Ni vierges ni soumises

Le problème, c’est le silence, dit Sihem. C’est aussi le relativisme culturel de certains, féministes incluses, qui institutionnalise le communautarisme.

Commission BT - le Rapport et l'égalité hommes-femmes


«Nous ne sommes ni vierges ni soumises», dit la pétition lancée par le mouvement Ni putes ni soumises à la suite de l’absurde décision d’un tribunal français de faire annuler un mariage parce que la femme, musulmane, avait menti sur sa virginité.

Devant moi, dans un café du Vieux-Montréal, Sihem Habchi, la présidente de Ni putes ni soumises, mouvement populaire né dans les banlieues françaises pour lutter contre les ghettos et l’inégalité. Jeune femme lumineuse de 33 ans au doux regard frondeur, c’est elle qui a pris la relève du mouvement lorsque Fadela Amara, son ex-présidente, a été recrutée par Nicolas Sarkozy pour s’attaquer à l’épineux problème des banlieues.
De passage à Montréal, Sihem Habchi a demandé à me rencontrer parce qu’elle ne veut pas que l’histoire du tribunal de Lille soit trop vite enterrée. Même si elle est soulagée que le jugement discriminatoire ait fini par être porté en appel, elle y lit un message dangereux qu’il faut à tout prix dénoncer. «Le verdict tombe comme une fatwa contre la liberté des femmes de France. Et on a l’air de quoi devant les femmes qui se battent en Égypte ou ailleurs?» demande-t-elle.
Pendant presque deux heures, Sihem m’a parlé de reconstruction d’hymen, du retour en force du test du drap blanc, de filles qui se suicident pour un flirt. Nos voisins de table auraient pu penser que nous parlions de la condition de la femme en Afghanistan. Mais non. Nous parlions de filles et de femmes qui vivent en France.
Depuis sa création en 2003, le mouvement Ni putes ni soumises lutte contre le retour en force du symbole de la virginité comme façon d’exercer un contrôle absolu sur la vie des filles dans les banlieues françaises où le machisme règne. La virginité y est contrôlée par tout le quartier, et pas seulement par des personnes d’origine musulmane, note Sihem. «Ce que nous avons entre les jambes devient l’honneur non seulement de la famille, mais du quartier. Toute notre vie s’organise autour de la virginité.»
Sihem Habchi sait de quoi elle parle, elle la «Beurette» née en Algérie, arrivée en France à l’âge de 3 ans pour y rejoindre son père ouvrier. Elle a grandi dans un minuscule logement en banlieue de Paris. Trois pièces pour huit personnes. «J’étouffais», raconte-t-elle.
L’étouffement n’est pas dû qu’à la promiscuité. La pression familiale est forte. Si on encourage la jeune Sihem à étudier, on lui interdit de sortir et de vivre sa jeunesse. À 18 ans, après une année de médecine, elle quitte le cocon familial. Elle travaille au pair à Paris pour pouvoir poursuivre des études en lettres et ensuite décrocher un diplôme universitaire de troisième cycle en multimédia.
La réelle émancipation viendra plus tard, en 2003, quand Sihem entendra Fadela Amara à la télé parler du combat de Ni putes ni soumises. «Putain, cette meuf (femme en verlan), elle a des couilles!» s’est-elle dit. «On n’a pas l’habitude de voir des nénettes qui parlent au péril de leur vie.» C’est là qu’elle a décidé de se joindre au mouvement, de dire tout haut ce qui la tracassait tout bas, de dénoncer la pression dont sont victimes les filles comme elles.
«Combien de femmes sont obligées de prouver leur virginité, de se cacher? demande-t-elle. Combien sont traitées de putes, reniées par leur famille parce qu’elles ne sont plus vierges ou juste suspectées de n’être plus vierges? Nous avons des filles qui se suicident tout simplement parce qu’on leur a fait cette réputation!»
Le problème, c’est le silence, dit Sihem. C’est aussi le relativisme culturel de certains, féministes incluses, qui institutionnalise le communautarisme.
Ceux qui disent que c’est une question de liberté individuelle ou de vie privée et que l’on n’a pas à s’en mêler font fausse route. «Le féminisme, c’était quand même de dire que le privé est politique», dit-elle.
Le désir de contrôle du corps de la femme n’épargne pas les plus scolarisées, note-t-elle. «Il y a beaucoup de femmes qui mènent une double vie, qui ont l’air émancipées, qui sont avocates ou autre chose... Quand tu les croises, tu ne crois pas une seconde qu’un jour elles vont se plier à cette règle et se faire refaire l’hymen!» Certaines vont dans des cliniques de chirurgie esthétique en France. D’autres profitent de forfaits «réfection d’hymen-thalassothérapie» en Tunisie. Un phénomène marginal? Malheureusement non, dit-elle.
«De manière générale, dans les communautés maghrébines en Europe, il y a une crispation des traditions liées au corps de la femme», note Sihem. Paradoxalement, cette crispation opère alors que, dans les pays d’origine, on tend sur bien des plans à se décrisper.
Dans ce contexte, on comprend encore mieux la portée dangereuse du jugement du tribunal de Lille. On comprend encore mieux pourquoi Sihem sent le besoin de hurler qu’elle n’est ni vierge ni soumise, s’inspirant du manifeste des 343 «salopes» françaises qui déclaraient haut et fort en 1971 avoir subi un avortement. «Je ne peux pas me taire!» insiste-t-elle. Et c’est tant mieux.
J’ai quitté Sihem avec cette phrase en tête: «Putain, cette meuf, elle a des couilles.»


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