L’article d’Anthony Housefather, président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, paru dans Le Devoir du 11 avril 2018, éclaire la teneur du projet de loi sur la décriminalisation de la rétribution des donneurs de sperme, des donneuses d’ovules et des mères porteuses dont Hélène Buzzetti nous informait le 27 mars.
Il n’est pas improbable que les réactions suscitées l’aient incité à atténuer son propos sur l’« avenue économique » que la rémunération de la gestation pour autrui (GPA) offrirait à des femmes que le destin condamne à la pauvreté (voir Céline Lafontaine et al., Le Devoir, 6 avril 2018) et à préciser que le filon est généreusement ouvert aux femmes de la « classe moyenne »… Mais, sur la GPA et les dons de gamètes, il maintient sa position, selon laquelle seul l’argent-roi est susceptible de satisfaire « un nombre important de Canadiens aptes à devenir parents de le devenir au Canada ».
Le député de Mont-Royal prétend que la loi actuelle, qui « interdit d’acheter ou d’offrir d’acheter des ovules ou des spermatozoïdes à un donneur ou à une personne agissant en son nom, ou de faire de la publicité pour un tel achat » (article 7. 1), nuit aux donneurs. Il est particulièrement loquace à propos du cas du sperme. Selon lui, « les donneurs font marche arrière lorsqu’ils ne reçoivent pas de rétribution pour leur temps et leurs efforts ». Certes, le sperme n’est pas de l’eau de pluie, pour reprendre une formule que nous avons déjà utilisée, mais nous pourrions nous accorder sur le fait que ces efforts ne sont pas particulièrement pénibles. La pénurie de sperme concerne les couples lesbiens et les femmes seules, mais de moins en moins les couples hétérosexuels affligés par la stérilité de l’homme, qui recourent à l’ICSI (injection intra-cytoplasmique de sperme qui consiste à introduire un seul spermatozoïde à l’intérieur d’un ovule afin de le féconder).
Autoconservation ovocytaire
Le don d’ovocytes que néglige Housefather renvoie à un « effort » nettement plus conséquent que le don de sperme : il suppose la stimulation des ovaires pendant 10 à 12 jours à l’aide d’injections, et le prélèvement des ovocytes suppose une hospitalisation d’une journée après la dernière injection 3 jours plus tôt et s’effectue sous anesthésie. Ce qui ne l’empêche pas de promouvoir le fait que « les mères porteuses doivent être des mères porteuses non génétiques (c’est-à-dire qu’il ne doit y avoir aucun lien génétique entre la mère porteuse et l’enfant) ». Si c’est bien là le choix majoritaire des mères porteuses elles-mêmes, pourquoi l’imposer ? Des « mères porteuses non génétiques », ce sont des gestatrices pour autrui, ou, comme les appellent Kévin Lavoie et Isabel Côté (Le Devoir, 9 avril 2018), des « femmes porteuses ». Elles ne portent quand même pas des paquets, ajouterions-nous !
La majorité des couples hétérosexuels qui font appel à une gestatrice fournissent un embryon fécondé en laboratoire par un spermatozoïde et un ovocyte des parents d’intention. Par ailleurs, le don d’ovocyte est destiné à deux catégories de femmes. Les « mères porteuses non génétiques », comme dit le député, mais aussi, surtout, des femmes dont les propres ovocytes sont défaillants. Pour pallier cela est accessible l’autoconservation ovocytaire, qui est susceptible d’atténuer la demande du précieux don. La technique consiste à prélever les ovocytes à un âge (avant 30 ans) où ils existent en qualité et en quantité, pour les vitrifier dans l’attente du moment où une femme est dans les conditions (professionnelles, amoureuses) de mener un projet parental. Actuellement, cette technique n’est pratiquée qu’en cas de maladie hypothéquant une future fécondité. On pourrait imaginer qu’une femme qui a sa réserve d’ovocytes en donnerait gracieusement quelques-uns à plusieurs femmes qui en ont besoin. Les recherches dont Lavoie et Côté (9 avril) font état indiquent que les gais, seuls ou en couple, font appel à la fois à une gestatrice et à une donneuse d’ovocyte. Certains sollicitent un ovocyte fécondé par un spermatozoïde d’un des pères d’intention et un autre par un spermatozoïde de l’autre et la « mère porteuse non génétique » accouche de jumeaux ou de jumelles.
Des personnes et des choses
L’article d’Anthony Housefather en remet une couche dans le cynisme à propos de l’achat de gamètes et de la rémunération de la gestation pour autrui dans le paragraphe, plutôt confus, où il évoque le sang et des organes. N’est-il pas inquiétant que le président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des Communes semble regretter le fait que « Le Québec et l’Ontario sont les seules provinces à interdire l’achat de matières organiques comme le sang ou le plasma » ? Faut-il en conclure que si son projet de loi sur la décriminalisation de la rétribution des donneurs de sperme, des donneuses d’ovules et des mères porteuses était adopté, il proposerait la décriminalisation de la rétribution des donneurs et donneuses de sang et d’organes ? Il en serait définitivement fini de l’opposition des personnes et des choses, ces dernières pouvant être commercialisées au contraire des premières, qu’a cultivée l’Occident chrétien.
Le spectre de La servante écarlate nous hante à juste titre, mais ce n’est pas le seul. Le projet de loi de Housefather ne risque-t-il pas aussi de rallumer le débat sur l’avortement au Canada ? Pour la raison même, il est peut-être déjà mort-né.
Cela dit, la procréation (médicalement) assistée par des dons de gamètes et de la gestation pour autrui est pratiquée au Québec, au Canada et ailleurs. Il est indispensable que ces pratiques soient encadrées ici fermement et dans le respect. C’est notamment un des objectifs du rapport Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales déposé par Alain Roy en juin 2015. Il a été tabletté par le gouvernement libéral. La Commission de l’éthique en science et en technologie n’a toujours pas actualisé son Avis sur la procréation assistée qui date de 2009.