Libération de l’Europe : le devoir de mémoire ne saurait être sélectif

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« Près de 27 millions de morts soviétiques, un tiers de soldats pour deux tiers de civils. »


A l'occasion du 75e anniversaire du débarquement de Normandie, l'expert en Défense Philippe Migault revient sur la lecture, faussée, que nous avons de cet évènement et de la fin de la Seconde Guerre mondiale de manière générale.


Alors que la vie politique française, 80 ans après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, est toujours conditionnée par ce traumatisme majeur pour notre nation, force est de constater que le devoir de mémoire, une fois encore, est extrêmement sélectif et à sens unique.


Les récentes élections européennes ont été, une fois de plus, l’occasion de parvenir au point Godwin à peu près dix fois par jour dans nos médias. En oubliant, une fois encore, que les plus grands collaborateurs, les Doriot, Déat, Laval, venaient de la gauche, tandis que les premiers cadres des Forces Françaises Libres, les Pierre de Benouville, Honoré d’Estienne d’Orves, Philippe de Hautecloque, venaient fréquemment des milieux les plus conservateurs et avaient été séduits, à un moment de leur vie, par la Cagoule et l’Action Française…


Il en va de même pour ce soixante-quinzième anniversaire du débarquement du 6 juin 1944.


 

On ne remerciera jamais assez nos amis américains. Ils ont été l’arsenal des démocraties, ont apporté un appui crucial aux Soviétiques par leurs livraisons de matériel. Venus mourir sur nos plages, dans le bocage, ils méritent – et les Etats-Unis avec eux - l’éternelle reconnaissance de la nation française.


Il en va de même des soldats venus de tous les coins de l’empire britannique, Lord Lovat et ses commandos, les solides canadiens de Juno Beach. Merci, merci mille fois.


Merci aussi aux 177 commandos-marine Français d’Ouistreham, aux SAS français largués ce même jour en Bretagne pour fixer sur place le maximum de forces allemandes. Botella, Marienne, Kieffer…Ces hommes ont relevé l’honneur de la France et légué à leurs successeurs des commandos-marine, des RCP et RPIMA français, une tradition d’excellence et d’esprit de sacrifice qui ne s’est jamais démentie. La récente mort au combat des hommes du commando Hubert, Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, qui ont donné leur vie pour délivrer deux de leurs compatriotes, en attestent.


C’était le 6 juin 1944 et c’était en Normandie. C’était une affaire concernant essentiellement Américains, Français et Britanniques. Mais dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, cette opération Overlord est aussi considérée comme l’ouverture d’un «second front» contre l’Allemagne nazie. Ce qui implique qu’il en existait déjà un… Un qu’on passe aujourd’hui sous silence. Ce n’est pas le front italien, qui vit quelques une des plus belles pages de l’histoire militaire française et polonaise s’inscrire au Mont-Cassin, mais demeura un front secondaire. C’est le front de l’Est. 


Celui-ci, ouvert le 22 juin 1941 par l’offensive allemande, est celui de la tragédie absolue. Près de 27 millions de morts soviétiques, un tiers de soldats pour deux tiers de civils. Plus de 628 villages ayant connu le sort d’Oradour-sur-Glane dans la seule Biélorussie, bien plus en comptant tous ceux qui ont été rasés dans le reste de l’Union soviétique. C’est là que la théorie raciale allemande s’est appliquée avec le plus de fanatisme, de cruauté. Là que des centaines de milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, ont été fusillés à la chaîne par les Einsatzgruppen et leurs supplétifs Baltes et Ukrainiens, parce nés juifs. Un sort partagé par des millions de Slaves, considérés, eux aussi, comme des untermenschen, des sous-hommes, par les nazis. Mais c’est là, aussi, qu’ont été brisés les reins de la Wehrmacht.


Celle-ci n’a pas perdu la guerre en Normandie. Elle l’a perdu devant Moscou, Stalingrad, Koursk. Au prix du sacrifice de millions de soviétiques jetés au-devant des panzers et des MG-42 allemandes sans aucun souci de la vie humaine. «Les Allemands étaient sans doute les mieux entraînés à tuer, mais nous étions les mieux entraînés à mourir», résumait un ancien combattant soviétique. Les Alliés n’auraient peut-être jamais percé en Normandie si les Soviétiques n’avaient déclenché le 22 juin 1944 l’opération Bagration, qui donna le coup de grâce à la Wehrmacht en engloutissant l’essentiel de ses réserves et ses meilleures unités.


 

Oui, le front de l’Est ce fût, tous les jours, Verdun et Oradour. Et ce sont les soviétiques qui libérèrent la plupart des camps de la mort. Les Soviétiques qui prirent Berlin.


Certes les Américains amenaient avec eux le jazz, le corned-beef, le chewing-gum et l’essence à une Europe assoiffée de liberté et de plaisirs, alors que l’Armée rouge traînait dans ses bagages le totalitarisme communiste, le Smerch et le NKVD, qui mirent l’Europe de l’est en coupe réglée pour quarante années supplémentaires. Mais la vérité n’est pas aussi manichéenne que cela.


En premier lieu parce que les Américains, entre l’AMGOT et les écarts de leurs GI, n’étaient pas tout à fait des oies blanches animés d’intentions parfaitement pures.


Ensuite parce que les 27 millions de Soviétiques tombés face aux Allemands furent, eux, doublement victimes du totalitarisme. Celui de Hitler, qu’ils brisèrent. Celui de Staline qui les sacrifia, sans états d’âme, avant de se rabattre sur leurs familles, avec son inhumanité, jusqu’à sa mort en 1953.


Soviétiques, Américains, Britanniques, Français, Polonais… Les peuples d’Europe ont tous payé le prix du nazisme. Tous pris part à sa destruction et à notre libération. Célébrer l’anniversaire du débarquement en excluant les Russes est indigne.


Car une chose est certaine. Ceux qui sont morts contre le nazisme n’auraient à coup sûr pas admis cet ostracisme. Encore moins quand Madame Merkel, représentante de la nation à l’origine de toutes ces tragédies se pavanait hier, elle, à Portsmouth, comme si elle était, elle aussi, membre du club des anciens alliés.



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