Mathieu Bock-Côté sur l’empire diversitaire : « Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen », édition 2019

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« Que pourra bien laisser une société nihiliste, qui ne vit que dans l’ombre d’elle même ? »

Par Laurène Jacquerez, étudiante en Grandes Ecoles ♦ La France bat la breloque. Tous les jours, le même clairon sonne à notre porte : la complainte progressiste chante la sérénade du nouvel ordre diversitaire. Un mode de pensée unique. Comment en est-on arrivé là ?




Le regard éclairé de Mathieu Bock-Côté


Si Milan Kundera a déclaré que nos souvenirs personnels mis bout à bout s’égraineraient en moins de trois minutes, la « Nouvelle Gauche » progressiste réduit l’Histoire à une risée de quelques secondes. Parmi les jeunes, qui connaît encore l’histoire des Rois de France (à part Louis XIV, le danseur étoile autoritaire, et Louis XVI le dépensier raccourci) ? A l’aune de l’empire du politiquement correct où le multiculturalisme est devenu la clé de voûte de l’organisation sociale et politique de la démocratie occidentale, quel regard portons-nous sur l’histoire de notre civilisation, de notre identité ? De quelles valeurs notre drapeau tricolore est-il l’étendard ? Dans son ouvrage Le Multiculturalisme comme Religion Politique, Mathieu Bock-Côté, inquiet pour l’état de notre modèle démocratique, apporte un éclairage sociologique et historique à ces questions.


Pour le sociologue québécois, l’idéologie diversitaire trouve son origine dans la contre-culture des années soixante aux Etats-Unis. En France, elle gagne la bataille face au monde d’hier lors de la révolution de mai 68 lorsque les réfractaires à l’autorité pensent en finir avec les interdits en… les interdisant. La Nouvelle Gauche s’érige alors contre l’ordre établi en infiltrant tous les rouages de la société jusqu’à devenir la pensée dominante. Mais ces néo idéologues redéfinissent la lutte des classes en sacrifiant les prolétaires au nom des minorités. Leur émancipation devra passer par la déconstruction complète de la société occidentale et de ses traditions afin de faire advenir un homme neuf, reprogrammé, prêt pour le nouveau monde égalitaire.


La Nouvelle Gauche décryptée


Voici en quelques points le programme de la Nouvelle Gauche :


Adieu histoire. L’idéologie victimaire a besoin d’une légitimité historique.Pour cela, elle va construire une sociologie et un récit de l’exclusion. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’histoire de France n’est interprétée qu’à travers le prisme de ceux qu’elle aurait discriminés, envahis etc. Or, chacun sait que les romans nationaux résument à leur manière une histoire de domination d’une majorité sur une minorité. Accepter de se revendiquer de cette histoire du monde ou théologie barbare, reviendrait à renier les convictions égalitaires et multiculturelles de la gauche. Alors même que le flux expansionniste des occidentaux s’est tari, la volonté ou la nécessité de repli national continue d’être taxée de raciste.


Adieu culture. Dans la même logique (ou illogisme c’est selon), la gauche va s’évertuer à criminaliser les formes sociales et culturelles traditionnelles pour ériger un Etat diversitaire, où règne en maître le multiculturalisme. Le progressisme doit opposer l’émancipation des minorités à la désincarnation d’une société séculaire. Cette conjuration de l’universalisme radical conduit à la déchristianisation et à la disparition des nations occidentales. L’effacement de la symbolique religieuse de Noël auquel on assiste au nom de la sacro-sainte inclusion est ainsi l’un des symptômes de cette offensive fusionnelle de la bien-pensance. Et pour s’en convaincre Notre Dame devient sous la plume dogmatique des gourous multi-tout un lieu universel ! Avec 8 siècles d’avance ces bâtisseurs du 12e siècle qui ignoraient 90% des terres et des mers, ringardisent brutalement nos progressistes d’aujourd’hui. Mais pour nos modernistes scrupuleux, le symbole est autre. Il s’agit de fait de pratiquer la politique de la terre brûlée : faire table rase du passé judéo-chrétien et donc de la culture européenne en la diabolisant. Ainsi, la mauvaise conscience occidentale est-elle le récit fondateur de la société multiculturelle.


Adieu souveraineté, adieu nation. Même si une majorité (sommée d’être silencieuse) se souvient encore de ce que signifie le mot « patrie », il est de plus en plus difficile pour un conservateur de trouver une place au sein du débat public pour défendre ce que Charles De Gaulle résumait dans cette sentence latine : « Primum omnium salus patriae », avant tout, le salut de la patrie. Car la dissolution des cultures ne permet plus de considérer comme légitime la souveraineté d’un peuple. D’ailleurs il n’y a plus de « peuple » mais seulement des groupes identitaires déracinés et éparpillés dans des villes cosmopolites. Les frontières sont proscrites sous le régime diversitaire. C’est pourquoi, selon Mathieu Bock-Côté, l’intégration politique préconisée par l’ONU par exemple, doit désormais se faire à l’échelle internationale. L’Europe et les multiples traités et organisations transnationales remplacent ainsi la politique intérieure des pays. La consultation populaire est bafouée, la voie du peuple, ignorée. La nation n’a plus ni substance ni identité.


Adieu démocratie.Il est difficile d’avoir une démocratie sans demos, sans peuple car celle-ci repose sur lui. Dès lors, le nouveau régime doit, pour être démocratique, représenter la société(devenue multiculturelle) comme diversité et non plus comme unité. Adieu les Gaulois réfractaires. D’où la surreprésentation des minorités dans les médias et dans l’espace public en général. Quiconque viendrait critiquer la nouvelle philosophie d’Etat légitimant la guerre idéologique serait donc un dangereux fasciste opposé à la démocratie diversitaire. C’est pourquoi la censure fait loi nous explique l’auteur. « Tradition », « identité » ou « patrie », ces mots qui n’ont plus droit de cité. Il n’est donc pas étonnant de voir que les opposants au système enchaînent procès sur procès pour des propos dits « discriminatoires ».


Nos racines face au nihilisme


Notre époque ressemble à s’y méprendre à celle décrite par Alfred de Musset dans sa Confession. 200 ans plus tard, nous vivons à nouveau une période de transition entre deux mondes : un monde enraciné, reposant sur une histoire, une culture, en un mot sur un héritage, et un monde qui se dessine sans passé, privé de morale et présenté comme l’aboutissement d’un changement inéluctable. Dans notre siècle à la réalité houleuse, qui constitue pour les uns l’avènement de l’égalitarisme, pour les autres, le moment de réhabiliter le chant salvateur du passé, « on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris ». Mais comment peut-on croire au futur d’une société polarisée, à l’identité diluée, au peuple méprisé ?


On ne peut raisonnablement penser que le progrès dont on nous rabâche les oreilles en est véritablement un. L’homme du XXIe siècle ressemble davantage à un robot serviable qu’à un être humain émancipé. L’utopie restera utopie et nous passerons dans l’histoire comme des oubliés. Nos Pères nous ont laissé un héritage considérable dans tous les domaines aussi bien artistiques, littéraires que scientifiques. Que pourra bien laisser une société nihiliste, qui ne vit que dans l’ombre d’elle même ?