"Merkel et Seehofer ont juste sauvé la face"

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Personne ne veut plus des migrants illégaux : l'UE vit une crise majeure

Le gouvernement allemand s'est entendu sur sa politique migratoire et a réussi à sauver sa coalition. Pour le moment.


L'accord, obtenu in extremis, entre Merkel et son ministre de l'Intérieur a permis d'éviter l'explosion de leur gouvernement et l'ouverture d'une crise majeure pour Berlin. A l'avenir, les migrants qui pénètrent dans l'UE par un autre pays que l'Allemagne seront placés dans des "centres de transit", avant d'être refoulés vers ce pays d'entrée. Mais la mise en oeuvre s'annonce compliquée. Et ce compromis, fragile, pourrait n'être finalement qu'un répit pour la chancelière. Explications de Hans Stark, chercheur à l'Institut français des relations internationales et professeur à la Sorbonne.  


A peine signé, l'accord sur les migrants, conclu entre Angela Merkel et le parti bavarois CSU, est déjà critiqué. Pourquoi ?  


Cet accord permet à la chancelière et à son ministre de l'Intérieur Horst Seehofer de sauver la face. D'un côté, Angela Merkel peut faire valoir qu'elle a tenu bon sur un point crucial : on ne peut pas régler de façon unilatérale la question des "mouvements secondaires" - ces migrants qui arrivent en Allemagne, mais qui sont enregistrés dans un autre pays de l'Union européenne. De l'autre, Horst Seehofer peut se féliciter d'avoir trouvé un compromis, en obtenant la création de "centres de transit", près de la frontière autrichienne. Les migrants qui se retrouveront dans ces camps seront renvoyés dans les pays d'entrée sur la base d'accord bilatéraux signés avec l'Allemagne, ou, si ces accord n'existent pas, refoulés vers l'Autriche. Mais comment imaginer que Vienne, qui prône une politique migratoire très dure, accepte cette décision ?  


Déjà, ce matin, Vienne a indiqué "être prêt à prendre des mesures" pour protéger ses frontières. Qu'est-ce que cela signifie ? 


L'Autriche va fermer ses frontières au sud, notamment celles avec la Slovénie et l'Italie, ce qui risque d'avoir un effet domino dans d'autres pays européens, et, surtout, de créer un engorgement dans les Balkans -ce que voulait éviter Angela Merkel. En réalité, on a mis la charrue avant les boeufs. Il aurait d'abord fallu négocier les accord bilatéraux et prendre ensuite des dispositions à l'échelle nationale.  


Certains pays n'accepteront jamais de signer - la Hongrie, bien sûr, mais aussi les pays du sud (Italie, Grèce), qui connaissent déjà une forte pression migratoire...  


Ces accords bilatéraux vont être très difficiles à mettre en oeuvre. Si les pays du nord ne veulent pas entendre parler de quotas de répartition, l'Union européenne devra accorder aux pays du sud, et, en premier lieu, à l'Italie et à la Grèce, des aides financières et logistiques conséquentes. Il est inconcevable de laisser ces pays gérer seuls ce problème, sans quoi l'UE risque tout simplement d'éclater.  


Angela Merkel pendant les débats budgétaires au Bundestag à Berlin, le 3 juillet 2018.

Angela Merkel pendant les débats budgétaires au Bundestag à Berlin, le 3 juillet 2018.


REUTERS/Hannibal Hanschke




Cet accord va-t-il mettre fin à la crise de gouvernance allemande ?  


La situation politique reste très fragile. Horst Seehofer ne reconnait pas l'autorité d'Angela Merkel. A l'inverse, celle-ci ne fait pas confiance à son ministre de l'intérieur, ce qui est très grave, dans un contexte aussi tendu en matière d'immigration, de sécurité intérieure et de terrorisme. Pourtant, ils sont condamnés à s'entendre ! La CSU et la CDU n'ont en effet d'autre choix que de maintenir cette coalition. Que se passerait-il, en effet, si ce groupe parlementaire, qui assure la stabilité politique du pays depuis 70 ans, explosait ? La CSU et la CDU se disputeraient les mêmes électeurs, elles se retrouveraient chacune avec 15% des intentions de vote, à côté de l'AfD, qui pèse environ 14%. Il y aurait donc trois partis de droite en Allemagne. Pour éviter ce scénario cauchemardesque, la CSU et la CDU sont vouées au compromis. Mais une entente qui ne repose pas sur une unité de vue, mais sur une nécessité, reste instable... 


On parle beaucoup de la CDU et de la CSU, mais pas du SPD, qui fait pourtant partie de la coalition, et n'a toujours pas donné son accord sur les nouvelles mesures migratoires...  


Oui, on oublie presque le SPD, tellement il est devenu inaudible ! Depuis le début de cette crise, le parti social-démocrate allemand a toujours refusé la création de centres de transit. Il est probable qu'il courbe l'échine et qu'il avalise l'accord. Mais à quel prix ? Ses électeurs ne cautionnent pas le durcissement de la politique migratoire, ils sont mécontents. Les sondages le montrent : le SPD n'est plus crédité que de 17-18% des intentions de vote, contre 20% en septembre dernier. Il va continuer sa descente aux enfers... 


On peut donc s'attendre à de nouvelles crises politiques... 


Nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux rebondissements. Déjà, parce que Seehofer est imprévisible. Ensuite, parce qu'un acte terroriste en Allemagne, ou un nouveau meurtre à l'arme blanche, commis par un migrant, n'est malheureusement pas exclu cet été. Il pourrait durcir la position de la CSU sur la politique migratoire et entraîner une surenchère de l'AfD. Angela Merkel n'est donc pas tirée d'affaire. Ses électeurs lui reprochent en outre d'avoir mené une politique de gauche (migrants, sortie du nucléaire, mariage pour tous). Une partie d'entre eux se sont d'ailleurs tournés vers l'AfD. Tout cela entretient une ambiance de fin de règne.