Marteau ébranle un système de collusion

L'entrepreneur Tony Accurso, le maire de Mascouche et six ingénieurs sont au banc des accusés

UPAC - le « système Mascouche »




L’entrepreneur Tony Accurso entouré de journalistes à sa sortie du quartier général de la Sûreté du Québec, rue Parthenais, à Montréal, hier. Des accusations de fraude, complot, abus de confiance et trafic d’influence ont été portées contre lui.
Kathleen Lévesque , Brian Myles - L'escouade Marteau a augmenté hier la pression d'un cran sur l'industrie de la construction, les firmes de génie-conseil et le monde politique en démantelant, à Mascouche, un système de fraude et de corruption reposant sur la «supercherie», le «mensonge» et le blanchiment d'argent à l'étranger. Cette importante opération de la Sûreté du Québec (SQ) pourrait servir de matrice pour d'autres frappes similaires, notamment à Montréal.
Au banc des accusés, on retrouve l'éventail complet des métiers et professions gravitant autour d'un projet de construction d'importance: entrepreneurs en construction, ingénieurs, avocats, élus, collecteurs de fonds. Marteau a ainsi épinglé l'un des plus gros joueurs de l'industrie de la construction, Tony Accurso. Le controversé homme d'affaires aurait comploté avec le maire de Mascouche, Richard Marcotte, l'entrepreneur Normand Trudel et 14 autres présumés complices (individus et entreprises) pour fausser l'octroi de contrats publics, de 2005 jusqu'à ce jour.
«Un système avait été mis en place il y a plusieurs années afin de favoriser certaines entreprises pour le partage de contrats municipaux lucratifs. Ce système visait aussi à offrir des avantages à un élu et à un fonctionnaire de la Ville de Mascouche en échange de décisions favorables», a expliqué l'inspecteur Denis Morin, responsable de l'escouade Marteau.
L'opération Gravier est le résultat d'une enquête ouverte en octobre 2010 après que la SQ eut reçu des informations de deux citoyens sur le favoritisme dans l'octroi des contrats municipaux à Mascouche, notamment pour la gestion des eaux. Mais il y a plus. Les enquêteurs de Marteau ont pu compter sur l'étroite collaboration de Claude Lachapelle, qui était le directeur de cabinet du maire Marcotte jusqu'en février 2011.
M. Lachapelle a servi d'intermédiaire à 22 reprises pour récolter des récompenses ou commissions destinées au maire Marcotte. Selon l'acte d'accusation, il aurait piégé 11 des 15 accusés, y compris Normand Trudel.
M. Lachapelle a quitté son poste peu après que les premières révélations sur les liens entre MM. Trudel et Mascotte eurent éclaté dans les médias. Il avait été associé de près aux succès du maire, dont il avait coordonné les deux dernières campagnes électorales.
Outre M. Lachapelle, Marteau a rencontré 120 témoins et mené huit perquisitions avant de procéder finalement aux arrestations dès 6h hier matin. «Pour nous, c'est un beau coup. Plusieurs l'attendaient», s'est réjoui Robert Lafrenière, le commissaire de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) qui chapeaute l'escouade Marteau.
D'autres dossiers d'enquête pourraient aboutir au cours des prochaines semaines, selon nos informations. Le commissaire Lafrenière a insisté sur l'importance «du temps et de la rigueur» pour ficeler des dossiers qui résisteront à l'épreuve d'un procès au criminel, ce pourquoi l'UPAC a connu de lents débuts. «On a d'autres enquêtes qui touchent d'autres municipalités», s'est borné à dire l'inspecteur Morin sans plus de précisions.
Écosystème de collusion
C'est littéralement un écosystème de collusion et de corruption dans la couronne nord que l'UPAC a déstabilisé hier. Quinze individus et deux compagnies (BPR Triax et Transport et Excavation Mascouche) font face à 47 accusations de fraude, fraude envers le gouvernement, abus de confiance par un fonctionnaire, actes de corruption dans les affaires municipales, influence d'un fonctionnaire municipal, complot et utilisation de documents contrefaits.
Dans ce vaste système, le maire Marcotte et Luc Tremblay, directeur général de la Ville de 1995 à 2011, auraient été les bénéficiaires des largesses des entrepreneurs et des ingénieurs.
L'inspecteur Morin a confirmé l'existence d'un stratagème de financement illicite du parti du maire Marcotte (Ralliement Mascouche) qui reposait sur le blanchiment d'argent dans des paradis fiscaux. «Il y avait beaucoup de financement politique municipal dans le dossier», a-t-il dit.
«Si les enquêtes prennent tant de temps, c'est parce qu'il faut retracer le chemin de cet argent qui dans certains cas transige dans d'autres pays», a ajouté Denis Morin.
Selon l'acte d'accusation, M. Marcotte aurait accepté un séjour sur le bateau Touch de Tony Accurso à titre de récompense pour la conclusion d'affaires ayant trait à la Ville de Mascouche. Le maire aurait également accepté que l'entreprise de M. Trudel, Transport et Excavation Mascouche, lui livre à sa résidence personnelle «10 voyages de terre (topsoil)».
Transport et Excavation Mascouche a reçu des contrats municipaux d'une valeur de 40 millions de dollars entre 2000 et 2009.
Accurso risque gros
L'entrepreneur Tony Accurso, dont les principales entreprises, Simard-Beaudry et Louisbourg, ont été reconnues coupables en 2010 d'avoir soustrait 4 millions de dollars au fisc fédéral, a été arrêté à sa somptueuse résidence de Deux-Montagnes. Il n'a été relâché qu'en fin d'après-midi.
Tony Accurso risque gros s'il est reconnu coupable des accusations de fraude, complot, abus de confiance et trafic d'influence portées contre lui. Il sera tout simplement chassé de l'industrie de la construction. En vertu de la loi 73 contre la criminalité sur les chantiers, il ne pourrait plus être dirigeant, administrateur ou même actionnaire d'une compagnie détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) pour cinq ans, avec un casier judiciaire.
Dans l'affaire de la fraude fiscale contre le gouvernement fédéral, seules deux de ses entreprises avaient été accusées, ce qui lui a permis de poursuivre ses activités par le truchement de ses autres compagnies. Cette fois-ci, l'enjeu est différent puisqu'il est personnellement accusé. La RBQ ne prendra cependant aucune mesure contre lui tant et aussi longtemps qu'il bénéficiera de la présomption d'innocence. «Il faut attendre une condamnation au criminel. Qu'il s'appelle Accurso ou Veillette, ça aura alors un impact sur sa licence», a expliqué Marjolaine Veillette, porte-parole de la RBC.
Les autres accusés dans le dossier Mascouche ont également été arrêtés puis relâchés après avoir été conduits au quartier général de la SQ, rue Parthenais à Montréal. Le maire Marcotte est présentement en vacances à Cuba, et il sera arrêté dès son retour prévu demain. Tous devront comparaître au palais de justice de Joliette le 19 juin prochain. Ils risquent de lourdes peines de pénitencier, les tribunaux étant beaucoup plus sévères à l'égard des fraudes envers le gouvernement depuis le scandale des commandites.
Les firmes de génie-conseil dont les dirigeants font face à des accusations ont toutes refusé de commenter la situation. Le cabinet d'avocats Fasken Martineau, dont l'associé Jacques Audette est pointé, a donné l'assurance de sa pleine collaboration avec l'UPAC.


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