Libre la presse au Québec?

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Une presse totalement sous influence


C’est la journée internationale de la liberté de presse aujourd’hui. Ah. Désolé, mais je n’ai pas du tout le gout de fêter...


La liberté de la presse, je n’y crois pas. Comme principe j’entends. Je n’y crois plus. Et je ne parle pas ici des journalistes. Ces travailleurs de l’ombre, ensevelis sous l’abondance de l’opinion, coincés dans l’incompréhension généralisée de la distinction entre l’essentielle objectivité qui est à la base de leur travail et la subjectivité des Spin doctors, comme moi.


Je crois plus que jamais à la valeur essentielle de leur travail. Nécessaire, capital. Et incompris aussi. Trop souvent.


Des journalistes compétents, il y en a au sein de tous les empires médiatiques au Québec. Là n’est pas la question. Là n’a jamais été la question en fait. Le meilleur des journalistes, le plus apte à couvrir une nouvelle ne peut rien faire si la tâche de couvrir cette nouvelle ne se rend pas jusqu’à lui ou elle. Si le choix est fait, en toute connaissance de cause, de ne PAS traiter de la nouvelle.


L’Europe s’émeut des liens troublants en la multinationale Lafarge et les barbares de Daech, un dossier explosif qui a des ramifications connues et évidentes jusque chez nous.


Existe-t-il un intérêt évident du point de vue de la « nouvelle »? Est-ce un dossier qui mériterait l’attention de journalistes? Bien sûr.


L’ennui c’est que le dossier Lafarge implique l’un des barons de la presse les plus puissants au Canada et au Québec. Dès lors, silence concerté et troublant pendant une bonne semaine. Incrédules, nombre de commentateurs soulignent à grands traits cette incohérence évidente.


Un axe se crée. Tangible, troublant lui aussi. Un empire média couvrira la nouvelle, l’axe d’en face étirera le plus longtemps possible son silence.


Vrai que l’un des journalistes que je respecte le plus au Québec – et j’insiste là-dessus – brisera le silence de l’empire silencieux. Un texte d’équilibriste, par un chroniqueur plutôt qu’un journaliste de la salle de nouvelle. D’autres références à l’affaire suivront parmi cet axe silencieux, le signal est donné, on peut traiter de l’affaire. Et je ne caricature même pas.


J’insiste aussi sur le fait que tous les empires médias ont des intérêts à défendre. Tous. Et ces intérêts priment quand ils s’entrechoquent avec l’indépendance journalistique. On ne peut le nier.


Quand les parlementaires s’attaquent aux journalistes...


On souligne la journée de la liberté de presse au Québec dans un contexte des plus moroses. C’est justement à la suite du travail acharné, même périlleux, de journalistes que le voile a été levé sur les pratiques de collusion et de corruption tant au municipal qu’au provincial. Un exemple du travail professionnel de l’ensemble de la profession journalistique au Québec.


Des journalistes d’enquête ont été élevés au rang de redresseurs de torts. Des centaines de milliers de personnes qui attendaient le prochain épisode de l’émission Enquête, des staffers politiques nerveux, fins prêts à préparer la prochaine ligne de communication de crise...


C’était à la fin des années 2000, l’âge d’or du journalisme d’enquête.


Aujourd’hui, la chose a bien changé. Nous avons assisté au cours des derniers mois à l’attaque inconsidérée de parlementaires envers les journalistes d’enquête. Ce fut le cas quand Québecor a publié ce dossier troublant sur les mots-clés imposés par le Parti libéral pour trier l'information recueillie suite à la perquisition de documents chez Violette Trépanier. Les intrications entre empire média et politique, encore. Les faits sont étalés, troublants, documentés, et embarrassants pour le gouvernement. La réponse? Attaquer le messager.


« On sait bin! Ça sort chez Québecor! »


Dès lors, on quitte le terrain de l’objectivité journalistique à la base du travail qui mène à la publication d’un dossier comme celui de l’an dernier, à pareille date, sur l’obstruction potentielle du Parti libéral du Québec dans le travail des enquêteurs de l’UPAC.


Le ministre Pierre Moreau avait été cinglant envers les journalistes, critiquant leur travail, mettant en cause leur indépendance quand leurs enquêtes les menaient à embarrasser son parti. Une dérive grave de la part d’un parlementaire.


Et Pierre Moreau faisant cette charge virulente, l’an dernier, exactement aujourd’hui, le jour de la liberté de presse.


Un an plus tard, on souligne la journée de la liberté de presse au moment où les médias – dans un rare moment d’unanimité - s’indignent de l’absence  troublante de transparence du gouvernement Couillard, lequel s’emploie plus à nuire au travail des journalistes qu’autre chose. Et cette réponse suave de la ministre Weil : « les patrons de salles de nouvelle ne comprennent pas... »


Dans un contexte où de puissants intérêts financiers, pouvoir, politique et médias s’entrechoquent, l’indépendance journalistique totale et complète paraît bien fragile.