Napoléon, de Gaulle : ces sursauts français vaincus par l’époque et l’Argent

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La France ne peut prospérer et rayonner que dans la grandeur

Napoléon était un enfant de Rousseau, fils de la Révolution qui avait répandu le Code Civil dans toute l’Europe avec les bottes de ses soldats ; il était devenu empereur pour tenter d’obtenir – en vain – un « droit de bourgeoisie » des anciennes monarchies d’Europe, mais aurait été prêt à se convertir à l’islam s’il avait pu rester en Egypte, prendre Saint-Jean-d’Acre et marcher sur les traces d’Alexandre le Grand jusqu’aux rives de l’Indus.
De Gaulle est un enfant de Maurras et de Péguy, mais chrétien de foi et non de raison, qu’un cardinal compara à sa mort à Saint Louis, qui s’était fait de la France une religion pour laquelle il était prêt à se sacrifier ; son respect sourcilleux de la souveraineté populaire était moins dû à une passion pour les immortelles fulgurances démocratiques et républicaines qu’au souci de fonder l’État sur le seul principe capable de remplacer un droit divin désuet.
Dans l’Histoire moderne de notre pays, les deux hommes sont les seuls à planer à semblable altitude.
De Gaulle est un lecteur de Bainville – « sauf pour la gloire, il aurait mieux valu que Napoléon n’existe pas » – qui jugeait toutefois que la gloire napoléonienne était éternelle et avait donné aux Français une haute image d’eux-mêmes, de leur valeur guerrière. « Quand la Grande Armée n’était composée que de Français, elle n’a jamais été vaincue », plastronnait-il. Sans doute songeait-il que la gloire napoléonienne ne serait pas de trop pour restaurer la flamme d’un peuple humilié, laminé, détruit par la défaite de 1940.
Napoléon était un homme du XVIIIe siècle, rationaliste, qui ne croyait qu’au Dieu horloger de Voltaire, utile pour que son domestique ne le vole pas, et qui acheva sa route météorite lorsqu’il rencontra le romantisme nationaliste et superstitieux des deux peuples qui avaient le moins goûté l’enseignement de la froide raison des Lumières : l’Espagne et la Russie.
De Gaulle était un homme du XIXe siècle qui avait connu l’héroïsme inouï des poilus de 1914 (« des lions conduits par des ânes », disaient les Allemands, admiratifs), et dirigea un peuple qui se voyait comme un ramassis de pleutres et de lâches. Les enfants de ce peuple humilié détruisirent son oeuvre en traitant leurs pères de collabos. Il fut vaincu par l’époque qui s’annonçait. Comme l’Empereur.
Les caricaturistes français et étrangers dessinèrent pendant tout son règne un de Gaulle solitaire et hautain se réchauffant au soleil d’Austerlitz. L’émotion populaire et la grandeur de ses obsèques ne sont comparables qu’au retour, dans le froid, la neige et une bise glaciale, des cendres de l’Empereur en décembre 1840.
Les deux hommes ont tenté d’imposer la domination de la France à l’Europe et ont cru réussir, même si, comme le reconnaissait de Gaulle lui-même, le second ne disposait pas des mêmes moyens. Ils n’ont jamais cessé de croire que l’Angleterre était le seul ennemi héréditaire de la France. Furent diabolisés par la presse anglo-saxonne. Le retour du général de Gaulle au pouvoir fut un coup d’État légal qui réussit, un 18 brumaire qui n’aurait pas eu besoin d’un 19 et de Murat chassant les députés par la fenêtre. La Ve République gaullienne fut un Consulat de dix ans, mandat imparti à Bonaparte. Napoléon crut terminer la Révolution que de Gaulle seul acheva enfin.
En 1814, Napoléon se désole : « Je ne trouve de noblesse que dans la canaille que j’ai négligée et de canaille que dans la noblesse que j’ai faite. »
En 1969, à Malraux qui lui demande ce qu’il aurait dit s’il avait dû prononcer le discours célébrant le bicentenaire de la naissance de Napoléon, de Gaulle répond : « Comme lui j’ai été trahi par des jean-foutre que j’avais faits et nous avons eu le même successeur : Louis XVIII ! »
Les deux hommes avaient dû restaurer le prestige de la puissance française après des défaites que l’on crut définitives (la guerre de Sept Ans en 1763 et celle de 1940) et un délabrement de l’État et des finances publiques que l’on jugeait irrémédiables (Directoire et IVe République). Ils haïssaient la dette à l’égal du pêché. Ils furent déclarés ennemis publics par la finance française et la City qui ne purent s’enrichir sur leur dos. Napoléon tonnait : « La bourse je la ferme, les boursiers je les enferme. » De Gaulle ajoute : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », et nationalisa les banques.
Les deux hommes furent vaincus par l’Argent. Ils furent admirés au-delà de tout par les chefs des puissances qu’ils combattirent. Waterloo n’empêcha jamais Wellington de glorifier « le maître des batailles ».
Éric Zemmour, « Le Suicide français » (Albin Michel), p. 21 à 23.


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