Mike Duffy, d’accusé à victime

Le juge blanchit le sénateur et malmène l’entourage de Stephen Harper

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Un revirement de situation spectaculaire

C’est une véritable onde de choc qui a secoué la capitale fédérale jeudi. Le sénateur Mike Duffy, dont le sort semblait scellé il y a quelques mois, a été acquitté des 31 chefs d’accusation de fraude, corruption et abus de confiance qui pesaient contre lui. Le juge Charles Vaillancourt a entièrement souscrit à la version des faits de Mike Duffy. Et taillé en pièces la poursuite de la couronne, tout en prenant soin de vilipender le stratagème mis en place par l’entourage de Stephen Harper pour étouffer toute l’affaire il y a trois ans.

Ce n’est pas un criminel qui a profité des règles sénatoriales pour se faire rembourser toutes sortes de dépenses qu’a vu devant lui le juge Vaillancourt. Mais plutôt un Mike Duffy victime d’avoir suivi les conseils de plusieurs et qui n’a jamais enfreint les règles permissives du Sénat.

Il aura fallu cinq heures au magistrat pour lire les points saillants de son jugement de 308 pages, jeudi. Il a rejeté une à une les accusations portées contre le sénateur.

Si Mike Duffy a récolté des milliers de dollars en indemnités de logement en plaidant habiter l’Île-du-Prince-Édouard, c’est parce que le bureau de Stephen Harper et des sénateurs hauts gradés le lui ont conseillé. Le sénateur a « cru honnêtement et raisonnablement » les conseils de ces « figures d’autorité ». D’autant plus que les sénateurs reçoivent « peu d’éducation ou de formation » quant au concept de résidence principale et à la possibilité pour eux de réclamer des indemnités de logement pour ces demeures à l’extérieur de la capitale fédérale — comme l’a fait Mike Duffy dès sa nomination en 2008. Nulle part dans les règles du Sénat n’est-il défini ce que représente une« résidence principale », a renchéri le juge.

Quant aux remboursements de déplacements, les règles étaient également indulgentes, a tranché le magistrat. La couronne reprochait au sénateur d’avoir facturé des voyages partisans pour aller aider des collègues conservateurs à récolter des fonds, ou de profiter de tels voyages pour aller voir sa famille. Or, tous les déplacements mis en cause comportaient un élément d’affaires parlementaires selon le juge, et les affaires partisanes ne sont interdites qu’en période électorale. Les détours pour aller voir sa fille à Vancouver n’ont pas entraîné de frais supplémentaires pour le Sénat, puisque le sénateur allait déjà dans l’Ouest. Et que Mike Duffy accepte une invitation au moment prévu de la naissance de son petit-fils était « opportuniste », mais cela « n’équivaut pas à une conduite criminelle ». Dans chacun des cas, de l’avis du juge, M. Duffy croyait respecter les règles du Sénat et n’avait pas d’intention criminelle.

Le juge Vaillancourt a été tout aussi clément dans le dossier des contrats octroyés par l’ami de Mike Duffy, Gerald Donohue, qui a lui-même récolté 65 000 $ en quatre ans par le biais du budget discrétionnaire du sénateur. M. Donohue a à son tour rémunéré une série d’individus — une maquilleuse, un entraîneur, une compagnie d’impression photo. Mais M. Duffy avait une « entière discrétion » quant à l’utilisation de ces fonds qui lui étaient alloués de toute façon. Le Sénat n’a donc pas déboursé de frais supplémentaires, a argué le juge. Dans le cas d’un cachet versé à une bénévole — qui n’aurait par définition pas dû être payée —, M. Duffy a « outrepassé son pouvoir discrétionnaire », mais c’était de bonne foi, selon le magistrat. Et Mike Duffy ne s’est jamais enrichi grâce à ces contrats.

La couronne critiquée

S’il a fait preuve d’empathie envers Mike Duffy — le qualifiant de témoin crédible —, le juge Vaillancourt n’a pas été aussi tendre à l’endroit de la couronne. Il a maintes fois reproché aux procureurs de ne pas avoir contre-interrogé Mike Duffy sur certains chefs d’accusation ou d’avoir manqué d’inviter certaines personnes qui, selon le sénateur, lui auraient conseillé d’agir comme il l’a fait. Faute de preuve du contraire, le juge a accepté la parole de M. Duffy.

Pourtant, l’entraîneur personnel de Mike Duffy, Mike Croskery, a témoigné par exemple que c’était son patron qui lui avait proposé de facturer Gerald Donohue une fois qu’il est devenu sénateur. M. Duffy s’entraînait pendant leurs rencontres, ne prenait pas de notes, M. Croskery non plus. L’entraîneur a dit ne « pas [avoir eu] à faire de travail supplémentaire » maintenant qu’il facturait le Sénat comme consultant de Mike Duffy.

Idem pour le fameux chèque de 90 000 $ de Nigel Wright, qu’on n’a pas reproché à Mike Duffy d’avoir accepté. Le juge a adhéré au récit du sénateur, estimant qu’il avait effectivement été « contraint de capituler » et d’accepter que M. Wright lui verse les fonds pour rembourser le Sénat. Des courriels déposés parmi la preuve démontrent toutefois que c’est l’avocate de Mike Duffy qui a la première réclamé que son client n’ait pas à débourser les sommes et qu’il soit épargné d’une enquête. Selon le juge, en arguant qu’il n’avait pas les fonds pour payer, M. Duffy a simplement fourni « un autre exemple [de son] refus de participer au plan de M. Wright ».

La couronne n’a pas voulu commenter à sa sortie de la cour.

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