Les radicaux libres

Tucson - déliquescence démocratique US

Y a-t-il un lien direct entre la tuerie de Tucson et la montée aux États-Unis d'un discours de droite de plus en plus radical, hargneux et jouissant de tribunes puissantes et efficaces?
Que ce soit pour Polytechnique, l'assaut du caporal Lortie à l'Assemblée nationale, les tueries de Concordia et Dawson, la question est toujours la même. Ces morts sont-elles l'œuvre de fous furieux isolés, de grands malades non traités? Ou sont-elles aussi liées au contexte social et personnel dans lequel baignait chaque meurtrier?
Dans ces tragédies, les psychiatres improvisés abondent et la recherche de sens est parfois impossible.
Par contre, dans le cas de Tucson, un sujet est sur toutes les lèvres. Immense. Incontournable. Soit ce discours politique violent montant d'une droite se radicalisant de plus en plus.
Que le meurtrier soit ou non un "loup solitaire" fou - comme disent les Américains -, que le lien de causalité soit ou non direct, ces six morts et quatorze blessés, dont la représentante démocrate Gabrielle Giffords atteinte d'une balle à la tête, braquent inévitablement les projecteurs sur ce même discours.
Impossible de l'ignorer, parce qu'on l'entend non seulement du mouvement Tea Party, la frange extrême des républicains. Mais aussi dans les médias et sur Internet. Son modus operandi: la confrontation par tous les moyens. Exit tout débat public réel.
Et tout passe dans son collimateur: gouvernements, fonction publique, syndicats, Barack Obama - présenté comme un fasciste ou un communiste, c'est selon -, sa timide réforme du système de santé, le Parti démocrate, les intellectuels, CNN et autres médias qu'on dit infiltrés par la "gauche" [sic], etc...
Un discours morbide comme celui d'une Sarah Palin dénonçant l'apparition de "tribunaux de la mort" si la réforme de la santé passait. Violent comme celui du républicain Jesse Kelly, opposé à Mme Giffords et demandant à ses supporteurs de se présenter avec un fusil M16 pour aider à la "déloger du pouvoir"!
Violent comme cette carte affichée par Palin marquant 20 districts d'élus démocrates de viseurs de fusil. Dont celui, encore, de Gabrielle Giffords.
De fait, ce genre d'analogies guerrières visent tout ce qui bouge du centre à la gauche. Elles ne tombent pas dans des oreilles de sourds. Elles excitent les excitables pendant qu'augmentent les incidents de vandalisme et de menaces contre des démocrates.
Le haut-parleur
Puis, il y a cette influence massive de leur principal haut-parleur: Fox News et ses animateurs "grandes gueules". Un réseau devant lequel les cotes d'écoute déclinantes du modéré CNN ne font pas le poids.
L'an dernier, même un rapport du Department of Homeland Security sur l'"extrémisme de droite" disait craindre une tournure plus violente venant de "groupes" ou de "loups solitaires"...
On tente évidemment de noyer le poisson en prétendant que cette rhétorique militaire existe tout autant du côté du Parti démocrate...
"Un climat de haine", voilà pourtant comment le chroniqueur du New York Times et Prix Nobel Paul Krugman qualifie ce magma de la droite "extrême" au "potentiel croissant de violence". Sûrement un vilain communiste...
Sans vouloir museler la liberté d'expression, l'ex-sénateur Gary Hart avançait qu'"il n'y a aucune raison d'utiliser des métaphores militaires et violentes dans un discours politique".
Sauf, aurait-il pu ajouter, si le but recherché est justement de diaboliser l'adversaire en le faisant passer pour un "ennemi" dangereux.
Il est vrai que ce discours tient en partie d'une culture trempée dans la vénération des armes à feu et la mythologie du pionnier se méfiant de l'État comme de la peste. Mais sa radicalisation indique qu'au-delà de cette filiation historique, il se passe aussi autre chose. Et ce quelque chose transcende les frontières américaines.
On parle d'une droite plus présente, incluant ses franges radicales. Une droite s'organisant avec ses partis, ses mouvements, ses médias, ses leaders politiques et d'opinion.
Au Canada, ça se fait sur un tout autre ton, bien sûr! Mais le plus bel exemple en est la fusion réussie du Parti conservateur et de la plus radicale Alliance canadienne.
Les pompiers pyromanes
En novembre, de l'autre côté de l'Atlantique, en entrevue à Rue89, l'historien français Emmanuel Todd parlait carrément d'une gauche "trop molle" pour contrer une droite se radicalisant, elle aussi, en France.
Et là, notez bien ce qu'il disait: "Une des vérités du sarkozysme, c'est l'irruption de la violence. (...) Il est l'homme politique qui, par ses provocations verbales, a réussi à foutre le feu à une partie des banlieues françaises et qui, ensuite, a été élu sur un discours d'ordre - un jeu extraordinaire de pompier pyromane. Il a fait entrer dans le discours politique une brutalité et une vulgarité sans pareilles. Sarkozy est violent. Est-ce simplement verbal? Je ne sais pas. Cela pourrait préfigurer pire. Il y a une asymétrie dangereuse dans le système."
Tenez, ça ne vous fait pas penser à quelque chose?
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Addendum: Alors que l'ex-président Bill Clinton appelait hier à une rhétorique politique cessant de faire dans la «démonisation», aujourd'hui, le 12 janvier, on rapporte que même des officiels du Parti républicain démissionnent de leurs postes par peur des menaces reçues du mouvement Tea Party, dont Anthony Miller, le président d'un district pour le Parti républicain:
http://voices.washingtonpost.com/44/2011/01/tucson-shooting-prompts-local.html
http://thinkprogress.org/2011/01/12/az-republicans-resig/# (Merci à mon collègue Pierre Duchesne pour cette référence mise sur Twitter).
Et pour ceux qui, comme Bill Clinton, auraient espéré que suite à cette tragédie, le Tea Party se calme un tantinet le pompon rhétorique, la réaction de Sarah Palin d'aujourd'hui fait la démonstration contraire, se présentant comme la victime d'une campagne de salissage et de tentatives de censure:
http://www.cbsnews.com/8301-503544_162-20028244-503544.html?tag=strip
Le tout, avant que le président Obama ne prononce son discours ce soir à Tucson.
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