Les femmes sont moins souvent élues que les hommes. Voici pourquoi.

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Inversion du réel : en fait, les femmes sont désignées candidates pour remplir les quotas voulus par les féministes et non pour leurs réelles compétences

Un siècle après avoir obtenu le droit de se présenter aux élections fédérales canadiennes, les femmes ne sont toujours pas les égales des hommes. Les candidates sont moins souvent nommées dans les châteaux forts de leur parti et elles reçoivent moins d'argent de la part de leurs organisations politiques.


Quand Haley Brown se rend sur le site web du Parti libéral du Canada, en 2015, c'est pour devenir bénévole lors de la campagne fédérale à Calgary. « Un monsieur m'a contactée, a pris le temps d'en savoir plus sur moi et m'a demandé : "Pourquoi tu ne te présenterais pas?" » Elle avait alors la mi-trentaine, sans expérience politique. « Je n'avais jamais pensé à ça. »


Haley Brown, candidate libérale dans Calgary Midnapore, en 2015. Photo : site web du Parti libéral du Canada


Sa candidature est finalisée le jour de la dissolution du Parlement. Haley Brown n'a le choix qu'entre deux circonscriptions : celle de Jason Kenney, élu conservateur qui a gagné toutes ses élections depuis 1997 et futur premier ministre de l'Alberta, ou celle de l'ancien premier ministre conservateur Stephen Harper. Elle choisit la première.


Lors des événements de campagne et autour des bénévoles, elle entend les gens l'appeler « l'agneau sacrificiel ». Ses pancartes se font vandaliser. Les attaques fusent sur les réseaux sociaux. « Mon premier débat politique, c'était contre Jason Kenney. J'étais toute seule face à lui et toute son équipe. » La naïveté du début laisse place à la désillusion.


Sans surprise, le 19 octobre 2015, Haley Brown est battue. Elle réussit tout de même à arracher 14 396 votes, un record pour le Parti libéral dans la circonscription. En 2017, elle se présente de nouveau, en élection partielle, et perd encore une fois.


« Ça ne suffit pas de mettre des femmes sur les bulletins de vote », indique-t-elle aujourd'hui, avec le recul. « Il faut que les partis s'assurent qu'elles sont aussi bien soutenues que les hommes. »


Combien d'hommes et de femmes se sont présentés dans votre circonscription? Combien ont été élus?


Entrez votre code postal pour le découvrir.




Le cas d'Haley Brown n'est pas anecdotique. CBC/Radio-Canada a analysé les données électorales de 3882 candidatures des grands partis aux élections fédérales de 2008, 2011 et 2015.


Non seulement les femmes ont été moins nombreuses à briguer un siège de député, mais celles qui se sont présentées ont moins souvent été élues que les hommes. En moyenne, pour 100 femmes candidates, 18 ont réussi à se faire élire. Du côté des hommes, pour 100 candidats, 26 ont remporté leur élection. Un des facteurs expliquant cet écart : les femmes se retrouvent plus souvent que les hommes dans les circonscriptions difficiles à gagner.


Elles reçoivent aussi moins d'argent de la part de leur parti et de leur association de circonscription pour financer leur campagne. Une candidate a reçu en moyenne 35 838 $, par rapport à 40 162 $ pour un homme (+12 %), selon les déclarations faites à Élections Canada par les candidats.



Chaque cercle représente 1 % des candidatures, hommes et femmes, lors des trois dernières élections générales.


Pour ces trois élections, les partis ont recruté deux fois plus d'hommes que de femmes.


Nous avons identifié les candidats placés dans un château fort de leur parti, soit une circonscription remportée lors des deux élections précédentes avec une marge d'au moins 10 %.


Être dans ce groupe est très avantageux. En moyenne, les femmes et les hommes y ont reçu deux fois plus d'argent de la part de leur association de circonscription et de leur parti pour financer leur campagne.


Les hommes étaient 4 fois plus nombreux que les femmes dans ce type de circonscription.


Presque tous les candidats dans les châteaux forts ont gagné leur élection, peu importe le genre.


Dans les autres circonscriptions, les candidats ont perdu beaucoup plus souvent.


Mais comme les femmes sont moins souvent dans les châteaux forts de leur parti, elles perdent plus souvent. Bien qu'elles représentent 32 % de tous les candidats au départ, elles ne composent que 24 % des élus à la fin.


Pour les hommes, c'est l'inverse. Ils sont plus souvent dans les châteaux forts, donc ils gagnent plus souvent que les femmes. Ils représentent 68 % de tous les candidats, mais 76 % des élus à la ligne d'arrivée.


La même tendance semble se dessiner pour l'élection générale de 2019. En date du 3 septembre, 40 % de l'ensemble des candidatures étaient féminines, un record. Toutefois, dans les châteaux forts des partis, seulement 23 % étaient des femmes. Les hommes étaient encore 3 fois plus nombreux.


Nous avons partagé nos résultats avec Melanee Thomas, professeure associée en sciences politiques à l'Université de Calgary. En 2013, elle publiait un article revu par les pairs sur la place des femmes comme « agneaux sacrificiels » en politique. Le professeur associé Marc-André Bodet de l'Université Laval cosignait le texte. Leur analyse s'arrêtait à l'élection générale de 2011, alors que la nôtre prend en compte les résultats de 2015. « Vous en arrivez quand même à des conclusions semblables. C'est frappant à quel point la similarité entre nos résultats est forte. »


« Cela nous montre qu'il y a un biais systémique dans notre système électoral qui favorise les hommes de façon disproportionnée », explique l'experte, qui continue de travailler sur les questions de genre en politique.


Melanee Thomas, professeure associée en sciences politiques à l'Université de Calgary.


Melanee Thomas, professeure associée en sciences politiques à l'Université de Calgary. Photo : CBC/Dave Rae


Une parité entre les élus hommes et femmes est cruciale, selon la politologue, pour que les sujets débattus au Parlement soient représentatifs des enjeux vécus par tous les citoyens.


Elle balaie par ailleurs l'idée que les électeurs aient une préférence pour les politiciens masculins : le parti pour lequel un candidat se présente est le facteur qui influence le plus le vote au Canada. En effet, selon notre analyse, un homme et une femme qui gagnent une élection récoltent en moyenne quasiment le même nombre de votes, soit respectivement 24 105 et 23 538 votes. Même chose dans le cas d'une défaite, avec 7565 votes pour les hommes et 7480 pour les femmes.


À ses yeux, les chefs de parti sont les seuls responsables de cette sous-représentation des femmes en politique. « Le chef obtient ce que le chef demande », détaille-t-elle. « Je pense qu'ils ne font tout simplement pas les efforts nécessaires. » La professeure se dit toujours sceptique d'entendre les partis se vanter de leur nombre record de candidatures féminines. « C'est juste la première étape, une étape nécessaire mais insuffisante. Encore faut-il s'assurer que les femmes soient placées dans des circonscriptions que le parti va gagner. »


Une nuance : nombre d'hommes historiquement députés de circonscriptions sûres se représentent d'élection en élection. Inévitablement, cela provoque une certaine inertie à l'arrivée de nouveaux candidats, hommes comme femmes. « Mais même quand il y a une course ouverte, sans député sortant, nos recherches montrent que les partis ayant de bonnes chances de victoire nomment ou parachutent de façon disproportionnée des hommes dans ces circonscriptions », indique Melanee Thomas. Notre analyse fait le même constat.



Nous avons aussi fait les calculs par parti pour les trois dernières élections générales. Pour chacun d'entre eux, un cercle représente 1 % de leurs candidatures.


Le Parti conservateur du Canada (PCC) est celui qui a la plus faible proportion de femmes candidates, soit 20 %. Le Bloc québécois (BQ) suit, avec 29 %. Le Parti libéral du Canada (PLC) est à 33 %. Seul le Nouveau Parti démocratique (NPD) s'approche de la zone paritaire, avec 39 % de femmes parmi ses candidats.


Le Parti vert du Canada n'est pas représenté dans notre graphique, car il n'avait pas assez d'élus pour la suite de notre analyse. Toutefois, 35 % de ses candidats étaient des femmes lors des trois dernières élections générales.


Pour le PCC, le PLC, le BQ et le NPD, nous avons identifié les candidats nommés dans des châteaux forts.


Bien que le PCC ait de nombreux châteaux forts, seulement 14 % des candidats dans ces circonscriptions sont des femmes. Le PLC fait un peu mieux, avec 22 %. Le NPD est à 30 %, mais détient très peu de ce type de circonscriptions. La seule exception est le BQ, où la proportion de femmes dans ces circonscriptions (38 %) est plus importante que la proportion de candidates (29 %).


Les candidats dans les châteaux forts, sans surprise, ont été élus plus souvent que ceux dans les autres circonscriptions.


Dans l'ensemble, le PCC est le parti qui a le moins de femmes parmi ses élus (16 %). Le PLC arrive ensuite (26 %). Le BQ (29 %) et le NPD (38 %) ressortent du lot. Le pourcentage de femmes élues y est le même que le nombre de candidates, ce qui signifie qu'hommes et femmes sont élus dans les mêmes proportions.


Au PLC, les femmes ont reçu en moyenne 51 844 $ de la part de leur parti et de leur association de circonscription pour financer leur campagne, alors que c'est 57 602 $ pour les hommes (+11 %). 



Au PCC, c'est 54 013 $ pour les femmes et 58 722 $ pour les hommes (+9 %). 



Au NPD, les femmes reçoivent en moyenne 26 797 $ et les hommes 27 924 $ (+4 %). 



Le BQ fait figure d'exception. Dans ce parti, ce sont les femmes qui en ont plus, avec 51 410 $ (+3 %), que les hommes, avec 49 810 $. 



Nous n'avons pas fait le calcul pour le Parti vert, car les déclarations financières révisées par Élections Canada étaient manquantes pour 79 candidats pour l'élection de 2015.


Le Parti conservateur a réagi à notre analyse en nous indiquant avoir recruté un nombre record de femmes pour cette élection. « Lors du précédent scrutin, nous avions 66 candidates, nous a répondu Cory Hann, directeur des communications du PCC. Cette fois-ci, nous en avons recruté 105 [soit 31 % des candidats, NDLR]. Notre équipe actuelle est l'une des plus diversifiées que nous n’ayons jamais mises de l'avant. »


Avec 39 % de candidatures féminines, le Parti libéral, lui aussi, réussit mieux par rapport à l'élection générale de 2015. « Nous avons changé les règles nationales de nomination des candidats, nous a indiqué Baeden Caley, directeur des communications du PLC. Les associations de circonscriptions doivent mener une recherche soutenue pour des femmes et d'autres candidats qui représentent la réalité démographique de leurs communautés. »


Le NPD affirme pour sa part qu'il était déjà le parti avec le plus de femmes candidates lors de l'élection de 2015. « Et cette année, nous allons battre ce record en atteignant la parité avec des candidates dans plus de la moitié des circonscriptions », précise la directrice des communications du NPD, Mélanie Richer. Elle ajoute que les associations de circonscriptions néo-démocrates prennent toujours soin d'avoir des candidats de divers horizons.


Le Parti vert et le Bloc québécois n'avaient pas répondu à nos questions au moment de la publication de cet article.


Et dans votre province?


C'est en Nouvelle-Écosse (9 %), en Alberta (13 %), à l'Île-du-Prince-Édouard (17 %) et au Nouveau-Brunswick (17 %) que l'on trouve le moins de femmes parmi les élus lors des trois dernières élections générales, en moyenne.


La Saskatchewan (19 %) et l'Ontario (24 %) sont en milieu de peloton.


Les provinces comptant le plus de femmes parmi les candidats élus sont Terre-Neuve-et-Labrador (29 %), la Colombie-Britannique (30 %), le Québec (30 %) et le Manitoba (33 %).


Sylvia Bashevkin, professeure de sciences politiques à l'Université de Toronto, se souvient des théories enseignées sur ces enjeux dans les années 70 et 80, quand elle était étudiante. « On pensait que ces différences entre les genres en politique allaient disparaître au fur et à mesure de l'arrivée des femmes dans les universités et sur le marché du travail. » Toutefois, bien que le nombre de femmes candidates ait augmenté, ce n'est pas tout à fait ce qui s'est produit. « D'avoir plus de femmes candidates ne signifie pas qu'elles ont autant de chances d'être élues que les hommes. »


Peut-être parce que le monde du travail a évolué, mais pas la Chambre des communes? C'est ce que pense Yan Plante, ancien stratège du Parti conservateur de 2006 à 2015. Il se rappelle très bien ses rencontres avec de potentiels candidats à recruter. Un député doit passer environ 250 jours à Ottawa par année, leur disait-il. Pour la majorité des candidats qui ne vivent pas dans la région, cela signifie être loin de leur famille. « C'est un réel frein pour attirer des gens en politique, explique celui qui travaille désormais pour une agence de relations publiques. Je crois que c'est un frein supplémentaire pour les femmes. »


Yan Plante, ancien stratège pour le Parti conservateur, prépare le débat des chefs lors de la campagne électorale de 2015.


Yan Plante, ancien stratège pour le Parti conservateur, prépare le débat des chefs lors de la campagne électorale de 2015. Photo : courtoisie


Pour rendre l'engagement politique plus attrayant, il suggère de s'inspirer du secteur privé, où le travail à distance est de plus en plus accepté. Les députés pourraient voter à distance, par exemple, et siéger du mardi au jeudi au lieu du lundi au vendredi. « Je rêve d'un système où il va y avoir davantage de femmes en politique, affirme le père de deux filles. Et pour l'avoir vécu, il faut se le dire : plus il y a de femmes, plus le débat est civilisé. »


Allonger la durée des processus de nomination aiderait aussi, selon la professeure à l'Université de Calgary Melanee Thomas. « Les femmes prennent plus de temps pour réorganiser la dynamique familiale avant de se présenter pour un parti », indique-t-elle. La recherche montre aussi que plus il y a de femmes dans les positions de pouvoir dans les associations de circonscription, plus il y a de chances que cette circonscription nomme une candidate.


« Moi, ça a été long avant que je me décide, il a fallu que Jack Layton vienne deux fois chez moi! » se rappelle la chroniqueuse Anne Lagacé Dowson dans un éclat de rire. L'ancienne candidate du NPD s'est présentée à deux reprises à Montréal. D'abord en 2008 dans Westmount-Ville-Marie, puis en 2015 dans Papineau, où elle affrontait nul autre que Justin Trudeau. Elle est arrivée deuxième chaque fois. « À l'époque, j'avais deux jeunes enfants. Il a fallu que j'y pense longuement. On ne vit pas dans une société tout à fait égalitaire. Donc pour les femmes, il y a un prix plus élevé à payer quand on se présente. »


Anne Lagacé Dowson, candidate néo-démocrate dans la circonscription de Papineau, le 3 septembre 2015.


Anne Lagacé Dowson, candidate néo-démocrate dans la circonscription de Papineau, le 3 septembre 2015. Photo : PC/Dario Ayala


Elle ajoute que les partis devraient faire du recrutement continu, au lieu d'un blitz avant les élections. « Entre les campagnes, la machine électorale tombe à peu près à zéro. C'est ça le problème. Pour recruter des femmes, c'est plus difficile, il faut travailler davantage. Et le travail, je pense qu'il ne se fait pas. Ou pas suffisamment. »


Le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes étudie l'impact des décisions du gouvernement sur la vie des Canadiennes. Des députés de tous les partis y siègent et, lors de l'été 2018, le Comité s'est attaqué à la sous-représentation des femmes en politique. Melanee Thomas et Sylvia Bashevkin faisaient partie des experts appelés à témoigner.


En avril 2019, le Comité a déposé son rapport. Parmi les recommandations, on trouve l'obligation pour les partis de rendre publics leurs efforts pour recruter des candidates et la création d'un incitatif financier pour qu'ils présentent davantage de femmes lors des campagnes électorales.


Mais la présidente du Comité, la conservatrice ontarienne Karen Vecchio, ne se fait pas d'illusion pour la prochaine élection générale. « Notre rapport, c'est trop peu, trop tard, concède-t-elle. Les partis ont commencé à préparer leur campagne il y a deux ans. Je pense que toutes les décisions pour l'élection de 2019 sont déjà prises. »


Naël Shiab et Valerie Ouellet journalistes de données, Melanie Julien chef de pupitre, Francis Lamontage designer. Avec la collaboration de Philippe Vincent-Foisyet Charlie Debons.