Lettre au pape

Tribune libre

Votre visite souhaitée cette année, mais finalement reportée sine die, aurait marquée le trentième anniversaire de la première visite d’un pape en sol canadien, celle qu’a effectué l’un de vos prédécesseurs, Jean-Paul II, du 9 au 20 septembre 1984. Des milliers de personnes avaient participé aux événements prévus à l’occasion de cette visite.

Historiquement une terre de foi catholique et une pépinière de missionnaires qui ont parcouru tous les continents en nous sensibilisant aux réalités complexes du monde, souvent cruelles et parfois humainement insupportables, le Québec s’est graduellement éloigné de la pratique du culte catholique, même si les dernières enquêtes indiquent que la foi catholique y est encore légèrement majoritaire. Ce désistement a débuté après Vatican II et les causes et raisons en sont multiples. L’institution catholique, semble-t-il, a déçu profondément en ne répondant pas aux préoccupations de ses fidèles et aux urgences du monde.

Et ces urgences sont d’une actualité criante et oppressante. Les directeurs du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies évaluent à 3,1 millions les enfants de moins de 5 ans qui meurent de malnutrition chaque année, soit près de la moitié (45%) des causes de décès. Le budget du Pam est de 5,5 milliards $ par année pour parer tant bien que mal aux urgences alimentaires des 100 millions d’enfants qui souffrent de sous-alimentation et de retard de croissance. En comparaison pour 2013, les dépenses militaires mondiales se chiffraient à 1 747 $ milliards $, selon The Stockholm International Peace Research Institute. Réallouer ne serait-ce que 1 % de ces dépenses permettraient de tripler le budget du PAM. Pourquoi n’agit-on pas prestement alors que les dépenses militaires dans le monde sont principalement le fait des États-nations chrétiens, lesquels ont mis le monde à feu et à sang plus d’une fois au cours du dernier siècle (1914-2014)… Le christianisme serait-il un échec ?

Le sort de tous ces enfants, l’avenir du monde, est scandaleux. Au vu de cette réalité, Peut-on encore s’opposer et interdire toutes méthodes de contraception ? Le sort des femmes, la moitié de l’Humanité, ne doit pas non plus laisser indifférent, à commencer par leur place au sein de l’Institution catholique. Le droit des femmes basé sur le principe d’égalité entre personne humaine a beaucoup évolué dans nos sociétés. L’Église pourra-t-elle encore longtemps leur dénier le droit d’exercer sans restriction toutes les fonctions cléricales ? 

Une partie non négligeable des membres du clergé catholique a connu de sérieuses dérives dans l’exercice de leur célibat. Le procès au Québec des Pères Rédemptoristes en est une illustration tragique. La solution ne serait-elle pas de permettre aux clercs catholiques le libre choix entre un célibat volontaire et le mariage religieux ?

Évangéliser le monde

L’évangélisation du monde, un vaste chantier, ne devrait-elle pas débuter par la nécessaire et urgente « réévangélisation » du monde chrétien ? Les nombreux schismes qui divisent la chrétienté depuis le Vè siècle sont un scandale permanent. L’œcuménisme s’impose et ne doit souffrir aucun retard. Mais comment pourrait-il y avoir un dialogue ouvert, sincère et véritable au sein de la chrétienté quand l’une des parties prenante se déclare unilatéralement infaillible en matière de foi ? L’infaillibilité ne revient-elle pas à usurper un attribut divin sans aucune justification évangélique ?
« En vérité, je te le dis, toi-même, aujourd’hui, cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu me renieras trois fois. » Mc. 14 : 26-32

Nous sommes ici loin de l’infaillibilité de l’apôtre Pierre, la pierre sur laquelle est érigée l’Église ! Car outre les papes indignes, les violences inouïes des Croisades et de l’Inquisition, les silences stratégiques des dirigeants de l’Église à l’égard des régimes dictatoriaux ou à l’égard des différents impérialismes géopolitiques ne font-ils pas douter à juste titre de la « sainteté » de l’Institution catholique ?

Certains de vos prédécesseurs n’ont pas non plus péché par excès de zèle évangélique à l’égard des plus vulnérables de nos sociétés en condamnant la théologie de la libération qui pourtant défendait l’option préférentielle pour les pauvres. L’un de nos missionnaires en Haïti, en Équateur et au Chili, Claude Lacaille, avait ce commentaire bien senti dans sa récente autobiographie intitulée En mission dans la tourmente des dictatures 1965-1986 :

« Je n’ai pas eu besoin de lire Karl Marx pour découvrir l’option pour les pauvres. La théologie de la libération, ce n’est pas une doctrine, une théorie ; c’est une manière de vivre l’Évangile dans la proximité et la solidarité avec les personnes exclues, appauvries. (…) Être disciple de Jésus, c’est l’imiter, le suivre, agir comme il a agi. »
Heureusement, votre ministère s’inscrit dans cette perspective. À juste titre, les richesses de l’Église, tant financières que matérielles, devraient contribuer hic et nunc à éradiquer la souffrance des exclus plutôt que de faire vivre grassement une hiérarchie pléthorique et servir à entretenir le veau d’or du culte catholique que sont ses innombrables immeubles somptueux, ses vêtements et objets de culte sertis d’or et d’argent... Fondre tout cet or et tout cet argent pour créer un fonds d’aide de développement économique au profit des peuples andins spoliés de ces richesses serait certainement une actualisation exemplaire du discours évangélique !

L’Évangile de demain

Tout en reconnaissant la valeur relative de l’enseignement éthique et moral de la Loi et des prophètes de l’Ancien Testament, le christianisme pose tout un défi à sa branche aînée, le judaïsme. Le dialogue entre les deux confessions religieuses est loin d’être acquis et comment d’ailleurs serait-il possible entre les 15 millions de Juifs qui ont prié le 23 septembre 2012 pour la venue du Messie, alors que plus d’un milliard de chrétiens croient que Joshua, Jésus le Nazaréen, est le Messie, l’Oint, le Christ …?

"Maître de l’univers, nous, enfants d’Israël, nous te demandons le mashiah afin de nous délivrer maintenant et avec miséricorde de cet exil et de nos souffrances, de révéler ton nom dans le monde et d’y amener la paix. Amen".

Pour un chrétien, Jésus Christ n’est pas un simple prophète parmi d’autres, comme le rapporte l’évangéliste Jean dans cette citation :
« Je suis le chemin, la vérité, la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » Jn. 14 : 5
La personne et la mission messianiques de Jésus Christ sont les assises et la source de la foi chrétienne.

Les mythes hébraïques ne sont plus la seule ni la principale référence pour comprendre et interpréter le monde contemporain. Les connaissances en sciences humaines et en sciences naturelles s’accumulent inexorablement. Ces connaissances et ces recherches dans de multiples domaines nourrissent l’esprit humain et ouvrent des perspectives inédites que le jésuite Teilhard de Chardin avait entrevues et partagées courageusement avec ses contemporains. Que vaudra la vision anthropocentrique de l’Univers pour les générations futures le jour où la découverte d’une exoplanète porteuse de vie sera attestée ?

Quel sera en outre le sort de l’Humanité, le sort des Nations, que deux milles ans de christianisme n’ont pas réussi à pacifier ? Est-il permis de croire que l’humanisme chrétien a encore un rôle capital à jouer dans l’évolution de l’humanité ?

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6 commentaires

  • Pierre Cloutier Répondre

    5 septembre 2014

    Message à Mme Fortin
    Et quel est ce message des Évangiles qu'un simple humaniste comme moi ne peut pas comprendre ni pratiquer? Le christianisme n'a pas le monopole de la morale ou de l'éthique. Je ne crois absolument pas en une puissance extra-terreste ni à un au-dela, ni à l'immortalité de l'âme ou au libre arbitre. Je crois à la vie ici et maintenant et j'essaie d'appliquer dans ma vie de tous les jours les principes humanistes. Voir ici : http://assohum.org/a-propos/organisation-de-lahq/principes-directeurs/
    Pas besoin des Évangiles pour cela.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 septembre 2014

    Lorsqu'on comprend et connait le message de l,évangile on sait très bien que ce que vit aujourd'hui ,Léglise et le christianisme a été prophétisé depuis le tout début. L,église va vivre sa passion, sembler mourir et elle revivra. ça crève les yeux qu'on est rendu au temps de la fin alors ne nous énervons pas et gardons le cap, le meilleur est à venir mais avant....... ca va brasser.

  • Yvon Lagacé Répondre

    5 septembre 2014

    - Morale
    - Conscience
    - Honnêteté
    - Intégrité
    - Respect
    Ces 5 valeurs sont tout ce dont l'Humanité a besoin pour régler les conflits sans armement, et pas besoin d'aucune religion pour ça.
    Les religions ont été essentiellement la source des guerres dans l'Histoire.
    Je ne crois absolument pas à la Paix sur la Terre, tant qu'il existera des religions.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 septembre 2014

    Le génocide du peuple Québécois.
    Les acteurs sociaux et médiatiques du Québec feraient bien de lire ce qui suit.
    1- "Notre civilisation a toujours su se doter de
    structures de pouvoir et de soumission,
    aussi bien politiques que culturelles (notamment grâce aux moyens de communication sociale), qui lui permettent d'imposer à l'humanité entière ses erreurs et ses excès." (Entrez dans l'Espérance, p.205)
    "Les médias
    ont habitué les différents groupes sociaux à n'entendre que ce qui "caresse les oreilles" (cf. 2Tm 4,3). La situation ne fera qu'empirer si les théologiens, et surtout les moralistes, au lieu de se faire les témoins de "l'enseignement solide", se font les complices des médias lesquels, bien entendu, donnent alors une large diffusion à leurs doctrines nouvelles."(p.256)
    "... la condamnation
    de Dieu par l’homme
    n’est pas fondée sur la vérité, mais sur un abus de pouvoir et un lâche complot. Cette condamnation ne découvre-t-elle pas la vérité de l’histoire de l’homme, la vérité sur notre siècle? De nos jours, semblable condamnation n’a-t-elle pas été répétée par les innombrables tribunaux des régimes d’oppression totalitaires? Et nous, n’avons-nous pas rendu des verdicts analogues au sein de nos parlements démocratiques, par exemple en condamnant l’être humain avant sa naissance, en vertu de lois régulièrement promulguées?" (p.112)
    "Il n'y a pas, pour l'homme, de droit plus fondamental que le droit à la vie! Et pourtant, une certaine culture contemporaine a voulu le lui dénier, en allant même jusqu'à en faire un droit qu’il est " gênant " de défendre. Mais aucun autre droit ne touche de plus près l’existence même de la personne!…"(p.297)
    http://gloria.tv/?media=546541

  • Jean-Claude Michaud Répondre

    5 septembre 2014

    D'accord avec Monsieur Cloutier pour un Vatican plus humble. Un peu d'espoir avec ce nouveau pape plus humble que j'admire sur le plan personnel. Je n'ai pas du tout aimé les deux papes précédents trop conservateurs pour ne pas dire arriérés.
    Par contre, l'église aurait aussi besoin de devenir plus protestante pour retrouver ses pratiquants de pays riches et éduqués; je veux dire ouvrir au mariage des prêtres, permettre les femmes prêtres, un discours clair en faveur de la contraception, prôner un plus grand dialogue et tolérance envers les opinions contraires.
    Faire la lumière sur les manipulations historiques qui ont déformés la bible. le Vatican a des archives très complètes et à déformer les faits. Qui était vraiment Jésus, Marie-Madelaine (sa femme?), Est-ce que la résurrection le 3e jours, les 12 apôtres est une copie conforme d'autres personnages historiques antérieurs. Jésus était selon moi un simple être humain pas un dieu mais juste un homme sage comme Gandhi.

  • Pierre Cloutier Répondre

    4 septembre 2014

    La journée où le Vatican va vendre tous ses biens, placements, valeurs pour redonner tout cela aux pauvres et aux miséreux, on va le prendre au sérieux.
    La journée où les femmes pourront être ordonnées prêtres et faire comme Mère Thérésa, qui n'était pas croyante, pour aller soigner les malades et s'occuper des laissés pour compte, on va prendre les chrétiens au sérieux.
    La journée où l'Église va accepter l'avortement, l'homosexualité, la contraception, le clonage thérapeutique, on va la prendre au sérieux.
    La journée où les chrétiens vont comprendre que Jésus-Christ est un personnage conceptuel comme le Zarathoustra de Niestzche ou le Socrate de Platon, on va les prendre au sérieux. Ce n'est pas Jésus-Christ qui a créé le christianisme mais le christianisme qui a fabriqué Jésus et il n'y a à ce jour aucune preuve tangible et sérieuse qu'il y a existé un être en chair et en os appelé Jésus. Jésus c'est une légende comme le Père Noël. Il y a beaucoup trop de gens qui préfèrent voir ce qu'ils croient au lieu de croire ce qu'ils voient.
    La journée où les chrétiens vont critiquer les écrits de ce fou furieux qu'était Paul de Tarse, on va les prendre au sérieux.
    La journée où l'Église va présenter ses excuses pour avoir participer aux Croisades, à l'Inquisition, aux autodafés, au massacre de la Saint-Barthélémy et tutti quanti, on va la prendre au sérieux.
    La journée où l'Église catholique va reconnaître qu'il était inadmissible pour elle d'avoir pactisé avec les Nazis, d'avoir caché des criminels de guerre, de les avoir aidés à trouver refuge hors d'Europe on va la prendre au sérieux.
    La journée où l'Église va demander pardon d'avoir pactiser avec les régimes dictatoriaux d'Amérique latine, dont l'Argentine durant les années Condor, on va la prendre au sérieux.
    La journée où l'Église va demander pardon pour avoir appuyé les fascistes en Italie et et en Espagne, on va la prendre au sérieux.
    Le christianisme est une secte qui a réussi grâce à la conversion de Constantin et à compter de ce jour, les moutons se sont transformés en loups.
    Heureusement il y a eu les Lumières, mais celles-ci ont été faibles, car Dieu n'est pas encore mort, comme le prétendait Nietszche, car il revient en force pour nous empoisonner la vie.
    Il n'y a pas de vie après la mort, pas d'au-delà, mais il y a une vie avant la mort et c'est ici et maintenant que nous devons la vivre, en l'aimant et en la respectant et on n'a surtout pas besoin de Dieu ou des curés, des imams ou des rabbins pour aimer notre prochain.
    Amen
    Pierre Cloutier