Les inquiétudes avant le rapport

Selon The Gazette, Gérard Bouchard et Charles Taylor conviennent qu'il est temps pour les Québécois francophones d'être plus ouverts et de cesser de se sentir menacés par les nouveaux arrivants.

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Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»

Violaine Ballivy, Laura-Julie Perreault, Tommy Chouinard - Le rapport de la Commission sur les accommodements raisonnables conclurait que la responsabilité d'améliorer les relations entre les Québécois repose sur les épaules de la majorité francophone. Des extraits du document, publiés hier par le quotidien The Gazette, ont suscité de vives inquiétudes que les commissaires Bouchard-Taylor n'ont pas dissipées.

Selon The Gazette, Gérard Bouchard et Charles Taylor conviennent qu'il est temps pour les Québécois francophones d'être plus ouverts et de cesser de se sentir menacés par les nouveaux arrivants.
Joint par La Presse, Gérard Bouchard a toutefois refusé de confirmer ou d'infirmer ces informations. Le rapport doit être diffusé jeudi ou vendredi prochain lors d'une conférence de presse. D'ici là, ce sera l'omerta. «Je n'ai pas de commentaires pour le moment. Je vais parler le jour où nous allons présenter le rapport. Et c'est le premier ministre qui va décider quand ça va se faire», a-t-il dit.
Le responsable des communications de la Commission, Sylvain Leclerc, a fait preuve du même mutisme. «On ne veut pas discuter sur une fuite. On va attendre de présenter le rapport en bonne et due forme. Les recommandations du rapport final vont être dévoilées au moment de la conférence de presse.»
Pierre Bosset, l'un des membres du comité consultatif, s'est cependant dit étonné de la teneur des articles. M. Bosset a aussi consulté certains chapitres du rapport, vraisemblablement tirés de la même version que celle qui a fait l'objet d'une fuite.
Selon M. Bosset, le document qu'il a lu fait peu de cas de la fracture francophones-anglophones, et ne ferait qu'évoquer la question de l'apprentissage des langues. «Il va de soi que l'on ait mis l'accent sur le rôle des Canadiens français, puisque ce sont eux qui occupent les postes de responsabilité, mais dans le rapport, il y avait une insistance sur la réciprocité de l'intégration, sur le fait qu'il s'agit d'une responsabilité partagée», a-t-il affirmé à La Presse.
Au dire de M. Bosset, aucun des membres du comité consultatif n'a d'ailleurs pu consulter le rapport dans son intégralité, ni même les recommandations finales des commissaires. Elles ne figurent pas non plus dans les articles publiés hier.
Vent de protestation
Ceux qui ont vécu de près la crise des accommodements raisonnables ont donc hâte de prendre connaissance de la version définitive du document. Mais déjà, des réactions très vives ont fusé des cercles de défense de la langue française.
«Les Québécois doivent refuser de se laisser culpabiliser comme cela, a dénoncé Mario Beaulieu, du Mouvement Montréal Français. Je trouve cela révoltant. Ils proposent exactement le contraire de la solution en affirmant que les Canadiens français devraient apprendre plus d'anglais, alors qu'une partie du problème vient du fait que le français n'est pas reconnu comme une langue commune.»
Jean Dorion, président de la Société Saint-Jean-Baptiste, a déploré que les auteurs du rapport semblent avoir accordé une telle importance à la question linguistique et au rôle des francophones. «Si le rapport n'est qu'un ensemble de remontrances envers la majorité (francophone), cela sera désastreux. Cela va exacerber les tensions entre les extrémistes des deux côtés.»
«Dès le départ, on a eu l'impression que les commissaires allaient donner mauvaise conscience aux Québécois en les accusant de ne pas comprendre les gens qui les entourent», a noté la présidente du Mouvement national des Québécoises et des Québécois, Chantale Trottier.
Jean-Paul Perrault, d'Impératif français, a critiqué la suggestion de favoriser l'apprentissage de l'anglais. «Les commissaires n'ont absolument pas compris la spécificité de la nation québécoise. Ils semblent nous condamner à une plus forte anglicisation pour s'ouvrir à l'immigration.»
Plusieurs ont été choqués de l'utilisation de l'expression «Canadien français» dans le texte du rapport (confirmée par M. Bosset). «C'est un concept dépassé et méprisant, a critiqué M. Dorion. Est-ce que mes enfants, à moitié japonais, sont des Canadiens français? Ce sont des Québécois, cela, c'est indéniable.»
Professeur à l'Université d'Ottawa et membre de l'organisation Présence musulmane, Salah Basalamah a d'ailleurs regretté que les commissaires subdivisent la population de la province entre la majorité et les minorités. «C'est une erreur stratégique. Ça prend un seul "nous" pour qu'on puisse avancer», croit M. Basalamah, l'un des experts que les commissaires ont consultés au début de leur tournée provinciale. Certaines bribes du rapport lui paraissent prometteuses, mais il y détecte des problèmes fondamentaux. «Ils semblent faire retomber une grande partie du blâme sur les Québécois francophones. Je pense que la question de l'intégration est une responsabilité partagée par tous les citoyens», a dit M. Basalamah.
Lueurs d'espoir
D'autres, comme Kiranpal Singh, étaient plus enthousiastes. Lorsque la polémique du kirpan a éclaté au Québec, il était président du principal temple sikh de Montréal, la Gurdwara Guru Nanak Darbar de LaSalle. Il a épaulé la famille du jeune Gurbaj Multani qui voulait faire reconnaître le droit de porter le couteau cérémonial à l'école.
«Ce que je lis aujourd'hui me plaît. Les commissaires demandent à la majorité de mieux connaître les autres religions. Ceux qui connaissent bien le sikhisme savent que le kirpan n'est pas utilisé comme une arme», a dit M. Singh hier à La Presse.
Salam Elmenyawi, président du Conseil musulman de Montréal, s'est dit heureux que les commissaires s'inquiètent du sort des musulmans québécois, en dénonçant le chômage élevé. «Ils posent le bon diagnostic, mais il faut voir quels remèdes seront trouvés.»
Journaliste pour des médias de la communauté maghrébine, Lamine Foura reste pour sa part sur sa faim. «Ce qu'on lit jusqu'à maintenant, c'est des choses qu'on savait déjà. Cela ne justifie pas qu'on ait dépensé 5 millions sur cette commission! s'est exclamé M. Foura. J'espère que dans le rapport final, les commissaires font l'évaluation sérieuse des programmes d'intégration. S'ils s'en tiennent seulement à ce qu'ils ont entendu pendant la consultation, c'est un peu léger.»
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Gérard Bouchard et Charles Taylor (Photo Robert Mailloux, La Presse)


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