Les Etats-Unis en pleine introspection après la tuerie de Tucson

Tucson - déliquescence démocratique US



Deux jours après la fusillade qui a coûté la vie à six personnes et grièvement blessé l'élue démocrate de l'Arizona Gabrielle Giffords, l'Amérique débute un douloureux soul-searching — cette grande séance d'introspection générale réclamée, dès samedi, par le shérif chargé de l'enquête.
L'expression a fait florès dans l'opinion et la presse outre-Atlantique, rapidement concurrencée par une autre notion, celle de political rhetoric. Parce que derrière la "tuerie de Tucson" il y a les délires pathologiques d'un homme, mais aussi un climat politique jugé unaniment délétère. Un climat résumé par le démocrate Steny Hoyer dans l'émission Face the Nation sur CBS : "L'environnement politique de ces deux ou trois dernières années a été plus violent, plus belliqueux que tout ce que nous avons connu dans le passé."
En cause, donc, la "rhétorique politique" en vigueur depuis l'accession de Barack Obama à la Maison Blanche. Le Washington Post s'est employé à recenser les plus excessives de ces contributions récentes au débat public : au menu, vocable guerrier et attaques ad hominem. Emanant le plus souvent des républicains ou des membres du Tea Party, ces attaques peuvent aussi être le fait de démocrates, comme cette campagne du gouverneur de Virginie-Occidentale.


Pour nombre de journaux, ce climat rappelle certaines heures sombres de l'histoire américaine : la violence de la guerre du Vietnam avait en son temps trouvé un écho sur le sol américain, écrit le New York Times, avec son lot d'assassinats et d'émeutes, tout comme les débats sur les armes ou l'avortement, dans les années 1990, avaient conduit à l'attentat d'Oklahoma City. "Ce qui est nouveau avec cette affaire est l'émergence d'une culture politique — par le biais des blogs, de Twitter ou encore par la multiplication des chaînes de télévision —, qui amplifie les élucubrations des extrémistes", analyse le journal. USA Today rappelle de son côté que le nombre de menaces de mort contre des membres du Congrès a triplé dans la seconde moitié de l'année 2010.
Gabrielle Giffords, elle, avait été menacée pour son soutien à la réforme de l'assurance-maladie. En mars, des vitres de sa maison avaient été brisées par des inconnus quelques heures à peine après l'adoption du texte. L'élue avait dénoncé les déclarations virulentes à son encontre en provenance du camp républicain. Elle avait notamment évoqué une carte diffusée par l'ancienne candidate à la vice-présidence, Sarah Palin. Cette carte, établie par son comité d'action politique, montrait une Amérique émaillée de viseurs de fusils. Chaque viseur désignait une circonscription que le camp Palin entendait conquérir. La huitième circonscription de l'Arizona, celle de Gabrielle Giffords, était visée.
Une affiche de campagne montre une carte de l'Amérique émaillée de viseurs de fusils.


De là à accuser directement Mme Palin, il y a un pas que certains osent franchir — "Je me demande comment Sarah Palin a dormi la nuit dernière", lance cette tribune publiée sur le HuffingtonPost — mais qui est généralement évité avec plus de finesse par les éditorialistes : "Ceux qui ont des troubles mentaux agissent en fonction de leurs fantasmes, mais ils tirent leur vocabulaire, leur imaginaire et leurs préoccupations de la culture ambiante. (…) Dans la tuerie de Tucson, qui intervient dans un contexte de controverse politique violente et d'appels à l'acte, un jeune homme probablement dérangé a peut-être pressé la détente, mais beaucoup d'autres mains, plus respectables, ont guidé le canon", écrit le chroniqueur du San Francisco Chronicle.
"NOUS SOMMES TOUS RESPONSABLES"
Dans le Huffington Post, le rabbin Joshua Levine Grater tranche : "Nous sommes tous responsables", assure-t-il, d'avoir laissé l'Amérique se transformer en une société violente dans laquelle le moindre débat, à commencer par celui sur le contrôle des armes, se transforme en un échange de répliques excessives et brutales.
Le choc à peine encaissé, les commentateurs s'interrogent : comment le pays peut-il se relever ? "La question est maintenant de savoir si la tuerie de samedi marque le point final d'une époque ou le début d'une nouvelle ère plus terrifiante", écrit le New York Times. Dans l'immédiat, note USA Today, les élus vont mettre en sourdine leurs dissensions : Sarah Palin multiplie les sorties conciliatrices, Barack Obama a mis les drapeaux en berne et les républicains ont annoncé qu'ils reportaient le vote prévu mercredi à la Chambre sur la réforme de la santé. Ensuite, prophétise le Washington Post, les élus vont revoir les procédures de sécurité qui accompagnent leurs sorties en public et s'éloigner encore un peu plus de leurs administrés, "ce qui constitue une insulte dans un pays où se rassembler en paix est un droit garanti par la Constitution".
Quant à la suite, le San Francisco Chronicle se risque : "Peut-être que le ton va changer dans la politique américaine, peut-être que tout le monde va se rallier aux valeurs bipartisanes et trouver un langage commun apaisé. Peut-être que les membres du Tea Party et leurs soutiens vont se rendre compte qu'il doivent être plus mesurés. Et peut-être qu'il fera 90 degrés à l'ombre, demain, à Washington DC."
Le Monde.fr


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