son carburant. Sans cela la société sera atteinte d’immobilisme.
Vous prétendez que vous n’avez pas de position à l’égard de ce débat, nous pouvons vous accorder cela hypothétiquement, mais nous ne pouvons pas ignorer que vos propos sont similaires aux accusations et aux raccourcis que les défenseurs de la laïcité ouverte emploient fréquemment lorsqu'ils sont en perte d’arguments pour discréditer leur adversaire et, en passant, les diaboliser. Ces accusations et raccourcis sont les éternelles rengaines: la xénophobie, l’islamophobie et atteinte à la liberté de religion.
En prenant la position ni pour ni contre, vous croyez monsieur François Bugingo que cela vous donnera une légitimité pour exposer votre opinion sans se sentir dans l’obligation de l’argumenter. Vous dites que vous n’avez pas une opinion à défendre, je sais que c’est faux, vous en avez une, et elle est à l’opposé de la mienne. Au reste, je la respecte, mais ce qui me révolte toutefois, c’est que vous vous contentez d’accuser les architectes de la Charte de la laïcité et ses défenseurs de racistes et d’antisémites. Vous avez osé comparer la démarche du gouvernement québécois qui propose une loi sur la laïcité aux nazis qui se sont servi du diktat de la majorité pour commettre l’un des plus grands génocides que l’histoire de l’humanité ait connu. Selon vous, cette charte est une étape vers l’extermination de l’arabe et du musulman.
Pour vous, c’est indiscutable, la raison d’être d’un arabe et d’un musulman c’est sa religion, et le signe religieux, particulièrement le voile, est une exigence religieuse fondamentale. Je vous dis, monsieur François Bugingo, que dans l’islam, et cela certainement vous le savez si bien, la femme peut être musulmane sans porter le voile, ce dernier est l’emblème des fondamentalistes que vous avez fréquentés comme vous le précisez dans votre lettre. C’est absurde, à mon avis, de croire que l’interdiction du port du voile par les musulmanes employées par l’État est une façon de les exterminer; cette comparaison n’est pas seulement insensée, elle est aussi une manière de dédramatiser ce qui s’est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Si je prends votre jeu de comparaison au sérieux et explicite le sous-entendu que cet amalgame implique, en vous lisant, je serai contraint d’admettre que l’interdiction des signes religieux et l’extermination d’une population à cause de sa religion sont deux actes identiques du point de vue politique et moral. Bref, ce que je peux dire aujourd’hui après avoir pris connaissance de ce que les juifs ont subi comme atrocité pendant la Deuxième Guerre mondiale, est que j’aurais préféré que les nazis interdisent aux juifs le port des signes religieux que de les exterminer comme ils l’ont fait. Voyez-vous la gravité d’une telle comparaison? Pour le reste, ne serait-il pas plus juste de designer tous les immigrants, y compris les musulmans, de citoyens à part entière au lieu de les désigner par leurs habits, c’est-à-dire de musulmans et seulement?
En plus de cela, monsieur François Bugingo, vous n’êtes pas différent des défenseurs de la laïcité ouverte. Seulement, contrairement à beaucoup d’entre eux, vous ne l’assumez pas explicitement. Or, cette lettre montre que vous êtes convaincu comme eux que tous les musulmans et les musulmanes sont contre la Charte de la laïcité parce qu’elle interdit le port du voile par les femmes qui travaillent dans les écoles et les garderies. La réalité est autre, une grande partie de la communauté musulmane est pour l’interdiction du voile, il y a même dans cette communauté des personnes qui revendiquent que cette interdiction touche les petites filles qui fréquentent les garderies, les écoles primaires et les secondaires. Ils revendiquent cela parce que, contrairement à beaucoup de défenseurs de la laïcité et à vous apparemment, ils connaissent l’idéologie que ce bout de tissu véhicule. Il faut prendre en considération que la plupart d’entre eux ont quitté leur pays d’origine pour ne pas voir leurs filles porter le voile et être embrigadées dans l’islamisme.
Ces personnes vous disent que la laïcité n’est pas une valeur propre aux Québécois, la laïcité est une valeur universelle, l’une des plus belles réalisations humaines pour le vivre ensemble. Certes, historiquement, elle a vu le jour en Occident, mais nous ne pouvons ignorer que dans les pays musulmans beaucoup de femmes et d’hommes ont lutté et luttent encore, ont sacrifié et sacrifient encore jusqu’à leur vie pour faire de cette valeur la leur, pour faire comprendre aux hommes et aux femmes que seul la laïcité nous préserve des débordements religieux. Ceux et celles qui sont ici au Québec ont choisi ce pays aussi parce qu’il est laïc. S’ils voulaient l’islamisme et les commandements de la charia, pour sûr qu’ils auraient choisi d’autres destinations.
Oui la communauté musulmane au Québec subit des difficultés d’intégration sociale et professionnelle, des difficultés que vous avez par ailleurs résumées si bien que je ne puis que m’y référer, bien entendu dans le but de dire le contraire de ce que vous alléguez: «si une monumentale majorité des néo-Québécois a traversé des océans, consenti à braver nos hivers rudes, choisi d’appeler ces terres sa « maison » malgré les écueils à l’intégration professionnelle ou académique (...)». Vous avez on ne peut plus raison, cela étant, vous serez d’accord que ce n’est sans doute pas pour revendiquer le voile comme vous le prétendez, mais plutôt pour voir leurs enfants grandir dans un milieu qui favorise les libertés individuelles et l’autonomie; un milieu qui impose l’égalité entre les hommes et les femmes, encourage l’émancipation citoyenne et non pas la ghettoïsation communautaire que la laïcité ouverte et le multiculturalisme que vous défendez nous réservent. Il est plus aisé, n’est-ce pas, de les intégrer par la mise en valeur de ce qu’ils partagent avec la société d’accueil que par ce qui les distingue; n’est-il pas plus sain et plus bénéfique de s’adresser à ce qu’il y a d’universel en eux qu’à ce qu’ils ont de particulier?
La laïcité est l’une de ces valeurs universelles que les émigrants, l’écrasante majorité à tout le moins, ont en commun avec la société d’accueil. Il faut prendre en considération cette donne et arrêter d’être subjugué par la séduction des islamistes. Ce sont des gens qui ne croient ni à la démocratie que vous défendez ni même à ce minimum de laïcité auquel croient les défenseurs de la laïcité ouverte comme vous.
Vous nous invitez à nous inspirer «de la petite Malala Yousafzai et d’autres qui tiennent tête aux pires extrémistes avec confiance et en prônant l’éducation». Moi, je vous invite à méditer sur les petites Québécoises qui n’ont pas encore atteint l’âge de la puberté et qui ont «choisi», selon les défenseurs de la laïcité ouverte et leurs acolytes, de couvrir leurs cheveux pour ne pas exciter les adultes «pieux»!
La laïcité était pour l’Occident un remède contre les guerres de religion et l’obscurantisme, pourquoi elle ne le serait pas pour les musulmans? Bien évidemment, cette charte ne sera pas une solution aux problèmes sociaux que les membres de la communauté musulmane vivent au quotidien, mais elle sera salvatrice pour les filles qui subissent la pression de leur communauté pour qu’elles portent le voile. Avec cette interdiction du port du voile, les parents seront contraints de penser sérieusement à l’avenir de leurs filles. Cette interdiction est dissuasive et pédagogique en même temps, car le problème du voile n’est pas un problème qui concerne les adultes seulement, il est aussi celui de nos enfants. Cette loi protégera ces derniers certainement contre l’une des stratégies de domination de l’intégrisme, car les premières cibles de ces derniers ont toujours été les femmes.
Vous n’êtes sans savoir monsieur Bugingo que les hommes, sous l’emprise des valeurs patriarcales, ont souvent montré qu’ils ont tendance à tolérer l’intrusion et l’expansion du fanatisme religieux valorisant ces valeurs sectaires et sexistes; le fardeau du fanatisme ce n’est, sans doute, pas à eux de le porter, l’histoire nous l'enseigne.
L’exigence vestimentaire donne à voire limpidement cette inégalité. Il suffit de voir pendant l’été, sous des températures caniculaires, des hommes portant des vêtements légers accompagnés de leurs femmes et filles qui, elles, suant à flots, sont enfouies sous des voiles de toutes sortes.
Dire que le hidjab a libéré la femme parce qu’elle lui a permis de sortir de la maison, d’aller à l’école et de travailler, comme disent certains féministes, c’est en réalité refuser de voir que ce hidjab ne l’a pas libérée, mais l’a mise seulement dans une situation de liberté surveillée; elle est libre tant qu’elle ne remet pas en cause les valeurs patriarcales de sa communauté, c’est-à-dire tant qu’elle est obéissante à son mari ou à son frère. Ce minimalisme peut être acceptable dans des pays comme l’Afghanistan, mais c’est vraiment un crime contre nos filles de le tolérer dans un pays laïc qui défend l’égalité homme-femme. Le voile n’est pas seulement un symbole religieux, mais aussi un signe du contrôle social visible qu’il faut combattre.
Ainsi, en tant que membre d’une communauté à laquelle appartiennent les «jusqu’au-boutistes», je vous dis que la Charte de la laïcité est souhaitable non seulement pour protéger nos filles, mais aussi pour nous protéger en tant que minorité contre la majorité. Il me semble que vous êtes pour une démocratie qui protège la minorité. Or, sur le plan de la religion, la meilleure protection de la minorité est la neutralité de l’État. Car si tous les catholiques exhibent leurs signes religieux en sachant bien qu’ils sont majoritaires dans la fonction publique, l’État aura certainement l’apparence d’un état catholique et cela, à notre avis, s’oppose au principe de neutralité, et en tant que minorité religieuse nous refusons cette situation.
Ali Kaidi (docteur et professeur en philosophie)


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé