Les temps sont durs

États américains - impasse budgétaire



Je n'ai jamais cessé, dans mes écrits, dans mes conférences ou dans mes rencontres avec les jeunes, de faire l'éloge de la politique, de la grandeur de ce métier. Pour les meilleurs, cette occupation constitue une sorte de vocation, de sacrifice au bonheur collectif. La politique, on ne le dit pas assez souvent, n'est ni un sport, ni un jeu vide, c'est l'organisation du bien-être de la société. Je dois avouer que, lorsque j'observe la scène politique québécoise et canadienne depuis quelque temps, je dois me creuser la tête pour justifier mon idéalisme et en convaincre les sceptiques, les scandalisés, les abstentionnistes et ceux qui résument leur sentiment en disant: «Tous des pourris.» Il faut avouer que l'actualité apporte beaucoup d'eau à leur moulin.
À Québec plane une odeur nauséabonde de copinage, de complaisance et de dissimulation. À Ottawa règnent un mépris souverain des institutions démocratiques et une volonté systématique de ne pas rendre de comptes et de ne pas informer.
Il faut dire que l'immense capacité financière des États et des institutions publiques constitue partout une des principales richesses disponibles pour les entrepreneurs en tout genre. C'est particulièrement vrai dans les pays sous-développés, où la capacité de distribuer des contrats ou des permis transforme un capitaine de gendarmerie en millionnaire en moins de temps que cela prend pour dire «corruption».
En Europe occidentale, de nombreuses affaires de retour d'ascenseur ont embêté bien des partis, autant de droite que de gauche. Elles étaient toutes reliées aux faiblesses des législations concernant le financement public des partis. Dans ces cas, ce n'est pas l'enrichissement personnel qui est le déclencheur, mais les besoins financiers des organisations politiques. Il est ironique qu'en France l'octroi de contrats provenant des institutions publiques soit désigné comme les «marchés publics», comme si l'État constituait un marché regorgeant de richesses où les entrepreneurs vont faire leurs «achats».
Ces pensées me sont venues cette semaine en écoutant distraitement, puis avec attention, la conversation de mes voisins de table au restaurant. Celui qui exposait ses problèmes était dans la quarantaine et se trouvait à un tournant comme chef d'entreprise. Je n'ai pas très bien compris s'il était entrepreneur, promoteur ou constructeur, mais son entreprise oeuvrait presque exclusivement dans le domaine des «marchés publics».
Son chiffre d'affaires plafonnait, il n'obtenait que de petits «mandats». Il avait tenté d'entrer dans le «club» des grands mandataires, fait ses devoirs, présenté des soumissions bien ficelées. Rien n'y faisait. On lui avait fait comprendre à mots couverts, et puis assez clairement, qu'il ne faisait pas partie de la bonne équipe. «Je n'ai jamais voulu faire de politique, mais je me rends compte que, si je veux que l'entreprise prenne de l'expansion, je vais devoir contribuer à la caisse du Parti libéral, et pas seulement avec mon petit 3000 $ permis par la loi.» Du reste de la conversation j'ai compris qu'il s'était résigné, puisque c'était ainsi que le système fonctionnait, et qu'il voulait entrer dans le système. Il demanderait à ses associés et à ses employés d'emboîter le pas.
Le lendemain, j'écoute une entrevue du président de l'Association des garderies privées du Québec, Sylvain Lévesque. Il explique que ses membres se sont massivement tournés vers le Parti libéral quand le PQ a parlé d'imposer un moratoire sur l'augmentation des places en garderie privée. De là à dire que lui et ses membres croyaient qu'en finançant massivement le parti de Jean Charest les garderies privées s'assuraient un avenir lucratif, il n'y a qu'un pas que nous sommes nombreux à franchir.
Après l'octroi des contrats de voirie sans soumissions publiques, la collusion dans la construction pour contourner les appels d'offres, le rôle des firmes d'ingénierie dans les municipalités, l'intimidation dans la construction, voilà que nos bouts de chou feraient l'objet d'un commerce suspicieux. Même le vérificateur général s'inquiète, débordé qu'il est avec tout ce qu'on lui demande de vérifier depuis quelque temps.
Et finalement, la sortie de l'ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare. Il accuse carrément Jean Charest de mentir. Il l'a prévenu: il existait des liens compromettants entre le Parti libéral, l'industrie et les syndicats de la construction. Comment empêcher que la population déjà désenchantée soit de plus en plus convaincue qu'on lui cache des choses énormes. C'est ainsi que les politiciens sans scrupules tuent la politique et la rabaissent à une lutte médiocre pour le pouvoir.
À un autre niveau, à Ottawa, on fait tout pour nous décourager de la politique. Stephen Harper affiche un mépris absolu pour le rôle du Parlement. Il pratique une politique de dissimulation permanente. Mais cela n'est possible que parce que le Parti libéral refuse de «mettre ses culottes» et de prendre le risque d'expliquer aux Canadiens que, même sans majorité, un gouvernement peut modifier radicalement la fibre de notre pays.
Décidément, les temps sont durs pour ceux qui, comme moi, persistent à faire l'éloge de la politique.


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