Loi 21

Les trois piliers de l’antilaïcité au Canada

Ignorance, préjugé et sentiments anti-Québec se mélangent

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Tribune libre

L'auteur est le président des Libres penseurs athées


L’antilaïcité est la norme au Canada, surtout en dehors du Québec. Actuellement le principal point de ralliement des antilaïques est leur opposition acharnée à la Loi sur la laïcité de l’État, la Loi 21. Cette opposition s’appuie sur trois assises : (1) l’ignorance de la laïcité ; (2) un préjugé proreligieux ; et (3) un préjugé ethnique. Permettez-moi d’expliquer.


Ignorance de la laïcité


Les opposants à la Loi 21 ne se donnent même pas la peine de s’informer du sens du mot laïcité. Celle-ci est un programme de gestion de la religion (et de la diversité religieuse s’il y a lieu), surtout dans la sphère civique — c’est-à-dire dans les institutions civiques de l’État et du gouvernement et les services qu’ils offrent. La laïcité s’applique beaucoup moins à la sphère publique (c’est-à-dire, les espaces publics qui ne sont pas civiques) et encore moins à la sphère privée. La laïcité peut se résumer en quatre principes essentiels : (1) l’égalité de tous et de toutes ; (2) la liberté de conscience, y compris la liberté de religion et de s’affranchir de la religion ; (3) la neutralité religieuse de l’État ; et (4) la séparation entre l’État et les religions. Ces quatre principes ne sont pas mutuellement indépendants. En particulier, si la séparation État-religions y manque, les trois autres sont compromis.


Il existe plusieurs variantes de la laïcité, mais au Canada, il y en a deux principales pour la simple raison que l’anglais et le français sont les deux langues officielles. Les pays anglophones ont un modèle particulier de laïcité et les francophones en ont un autre. Au fait, ces deux modèles sont les plus importants à l’échelle internationale, le modèle anglais en vertu de la domination globale écrasante de la langue anglaise et de la culture anglo-américaine, et le modèle français puisqu’il est le plus avancé.


La variante de laïcité qui prévaut dans les pays anglophones tels que le Royaume-Uni, les É.-U. et le Canada hors Québec est le modèle lockien, selon la pensée de John Locke, qui se résume essentiellement à la seule neutralité religieuse. Par contre, la variante prédominante en France et au Québec est la laïcité de tradition républicaine.


La principale différence entre les deux modèles est que le lockien n’inclut pas le principe de séparation entre religions et État, tandis que le modèle républicain l’inclut explicitement. Un exemple emblématique de cette dissonance est le premier amendement de la Constitution des États-Unis. Nous entendons souvent dire que cet amendement déclarerait la séparation entre les églises et l’État, mais cela est tout à fait faux. En vérité, il ne déclare que la neutralité religieuse, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de religion d’État, mais il n’interdit pas l’ingérence des religions dans les affaires d’État à condition qu’aucune religion ne soit favorisée par rapport aux autres. (Cet amendement pose aussi cet autre problème : il déclare la liberté de religion sans qualification et sans la liberté de s’affranchir de la religion, favorisant ainsi les croyants par rapport aux incroyants.) Le modèle français républicain, par contre, énonce explicitement le concept de séparation comme nous le voyons dans le titre de l’incontournable Loi française de 1905 ayant pour titre « Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État ». (D’ailleurs, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la liberté d’opinion religieuse n’est pas absolue et peut être encadrée par la loi.


À titre d’exemple, si l’État permet aux policiers et aux policières de porter des signes religieux ostentatoires au travail, alors on ne peut évidemment pas parler de séparation État-religions.


Pour une explication plus étoffée de la distinction entre la laïcité républicaine et le sécularisme lockien, consulter l’article « La neutralité religieuse ne suffit pas ».


Préjugé proreligieux


Les opposants à la Loi 21 prétendent que cette loi viole la liberté d’expression ou de religion des fonctionnaires et des enseignants auxquels l’interdiction de signes religieux s’applique. C’est le verbe « violer » qui est déplacé ici. Ces opposants, tout comme le premier amendement de la Constitution américaine, ont une vision absolutiste de la liberté de religion et, encore pire, ils n’accordent cette liberté qu’aux employé(e)s. Leur démarche est très erronée. Les libertés ne doivent pas être considérées comme absolues en général, car les libertés des uns s’arrêtent là où commencent celles des autres. En réalité, la Loi 21 ne fait que limiter (et non pas « violer ») cette liberté et, ce, de façon raisonnable, afin de protéger la liberté de conscience des usagers de services publics et des étudiants des écoles publiques.


Encore à titre d’exemple, considérons une salle de cours avec une vingtaine d’élèves et un enseignant. Si l’enseignant(e) veut porter un gros crucifix ou un hijab, alors il ou elle a tout à fait le droit de le faire en dehors de son travail. Mais lorsqu’il ou elle se trouve à enseigner devant la classe, ce genre de publicité religieuse flagrante compromet sa neutralité religieuse et constitue du prosélytisme passif. Cette publicité est une atteinte à la liberté de conscience des élèves et ce, peu importe la religion ou non des parents. Les élèves ont droit à un milieu éducatif libre d’affichages partisans de ce genre. La raison d’être des écoles publiques, c’est l’éducation des enfants et non pas pour fournir des emplois aux enseignants. S’il y a un conflit de droits, c’est la liberté de conscience des élèves qui doit prévaloir sur celle de l’enseignant. De plus, les élèves sont plus nombreux. Toutefois, l’enseignant conserve son entière liberté en dehors du travail.


Les opposants à la Loi 21 n’arrêtent pas de nous répéter que ce sont les murs, et seulement les murs, qui doivent être laïques, non pas les employés, mais ils n’offrent aucun argument pour justifier cette prétention. Un signe religieux porté par un enseignant devant sa classe ou par un fonctionnaire a une influence aussi importante que celle des signes affichés sur l’immeuble. Au fait, son influence est sans doute encore plus importante puisque la personne qui le porte interagit avec les autres et se trouve au coeur de ces interactions. Ceci est d’autant plus le cas dans les écoles, et surtout lorsque les « clients » avec lesquels on interagit sont de jeunes enfants. Un de nos membres LPA a très bien articulé cette situation ainsi :



C’est vrai qu’en matière d’affichage les murs peuvent « parler » c’est-à-dire envoyer un « message ». Il en est de même toutefois pour les personnes qui acceptent de se transformer en panneau publicitaire ambulant au nom de leur idéologie.



Voir toujours l’État comme un ennemi est une vision simpliste et unilatérale. Il ne suffit pas de protéger les religieux de l’ingérence de l’État, tout en négligeant le danger de l’ingérence dans l’autre sens. L’attitude de ceux et celles qui s’opposent absolument à toute interdiction de signes religieux dans les services publics ressemble drôlement à l’opposition au contrôle des armes, une aversion radicale à tout contrôle, de quelque nature que ce soit, par l’État, une sorte de libertarianisme sur stéroïdes. Il s’agit d’une mentalité vachement semblable à la paranoïa des amateurs de théories de complot.


Et si, par contre, on voyait l’État comme un véhicule dont le mandat serait de promouvoir l’intérêt du public, ayant pour tâche de maximiser simultanément les libertés et la sécurité des citoyens et citoyennes ? Et si l’État échouait à cette tâche, alors la solution serait la réforme de cet État par la participation citoyenne. Le principe de séparation, si négligé dans le monde anglophone (bien qu’on fasse semblant de s’en occuper) est précisément un programme pour protéger l’État contre l’ingérence religieuse. Les opposants à la Loi 21, en se préoccupant de la seule liberté de religion et seulement pour une minorité, menacent et minent la liberté de conscience de tout le monde.


Préjugé ethnique


Finalement, dans le contexte canadien, les attitudes à l’égard du Québec constituent un facteur important. Le préjugé anti-francophone représente un thème constant à travers l’histoire de ce pays. L’opposition du Canada anglais à la Loi 21 au Québec serait beaucoup moins intense, moins extravagante et moins virulente n’eut été ce vieux préjugé odieux. Il est temps de faire face à la réalité : l’opposition à la Loi 21 est inspirée partiellement, mais fortement par le racisme anti-québécois. J’ai longtemps hésité à employer ce terme « racisme », étant donné son usage si fréquent et si malhonnête par les antilaïques. Mais si ça ressemble à un canard, si ça nage comme un canard et si ça cancane comme un canard, alors…


En fin de compte, les opposants à la Loi 21 n’ont aucun argument valable à offrir, rien de raisonnable ni de cohérent. C’est pour cette raison qu’ils se rabattent toujours sur la diffamation, lançant des accusations gratuites de « xénophobie » ou des injures semblables. Quant aux Anglo-Canadiens ethnocentriques qui répondent au Québec et à sa législation laïque par des accusations de racisme, je leur conseille de regarder dans un miroir afin de contempler les vrais racistes.


Conclusion


 


Pour conclure, les trois piliers de l’antilaïcité au Canada peuvent se résumer ainsi :



  1. L’ignorance de la question clé, la laïcité. En particulier, l’ignorance du principe crucial de la séparation entre religions et État.

  2. La malhonnêteté en matière des droits et libertés, accordant une absolue liberté d’expression religieuse à une minorité, tout en portant atteinte à la liberté de conscience de tout le monde.

  3. La diffamation, calomniant les Québécois qui préfèrent la laïcité, et en particulier la variante de laïcité qui est non seulement le modèle dans le monde francophone, mais qui est, en plus, incontestablement supérieure au modèle lockien.



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