La majorité de La République en marche lors des législatives n’est pas légitime, parce que le parti représente une fraction de la population très minoritaire, explique l'essayiste Eric Verhaeghe, à propos de la crise institutionnelle française.
RT France : Comment expliquez-vous le taux d’abstention de ces législative qui est inédit depuis 1993 ?
Eric Verhaeghe (E. V.) : Il y a un phénomène classique qui est la présidentialisation du régime, et notamment le fait qu’on organise des élections législatives systématiquement après la présidentielle et tous les cinq ans. Cela donne aux Français le sentiment que finalement les élections législatives sont des élections de simple confirmation de ce qui a déjà été dit. Cette année, ce qui explique la baisse historique du taux de participation, c’est évidemment l’absence d’adhésion à la personnalité d’Emmanuel Macron. Beaucoup de Français considèrent qu’Emmanuel Macron est un mal nécessaire, majoritairement il ne remporte pas une adhésion de cœur, je dirais d’adhésion sentimentale dans l’opinion publique. Donc les Français qui n’avaient pas envie de manifester un soutien à Emmanuel Macron, mais qui n’avaient pas à côté de lui une offre politique satisfaisante, ont préféré ne pas se déplacer et ne pas voter.
Il est très probable que l’opposition sous le mandat d’Emmanuel Macron soit incarnée par très peu de personnes, très peu de grandes figures
RT France : Se dirige-t-on vers la majorité absolue dans le parlement du parti d’Emmanuel Macron ?
E. V. : On le sent très clairement, avec plus de 400 sièges sur 577. Dans énormément de circonscriptions, il y a des personnalités connues qui ont été éliminées par des gens qui sont inconnus de leurs électeurs. Mais globalement, le parti d’Emmanuel Macron tiendra sans doute la majorité des sièges, c’est énorme, et cela laissera peu de places à l’opposition.
RT France : Comment expliquez-vous la défaite des deux partis majeurs, étant donnée que le PS est à 9%, et les Républicains ont 20%. Y aura-t-il une vraie opposition au Parlement ?
E. V. : Je pense qu’il y aura quelques ténors qui incarneront l’opposition Il est très probable que l’opposition sous le mandat d’Emmanuel Macron soit incarnée par très peu de personnes, très peu de grandes figures. Il faut voir si Jean-Luc Mélenchon sera élu, on ne le sait pas encore, on ne sait pas non plus si Marine Le Pen sera élue, a priori ils ont tous deux une bonne chance de se qualifier au second tour. Il faudra voir quelles seront les autres figures de l’opposition qui se dégageront, et ce seront ces grandes voix-là qui incarneront l’opposition, au moins temporairement, à Emmanuel Macron. Les Républicains, eux, n’auront probablement pas de grande figure à opposer qui soit à la fois charismatique et symbolique d’un mouvement collectif.
Les Français ont fait le choix de voter massivement pour des gens inconnus
RT France : Qu’est-ce qui, à votre avis, est le plus important dans les résultats de cette élection ?
E. V. : Pour moi, c’est la crise profonde du régime que nous vivons et qui n’a pas été réglée par Emmanuel Macron. J’étais de ceux qui pensaient que s’il était élu, il aurait du mal à rassembler une majorité. On s’aperçoit qu’en réalité les Français ont fait le choix de voter massivement pour des gens inconnus. Je pense qu'énormément de gens ne connaissent même pas le nom du candidat pour lequel ils ont voté. Ils ont voté pour une étiquette et ils n'en savent pas plus. C’est une crise du régime, parce que cela signifie qu’en réalité les candidats La République en marche représenteront moins de 25% d’opinions. Aujourd’hui, La République en marche va probablement recueillir 7 millions de voix à peu près et constituer une majorité écrasante... alors que c'est un score avec lequel l’UMP a perdu les élections en 2012. Les institutions françaises donnent des majorités à des partis qui sont extrêmement minoritaires dans l’opinion, avec une abstention de plus de 50%. Faire, comme c’est le cas pour La République en marche, 30% des voix - peut-être un peu moins d’ailleurs -, cela représente 15% du corps électoral. Et ça c'est une crise de régime. On n’en verra toutefois pas les effets tout de suite. Formellement, le processus démocratique a fonctionné et on a dégagé une majorité qui est légale pour prendre des décisions, pour légiférer. Simplement, cette majorité n’est pas légitime parce qu’elle représente une fraction d’opinion extrêmement minoritaire.
In fine, c’est l’administration qui va prendre le pouvoir et diriger.
RT France : Lorsque le Parlement fonctionnera, le parti d’Emmanuel Macron, qui est composé des gens de droite et de gauche, sera-t-il capable de gouverner correctement, du fait que ses membres ont des convictions différentes ?
E. V. : On parle beaucoup d’un risque de fronde, de dissidence... Je n’y crois pas. Je pense qu’en réalité, la France ouvre un épisode autoritaire. Nous serons face à ce qu’on appelle une «chambre godillot», avec des députés qui feront ce qu'on leur dira de faire. Elus sous l’étiquette La République en marche, ils ne devront pas leur élection à leur propre légitimité, mais à leur appartenance au parti. Ils n’auront donc aucune marge de manœuvre pour discuter des instructions qui vont être données par le pouvoir, par le président de la République. Je ne suis pas de ceux qui croient qu’il y aura beaucoup de couacs dans la majorité. Je pense qu’Emmanuel Macron va faire régner l’ordre, donner des instructions de vote et les députés suivront. In fine, c’est l’administration qui va prendre le pouvoir et diriger.
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