Les fondements de la corruption au Québec

Enquête publique - un PM complice?


Il aura fallu qu’un magazine ontarien qualifie le Québec comme la province la plus corrompue du Canada pour unir l’Assemblée nationale. D’une seule voix, libéraux, péquistes et adéquistes ont condamné le reportage du Maclean’s; exigeant à l’éditeur Rogers des excuses publiques au nom de l’ensemble des Québécois. Face à la polémique (voire surtout pour sauvegarder son marché au Québec), ce dernier a dit regretté la tournure des événements. Or, voilà qui conclurait la question: les injurieux Canadiens anglais se sont publiquement excusés et l’honneur du Québec resterait sain et sauf. Nous pouvons maintenant vaquer à nos activités quotidiennes… comme si la corruption avait disparu par magie.
On fait dans la fabulation avec un article comme celui-là. [...] On dénonce haut et fort aujourd’hui ce que le Maclean’s soutient.

— Nathalie Normandeau, ministre libérale


Trois petits tours et puis s’en vont
Aussi « Québec bashing » que ce reportage pouvait être, il faudrait tout de même pouvoir se regarder dans le miroir et réaliser la corruption historique du gouvernement québécois actuel. Bien sûr, Maclean’s fait preuve de mauvaise foi (raciste?) lorsqu’il exprime la corruption comme un trait culturellement intrinsèque du peuple québécois. Mais en se faisant le défenseur du peuple face au Maclean’s (et le Canada-anglais), le premier ministre Jean Charest aura réussi à dévier l’attention publique sur la responsabilité de son gouvernement quant à la gangrène de l’État québécois (et son démantèlement programmé). Dans un même ordre idée, la commission Bastarache agit comme un leurre, une longue mascarade pour éviter une commission d’enquête publique sur le financement des partis politiques et les scandales liés à l’industrie de la construction.




«Industrie de la corruption» plutôt que de la construction… Décidément, Jean Charest a fait un lapsus des plus révélateur!
D’ailleurs, dans son portrait du Québec, c’est exactement sur le rôle de l’État quant à la corruption que Maclean’s se trompe royalement. Effectivement, comme l’a si bien dit Amir Khadir (QS), seule voie discordante à l’Assemblée nationale sur ce dossier, «c’est non pas l’omniprésence de l’État, mais l’idéologie néo-libérale qui ouvre la porte à la corruption en affaiblissant le gouvernement. Le PLQ [Parti libéral du Québec] étant encore plus vulnérable à cause de sa proximité avec les milieux d’affaires, qui peuvent facilement demander des retours d’ascenseur.» Et la chef de l’opposition (PQ) de rajouter à ce sujet: «La corruption ce n’est pas un problème québécois, mais un problème libéral». Or, malgré le ton partisan, madame Marois n’a pas tort.
Ce que le Canada anglais ne peut/veut pas comprendre, est le fait que la quasi-intégrité des scandales liés à la corruption au Québec est l’apanage de gens qui défendent le système fédéral. De Jean Chrétien à Jean Charest, en passant par Benoît Labonté et une ribambelle de politiciens italophones, les grands scandales financiers contemporains sont tous l’œuvre de fédéralistes.
Le scandale des commandites: vous en rapellez-vous? C'était une affaire politique canadienne relative à l'usage de fonds publics pour financer une opération de propagande contre la souveraineté du Québec
Sociologiquement, je tenterais d’expliquer ce fait par la propension naturelle des politiciens au pouvoir à défendre les intérêts de l’ordre établi. Évidemment, parce que l’élection de ces mêmes politiciens est généralement redevable à des lobbies, voire à des entreprises privées, c’est finalement l’intérêt individuel qui motive et unit les politiciens de la droite économique. Par opposition au bien public qui fondamentalement passe par l’intégration des sphères collectives (sociales, environnementales et nationales), il ne faudrait pas s’étonner que ce soient souvent des gens dénigrant le peuple québécois et son État qui encensent le système canadien.
Du côté souverainiste, il n’y a jamais eu de scandale au Bloc Québécois; et à une moindre échelle au PQ. D’ailleurs, comme l’a si bien écrit Louis Préfontaine à ce sujet, le Maclean’s est complètement hors-piste quand il accuse le nationalisme québécois d’être à la base de la corruption. C’est bel et bien René Lévesque qui a instauré des règles strictes quant au financement des partis politiques et aucun gouvernement du Parti Québécois – malgré tout ce qu’on peut lui reprocher – n’a jamais été accusé du tiers des actions réprimandées présentement à Jean Charest et compagnie. Après tout, il faut dire que René Levesque gouvernait pour le peuple québécois, tandis que Jean Charest, lui, « gouverne » pour des intérêts particuliers, voire étrangers au Québec.


Cynisme populaire oblige, les grands partis n’arrivant plus à se financer via les cotisations d’adhérents, les prête-noms, les cocktails de financement (et les enveloppes brunes) semblent favoriser la corruption. Quant à moi, la solution du financement propre des partis politiques est de donner une cote au prorata selon le suffrage obtenu; idéalement, dans un contexte de vote proportionnel pour assurer la possibilité d’émergence de nouveaux partis. Malheureusement pour la démocratie, les conservateurs du premier ministre Harper veulent institutionnaliser la corruption en coupant le financement public aux partis politiques (et comme aux États-Unis, certainement permettre aux entreprises de pouvoir librement financer les partis comme elles le veulent).
«Le Parti libéral s'est littéralement emparé de l'État québécois» L'opposition péquiste accuse le gouvernement Charest d'avoir érigé un véritable système «bien huilé» de nominations partisanes.


La mise en œuvre de la corruption, systématique ou non, est un phénomène d’ordre institutionnel… donc politique. Elle fleurit chaque fois que la frontière entre la logique administrative d’intérêt général et la logique économique d’intérêt privé s’estompe. Bref, elle est donc favorisée par l’effacement contemporain de la sphère publique par le triomphe du néolibéralisme. Or, si dans l’inconscient collectif, nous valorisons finalement l’enrichissement individuel aux dépens des sphères collectives, la corruption en arrive à devenir une pratique tolérable…, voire socialement « légitime »; dans la mesure où il ne faut pas se faire pincer. Puis encore là, quand nous arrivons à arrêter des grands fraudeurs financiers de la gamme des Vincent Lacroix, Conrad Black et Earl Jones, force est d’admettre que leurs peines carcérales sont ridiculement courtes par rapport aux crimes et leurs impacts. En définitive, il faudra admettre que notre système judiciaire est loin de dissuader les activités des criminels économiques, au contraire. Alors, faut-il maintenant s’étonner que la nomination des juges puisse être pistonnée par des pègreux finançant le PLQ.

À lire sur Vigile.net: « Face à une dépénalisation de la corruption et des affaires et une montée de l’impunité de la délinquance politico-financière, c’est le corps social qui réagit.


Un cercle vicieux
À l’heure du libéralisme économique, de la vente à rabais de nos ressources naturelles à des étrangers et du démantèlement du rôle de l’état, êtes-vous surpris de constater le ramollissement des valeurs morales? À l’heure de la perte des repères sociaux, êtes-vous vraiment confondus de voir la corruption se développer à tous les niveaux de la société? Or, à l’exception des 500 000 milles québécois qui se tiennent au fait de l’actualité politique (et qui entretiennent les professionnels de l’information au Québec), le peuple est cynique et ne se scandalise plus, outre mesure, de la corruption. Littéralement, cette dynamique est un cercle vicieux pour notre démocratie. Car, si la corruption de la classe politique alimente le cynisme ambiant de la population, le cynisme lui, désintéresse le peuple des affaires publiques. Subséquemment, dans le contexte ou la population vote de moins en moins, il est encore plus facile pour « les intérêts privés » d’investir le pouvoir politique… ce qui après coup, alimente encore plus le cynisme populaire lorsqu’il se démontre que l’action gouvernementale est dirigée par et pour des intérêts privés (toujours au détriment de la population). Mais le vrai drame n’est pas tant que la corruption s’institutionnalise sans que l’on puisse rien faire, mais qu’elle soit générée, sans gène, par l’entremise de politiciens démocratiquement élus.


Contrairement à l’illustration trônant au-dessus de cet article, le problème est qu’au Québec, on ne voit pas des Bonhommes fâchés dans la rue avec des pancartes. En fait, là où un peuple en santé irait manifester, nous on dort au gaz de schiste. Dans un même ordre d’idée, il semble y avoir un 25% de francophones (aliénés et/ou vendus) pour soutenir une base électorale au PLQ. Mais heureusement, ce pourcentage n’est pas assez fort pour maintenir le PLQ dans les circonscriptions francophones. D’un autre côté à Montréal, le maire Tremblay a dernièrement été réélu malgré une série de scandales et le PLQ a décisivement gagné l’élection partielle dans Saint-Laurent. Franchement, ça serait bien si nos compatriotes anglos qui lisent le MacLean’s ne votaient pas toujours uniformément. Car, simplement par la polarisation entre les deux options nationales, ces mêmes libéraux au pouvoir dans la « most corrupt province » vont maintenir leurs circonscriptions dans l’ouest de Montréal et dans l’Outaouais. En définitive, pour prendre le Macleans à contre-pied, on pourrait presque affirmer que les non-francophones du Québec préfèrent en majorité voter pour la corruption libérale à toutes les autres options démocratiques.
Pour ma part, peu m’importe une commission d’enquête, les noms des responsables et le passé. L’important est de résoudre ce problème et d’assurer l’avenir du modèle québécois issu de la Révolution tranquille. En ce sens, la question n’est pas de connaitre le réel niveau de corruption gangrenant l’appareil gouvernemental, mais dans quelle précarité le PLQ laissera l’État québécois à la fin de son mandat actuel? Et surtout, les Québécois trouveront-ils l’intelligence nécessaire pour se débarrasser de ce parti pourrissant notre société?
Effectivement, dans un contexte de convergence médiatique où une poignée de corporations oriente l’opinion publique, il est difficile pour la population de se faire une idée juste pour voter. Car, ne soyons pas naïfs, les médias privés ne sont pas au service du bien public, mais logiquement, à celui de certains groupes qui contrôlent nos gouvernements. Au Québec, il y a la fédéraliste Power corporation qui discrédite systématiquement l’idée d’un État québécois souverain. Puis, il y a aussi leur acolyte de la presse anglophone qui formate les perceptions négatives des Québécois envers nos immigrants. Mais la cerise sur le gâteau, il y a maintenant l’apatride Quebecor qui nivelle l’intelligence collective vers le bas en s’attaquant à toutes les dimensions sociales.
Vers un «Fox News North». L’inquiétante orientation politique de Quebecor

Bref, le peuple québécois, sa culture et sa capacité de s’administrer politiquement sont assaillis de toute part. Parallèlement, à coup de PPP, de collusion et de corruption, l’État québécois est graduellement mis en morceaux vendus à des intérêts privés. Ironiquement, afin de poursuivre leur agenda quand le PLQ sera trop usé pour être réélu, les forces économiques derrière les médias orientent l’alternative politique toujours plus à droite. D’ailleurs, à l’exemple du rôle joué par l’ADQ dans les années 2000 pour «centraliser» le PLQ sur l’échiquier politique du Québec, la médiatisation du nouveau mouvement populiste Réseau-Liberté Québec sert à tirer la couverte vers un nouveau parti à droite (le parti embryonnaire de François Legault qui a la bénédiction de Lucide Bouchard). Paradoxalement, on tente de faire croire au peuple que la solution à la corruption dans l’État… est d’éliminer l’État. Comme si la liberté du peuple était d’être à la merci complète des forces économiques. Comme si la privatisation de notre système de santé était synonyme de prospérité populaire (?!?).


Comprenons donc la relation de cause à effet. Si c’est la colonisation de nos dirigeants, la dislocation de la conscience sociale et l’individualisme primaire qui transforment le Québec en république bananière (au grand plaisir de l’ordre canadien), l’apparition de la corruption est un symptôme de la faiblesse de notre société. En ce sens, il m’apparait évident que la solution à ce problème passe justement par un renforcement du rôle de l’État, et non le contraire comme on voudrait nous faire croire.


Le péché originel
Voyons la vérité en face: tant que le capitalisme sera le modèle de réussite, ses valeurs intrinsèques conditionneront les comportements des individus. Subséquemment, si le « le droit » au profit prime sur les droits collectifs, il faut accepter que l’appât du gain puisse surpasser toutes autres considérations morales. Considérant ce fait, il est parfaitement logique d’être indifférent à autrui, à l’environnement et aux prochaines générations. En conclusion, ce n’est pas le genre humain qui est nécessairement corrompu, mais bien une doctrine économique qui corrompt à la source les esprits faibles. Or, s’il y a un problème culturel quant à l’origine de la corruption, c’est au cœur même du capitalisme qu’il se retrouve. Alors, que cela soit clair: qu’importe finalement le lien avec les étiquettes nationales, puisque la corruption n’est pas l’attribut d’un peuple plus qu’un autre.
Les institutions sont la garantie du gouvernement d’un peuple libre contre la corruption des moeurs, et la garantie du peuple et du citoyen contre la corruption du gouvernement

- Saint-Just (Extrait des Fragments sur les institutions républicaines)


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