Commission Bastarache

Ni normal, ni acceptable

Commission Bastarache



Parce qu'il a témoigné avec aisance et aplomb, le premier ministre Jean Charest semble avoir terrassé l'hydre Bellemare. Mieux encore, il a réussi à garder le ton de la banalité pour justifier des agissements qu'on attribue aux républiques de bananes lorsqu'on en voit de semblables ailleurs. Mais le ton ne dispose pas du fond. Les révélations faites à la commission Bastarache sont inquiétantes pour notre santé démocratique et appellent une enquête plus large.
Le premier ministre Charest aura beau dire, les témoignages des derniers jours à la commission Bastarache soulèvent nombre de points troublants. Ils ne feront pas sourciller le commissaire, qui a bien compris la commande gouvernementale de ne pas déborder de son mandat, n'ébranleront pas les membres du gouvernement, soudés autour de ce premier ministre qui a pour eux la sollicitude d'un père de famille, et n'amèneront pas de protestataires dans la rue. Néanmoins, ils attestent de façons de faire qu'on croyait disparues au Québec et que les allégations de Marc Bellemare ont permis de mettre au grand jour.
Non, il n'est ni normal, ni acceptable, en dépit des propos du premier ministre, qu'un solliciteur de fonds du Parti libéral rencontre une vingtaine de fois en quelque six mois — et on se fie ici uniquement à ce qui a été documenté — Chantal Landry, la responsable des nominations au sein du gouvernement, poste de surcroît ouvertement politique. Cette mainmise partisane et affairiste sur l'État est indigne d'une démocratie moderne.
Non, il n'est pas normal, en dépit de l'interprétation du premier ministre, que, sous son gouvernement, une étape ait été ajoutée au processus de nomination des juges, où la liste des candidats transite par un poste politique, celui de Mme Landry, et lui donne à lui un droit de regard sur l'ensemble du dossier des candidatures soumises, alors que même l'ancienne juge en chef de la Cour du Québec croyait dur comme fer que seul le ministre de la Justice y avait accès.
Oui, il est inquiétant qu'un avocat aspirant à la magistrature trouve tout naturel d'aller dîner avec un ministre pour faire mousser sa candidature. Le Barreau n'a donc rien à dire là-dessus? Et il est inacceptable, comme Le Devoir l'a dénoncé plus tôt cette semaine, qu'un juge ait intercédé auprès d'un solliciteur de fonds pour obtenir une promotion convoitée. N'y a-t-il pas là matière à indignation pour un premier ministre qui a ouvert le bal hier en insistant sur l'indépendance de notre magistrature?
Il serait d'ailleurs temps de laisser tomber les assurances lénifiantes qu'on nous a beaucoup servies depuis que Marc Bellemare a lancé ses allégations au printemps. Celle, par exemple, selon laquelle nos juges seraient tous très compétents, tous indépendants du gouvernement dès que nommés. Qu'en savons-nous? La commission Bastarache permet au contraire de constater que la politique fait aussi bon ménage avec la justice — confirmation publique de ce qui se murmure parmi les initiés des palais de justice mais que nul, jusqu'ici, n'avait osé dire à voix haute.
Et quand le premier ministre soutient que sa conseillère politique aux nominations fait très bien son travail, il faut encore dire: qu'en savons-nous? Qui sait qui a été écarté pour faire place, par exemple, aux choix soufflés par un Charles Rondeau?
C'est d'ailleurs là le coeur des dénonciations d'origine de Marc Bellemare, qui s'en prenait à l'influence des financiers du parti sur le gouvernement. Jean Charest a voulu faire diversion à ce sujet en convoquant une commission sur la nomination des juges: un pari risqué, mais cette stratégie finalement porte fruit. Hier, on se serait cru au théâtre: les commentateurs s'en tenaient strictement à l'évaluation des performances des principaux protagonistes de la commission. On se perd dans le qui dit vrai, les contradictions d'agenda et le vilain caractère de Marc Bellemare.
Et quand le fond est abordé, c'est pour s'entendre dire par ceux qui savent (et qui s'étonnent que le brave peuple s'étonne parce que lui ne savait pas!) qu'il ne faut pas faire de l'angélisme, que nommer les copains est une pratique de tout temps, qu'il n'y a en fait aucune raison d'être mal à l'aise quand des bénévoles d'un parti s'ingèrent dans des affaires d'État, comme a assuré hier M. Charest.
Quand la banalisation s'installe ainsi, c'est qu'il est temps d'assainir les moeurs. Il faut mettre en place les enquêtes nécessaires pour faire le tour des scandales et resserrer les règles de nomination ou de financement. Nourri d'enquêtes journalistiques et du travail des partis quand ils sont dans l'opposition, le Québec n'a pas eu peur de faire de tels ménages publiquement dans le passé (ce qui lui vaut aujourd'hui une dénonciation en règle du Maclean's, qui n'a évidemment rien compris). Si M. Charest veut vraiment sortir avec les honneurs de son conflit avec Marc Bellemare, il devra prendre au sérieux les dysfonctionnements que révèlent actuellement les audiences de la commission Bastarache et accepter d'agir.
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jboileau@ledevoir.ca


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