Les angoisses de Davos

La crise mondiale et sa géopolitique



C'est un véritable renversement du monde qui est en cours. Les pays riches le seront de moins en moins, tandis qu'émergent, à l'horizon de 2020 ou 2030, de nouvelles puissances économiques, politiques et diplomatiques.
La réunion annuelle du grand capital à Davos est un baromètre de ce renversement historique. C'est là que, chaque année en janvier, dirigeants politiques et grands entrepreneurs capitalistes multiplient les rencontres de couloir pour ajuster à leur goût la «gouverne du monde». C'est là qu'on peut voir «qui monte et qui descend», qu'on peut apprendre «les derniers trucs qui marchent»... quand il y en a.
Davos, c'est là que les nouveaux coqs, ceux qui montent et qu'on donne en exemple, vont — ou allaient — se faire voir: le Mexicain Carlos Salinas de Gortari au début des années 1990 (il aurait offert l'un des banquets les plus décadents de l'histoire des sommets de Davos), l'Argentin Carlos Menem quelques années plus tard (avant la grave crise de 2001), l'Américain Kenneth Lay (patron d'Enron, venu exposer en 2000 au tout-Davos émerveillé comment il avait hissé le chiffre d'affaires de sa société à plus de 100 milliards de dollars). En 2002, la coqueluche, c'était Jean-Marie Messier, le patron français de Vivendi Universal... un an avant la catastrophe de 2003, lorsque sa compagnie enregistra les pertes les plus gigantesques de l'histoire du capitalisme français.
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Alors, aujourd'hui, qui «porte haut» à Davos? Qui est la coqueluche?
Oh, certes, rapporte un journaliste du quotidien El Pais, les Chinois, Brésiliens ou Turcs présents la semaine dernière dans les Alpes suisses avaient l'air par moments de savourer un petit goût de revanche... avec un peu de cette superbe mal avisée des donneurs de leçons d'hier — les Salinas, Menem, Lay ou Messier. Mais au total, aujourd'hui — malgré la croissance en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud —, c'est un peu tout le capitalisme qui est remis en cause.
Témoin cette passionnante série de reportages et d'analyses publiés depuis un mois par le Financial Times — le fameux quotidien rose saumon, organe central du capitalisme londonien — sous le titre «Le capitalisme en crise». Un bilan sans complaisance, des articles dont certains auraient pu être écrits... par Karl Marx lui-même.
En ce moment, la gouverne politique, même celle des plus puissants, est en crise et le journaliste précité du quotidien El Pais dit avoir surtout constaté à Davos «un mélange de résignation, de perplexité, d'expectative et de confusion». Car au-delà de l'arrogance des quelques vedettes du jour, la situation impose l'humilité à tous.
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Principale victime expiatoire de cette crise: l'Europe. L'Europe comme communauté de destin, l'Europe et son union politique en panne, l'Europe et sa monnaie (la zone euro, 17 des 27 pays membres de l'UE). L'Europe qui connaît un répit depuis environ deux mois, grâce à la Banque centrale européenne qui — sans le dire et de façon détournée — a fait en décembre ce que tout le monde souhaitait qu'elle fasse: mettre en circulation des centaines de milliards d'euros supplémentaires, pour éviter l'atrophie du crédit et du système financier.
Il faudra bien davantage qu'un tel expédient — aussi nécessaire soit-il à court terme — pour tirer d'affaire le Vieux Continent, qui semble aujourd'hui condamné, au mieux, à gérer la décroissance et un appauvrissement relatif, au pire... Au pire?
Paroles, recueillies à Davos, de Donald Tsang, président du gouvernement autonome de Hong Kong: «Je n'ai jamais été aussi effrayé qu'aujourd'hui de ce qui se passe dans la zone euro. Faites quelque chose! Faites-le rapidement! Oui, je le sais, il n'y a pas d'argent... eh bien, trouvez-en!»
Au-delà de la mise en circulation de liquidités par les banques centrales, un point de vue qui semble de plus en plus repris — dans les couloirs de Davos comme dans les pages du Financial Times —, c'est que la politique d'austérité intransigeante et immédiate, soutenue à fond par des États comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne, appliquée de façon uniforme et dogmatique, est vouée à l'échec et tue la reprise.
Alors? Alors, «trouvez de l'argent» et faites de la relance! Si elle veut vraiment éviter le naufrage de l'Europe, la chancelière Angela Merkel devra bientôt revoir ses dogmes et accepter l'idée des «euro-obligations», avec les coûts politiques que cela entraînera pour elle.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants.

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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