Entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD)

Les EESAD veulent mettre fin à leur sous-financement chronique

Tribune libre

Les EESAD veulent mettre fin
à leur sous-financement chronique

une analyse de Jacques Fournier

organisateur communautaire retraité
Les 101 entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD) en ont assez d’être traitées comme de la main d’oeuvre à bon marché par le gouvernement. Alors qu’elles demandaient récemment au gouvernement 15 millions $ pour une mise à niveau minimale, elles n’ont reçu que 3,5 millions $. Elle entendent donc revendiquer avec plus de force un meilleur financement, avec l’appui de partenaires diversifiés : représentants de regroupement de femmes, de personnes âgées, de personnes handicapées, des groupes communautaires, des syndicats et des gens du milieu de la santé et des services sociaux.
Voilà ce qui ressort d’une journée de réflexion tenue à Montréal le 26 novembre et qui a réuni plus de 100 personnes, à l’initiative de la Coalition des EESAD et avec l’appui du Chantier d’économie sociale.
La rencontre s’est ouverte sur la présentation des résultats d’une substantielle recherche menée par Yves Vaillancourt, professeur à l’UQAM et Christian Jetté, professeur à l’Université de Montréal. Leur recherche minutieuse a permis de démontrer qu’existe bel et bien ce qu’on appelle « le consensus de 1996 ». Ce consensus a clos le Sommet socioéconomique : les partenaires ont convenu que les nouveaux emplois dans le secteur de l’économie sociale ne devaient pas se substituer aux emplois mieux rémunérés du secteur public, mais s’ajouter à ceux-ci. Il a fallu la lecture attentive des 800 pages des Actes du Sommet pour arriver à cette conclusion.
Les deux chercheurs ont également conclu que l’un des objectifs du Sommet de 1996 n’a pas été atteint, celui de créer des « emplois de qualité ». Qu’entend-on par « emplois de qualité »? Ce sont des emplois décemment rémunérés, avec des avantages sociaux adéquats. La plupart des 6000 employées des EESASD, très majoritairement des femmes, vivent sous le seuil de la pauvreté. La raison : le gouvernement n’a pas indexé le programme de financement des EESAD (le PEFSAD) depuis 1997.
Enfin, les chercheurs ont observé que les EESAD sont dans un « rapport de co-production » avec l’État : ils sous-traitent des services. Ils ne sont pas dans un « rapport de co-construction », un processus ou les acteurs participent à la définition et à l’élaboration des politiques publiques.
Les deux chercheurs viennent de publier un livre qui résume leurs travaux : « Les arrangements institutionnels entre l’État québécois et les entreprises d’économie sociale en aide domestique », aux Éditions Vie économique (www.eve.coop) au prix de 18 $ taxe incluse.
Augmenter le panier de services?
Les EESAD réunies n’ont pas manqué de se pencher sur leur vieux démon : faut-il augmenter le panier de services? En termes simples : les EESAD devraient-elles, en plus de l’aide domestique (entretien ménager, préparation de repas), donner des services à la personne (des bains, etc.), ce qui est actuellement la responsabilité des auxiliaires familiales et sociales des CLSC?
Dans certains ateliers, on a émis l’opinion qu’ « il faut consolider les objectifs de 1996 avant de passer à d’autres choses ». D’autres ateliers, par contre, ont manifesté de l’intérêt pour un élargissement prudent, avec beaucoup de balises, du panier de services. A l’heure actuelle, quelques EESAD offrent des services à la personne dans le cadre d’un sous-contrat avec le CSSS local, qui paie la totalité des coûts. Cela demeure gratuit pour l’usager, comme les services de l’auxiliaire familiale du CSSS. Cependant, on sait que le gouvernement Charest est en processus de décision pour augmenter le tarif d’un grand nombre de services publics, dans le contexte du déficit budgétaire. Il est donc possible qu’il veuille forcer les EESAD à facturer à l’usager une partie des coûts des services à la personne, comme il le fait déjà pour l’entretien ménager. Les EESAD qui offrent des bains auraient alors la tâche ingrate de faire payer l’usager, alors que les services du CLSC demeureraient gratuits. On appelle cela un glissement.
Y a-t-il eu « substitution d’emplois » après 1996? Une analyse de la Coalition Solidarité Santé révèle que les effectifs des auxiliaires familiales des CLSC ont connu une légère hausse depuis 1996. Par contre, le nombre des infirmières à domicile, physiothrérapeutes, ergothérapeutes, inhalothérapeutes, etc. a beaucoup augmenté depuis la même date (le virage ambulatoire). Pourquoi les effectifs des auxiliaires familiales n’ont-ils pas crû au même rythme que les autres titres d’emploi travaillant à domicile?
La bataille contre le sous-financement
Ce qui fait l’unanimité entre les EESAD, par contre, c’est que ces entreprises sont sous-financées. Cela les condamne à payer des petits salaires à leurs employées et cela entraîne un fort de taux de rotation du personnel. Si l’EESAD décide d’augmenter ses tarifs, elle perd de la clientèle. Les dirigeantes des EESAD ont dit que les hausses de tarifs leur faisaient perdre des clients démunis (en particulier parmi les personnes âgées) mais que leur clientèle de ménages actifs, de classe moyenne, n’est pas touchée.
Une des pistes d’action mises de l’avant pour améliorer les conditions de travail, c’est la syndicalisation. Une vingtaine des 101 EESAD sont syndiquées. Les dirigeantes des EESAD ne sont (évidemment) pas chaudes à cette idée. Pourtant, c’est par la syndicalisation que les éducatrices des services de garde ont pu obtenir, après des années de bataille, des conditions de travail décentes. Dans cette situation, il faut toujours bien identifier l’adversaire, en l’occurrence le gouvernement, et non pas les directions locales.
Les EESAD vont donc entreprendre au cours des prochains mois diverses actions pour sensibiliser à nouveau les élus à leurs problèmes concrets de sous-financement. « Mobilisation, cohésion, action », de dire un des participants. Et un autre de résumer : « Il faut arrêter de vouloir prouver qu’avec des pinottes, on peut faire des cachous ».

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Jacques Fournier98 articles

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