Il n’aura pas fallu grand-temps, jeudi, pour se rendre compte que les travaux du comité parlementaire étudiant le projet de loi antiterroriste C-51 seraient un simulacre de consultations.
Presque chaque témoin qui avait une critique à formuler s’est fait faire la leçon, a vu ses motivations mises en doute ou s’est fait égratigner par des insinuations malveillantes par les députés conservateurs.
Le pire exemple est survenu en soirée, quand la députée conservatrice Diane Ablonczy a interpelé Ishaan Gardee, le directeur du Conseil national du Conseil national des musulmans canadiens, en soutenant que son organisme avait des liens avec un groupe américain qui appuie le Hamas.
Gardant son calme, Ishaan Gardee a vigoureusement nié ces allégations, puis noté qu’il était honteux que la députée profite de son immunité parlementaire pour faire des insinuations dignes de McCarthy et qui ont valu au bureau du premier ministre de se faire poursuivre — une affaire qui est toujours devant les tribunaux.
Les députés conservateurs n’étaient pas là et n’y seront pas au cours des prochaines séances pour mieux comprendre le projet de loi, en déceler les lacunes et les corriger. Leur seul rôle est de défendre C-51 coûte que coûte, et de répéter les justifications et explications du ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney.
Tout est fait à la sauvette : une heure pour chaque série de trois témoins, qui n’ont à peu près jamais le temps de terminer leur présentation et qui n’ont souvent droit à aucune question pour approfondir leur point de vue. Manque de temps ? Tant pis, on passe au suivant.
L’opposition est mal servie par ce processus, n’ayant que de 7 à 12 minutes par heure pour poser des questions. Alors ils vont au plus pressé ou au plus rentable politiquement, même si certains députés sont plus habiles à obtenir des réponses essentielles.
Mais au final, des témoins importants sont ignorés par tous les partis, comme ce fut le cas pour Ron Atkey, jeudi matin. Ce dernier a été le premier dirigeant du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) et a suivi son évolution en tant que juriste.
Il avait beaucoup à dire, y compris sur l’inconstitutionnalité des dispositions autorisant le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de poser, avec l’autorisation d’un juge, des gestes illégaux pour contrer une menace terroriste. Malgré cela, pas une question.
Mardi, le ministre Blaney et son collègue à la Justice, Peter Mackay, témoignaient en compagnie du commissaire de la GRC et du grand patron du SCRS — les seuls à avoir deux heures pour s’expliquer.
Malgré cela, les membres de l’opposition ont concentré leurs tirs sur les ministres qu’ils peuvent interroger presque tous les jours aux Communes, et ils n’ont pas eu une seule question pour le directeur du SCRS, un homme qu’ils voient rarement. Ils n’ont même pas pensé lui demander à quoi pourraient ressembler les mesures illégales de perturbation de la menace que le projet C-51 leur permettra d’utiliser. Les conservateurs, eux, ne se sont pas privés de sa présence et lui ont lancé de nombreuses questions complaisantes.
Heureusement que tous ces groupes et citoyens qui tiennent à témoigner devant ce comité croient encore au processus démocratique, parce que ce n’est pas l’attitude du gouvernement — visiblement peu ouvert à des amendements, sauf les siens — qui peut les y encourager.
À entendre ce que la plupart des témoins ont à dire, on comprend par ailleurs que le gouvernement ait voulu faire vite. À peu près tous ceux qui ont comparu la première journée ont mis le doigt sur les failles, souvent énormes et inquiétantes, du projet de loi C-51.
Les dispositions sur l’échange d’information entre 17 ministères et agences sont imprécises au point de faire craindre une atteinte «démesurée» à la vie privée des Canadiens. Le commissaire à la vie privée, qui ne sera pas invité à témoigner (pas plus que le Barreau canadien), l’a écrit dans son mémoire, et plusieurs témoins lui ont fait écho.
Si ces échanges d’information se font de bonne foi mais ruinent la vie de personnes innocentes, ces dernières n’auront pas le droit de poursuivre le gouvernement et d’obtenir réparation, comme l’a fait Maher Arar après avoir été expédié dans les geôles syriennes par les autorités américaines sur la foi d’informations fausses fournies par le Canada.
C-51 donnera le pouvoir au SCRS de perturber une menace en ayant recours à des activités illégales ou contraires à la Charte des droits et libertés. Il devra, dans ces circonstances, demander un mandat à un juge. Un véritable détournement de sens du système des mandats accordés pour la surveillance électronique ou l’interception de communications.
Du jamais-vu, aussi, car ce que le gouvernement crée est un système de mandats pour autoriser une infraction à la Constitution. On se demande quel juge de la Cour fédérale voudra s’y plier, surtout que les limites prévues sont insignifiantes.
Les gestes posés devront être raisonnables et proportionnels, ne pas nuire à des procédures judiciaires et ne pas porter atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’une personne. Rien n’interdit, par exemple, la détention dans un lieu secret pendant une durée indéterminée, a déploré le juriste Craig Forcese.
Et tout ce renforcement de l’appareil sécuritaire n’est assorti d’aucune mise à niveau des mécanismes de surveillance et d’examen indépendants du SCRS, de la GRC et de multiples ministères et organismes qui acquièrent de nouveaux pouvoirs.
La liste est longue, et je tenterai d’y revenir en détails, un élément à la fois, mais la fermeture évidente des conservateurs a de quoi inquiéter, car elle traduit le peu de cas qu’ils font de la protection des droits fondamentaux des Canadiens. Comme en à peu près tout, tout est manichéen à leurs yeux.
Il ne peut y avoir de liberté sans sécurité, répètent-ils. C’est vrai, mais le projet C-51 est l’antithèse de la recherche d’équilibre entre ces deux pôles. Tous ceux qui ont tenté de soulever la nécessité de protéger les droits et libertés et de renforcer les mécanismes de surveillance de la GRC et du SCRS se sont faits accuser de vouloir noircir la police et les services de renseignement. Les néo-démocrates ont été les premiers à goûter à cette médecine.
Mais voilà : les conservateurs sont persuadés que la population est derrière eux, alors ils foncent, avec les élections dans leur mire — et pas question d’admettre la moindre erreur. Les conséquences indésirables ? On les gèrera plus tard. Malheureusement, ce pourrait être trop tard pour certains.
On peut dire que le chef libéral Justin Trudeau a aussi les élections en tête quand il se présente — comme il l’a fait lundi, à Toronto — comme le champion défenseur des libertés individuelles, tout en disant qu’il appuiera le projet C-51 même si les amendements qu’il souhaite sont rejetés. Il doit bien y avoir des libéraux qui se demandent ce qu’il advient de leurs principes.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé