Essais québécois

Le tigre communautaire est-il dégriffé ?

Livres-revues-arts 2011


La pratique de l'action communautaire autonome
_ Origine, continuité, reconnaissance et ruptures
_ Henri Lamoureux
_ Presses de l'Université du Québec
_ Québec, 2010, 118 pages
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«D'abord considérés comme un refuge d'agitateurs excités, d'anarchistes et de marxisants, écrit l'éthicien Henri Lamoureux, les groupes communautaires sont passés graduellement au stade de laboratoires de politiques sociales, pour finalement être identifiés comme partenaires des réseaux publics et privés dans la plupart des sphères de l'activité humaine.» Ces groupes, engagés dans des domaines aussi divers que les garderies, l'hébergement pour femmes battues, les maisons de jeunes, le soutien aux personnes malades ou handicapées, la défense des prestataires de l'aide sociale, des consommateurs, des toxicomanes ou des itinérants, étaient animés par un fort désir de changement social qui bousculait l'État. Aujourd'hui, ils entretiennent avec ce dernier des rapports nettement plus pragmatiques. Faut-il voir là une saine évolution?
Spécialiste de l'action communautaire, éthicien, militant de la gauche indépendantiste et romancier, Henri Lamoureux s'attaque à cette question dans La Pratique de l'action communautaire autonome. «Cet essai, annonce-t-il, vise à présenter l'évolution de ces groupes, tant sur le plan organisationnel qu'en termes éthiques et politiques.» Lamoureux souhaite que son ouvrage soit reçu comme «un acte de solidarité» avec ses compagnons de route, «malgré le choix d'une approche résolument critique».
Des origines chrétiennes
Les origines de l'action communautaire remontent à la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, mais le mouvement prend principalement forme autour de 1960, avec l'élection du gouvernement libéral de Jean Lesage. Les militants de l'action catholique, appuyés par des clercs et des religieuses progressistes, se joignent alors aux militants de la gauche laïque pour opérer le passage «d'une éthique passive de la charité et de la compassion à une éthique active de la solidarité», sur fond de montée d'un nationalisme de libération.
Se développe alors, dans les quartiers populaires des villes, une action communautaire qui organise des loisirs et lutte pour l'accès à des soins de santé, à des services sociaux, au logement, à une alimentation saine et pour la protection des consommateurs. «Au nom du devoir de mémoire, écrit Lamoureux, j'affirme donc que ce soutien clérical a influencé de façon très importante la mise en oeuvre des pratiques d'action communautaire et, de façon plus générale, l'entreprise d'émancipation populaire qui s'est développée à partir du milieu du XXe siècle.»
À cette phase de modernisation et de radicalisation des pratiques de pastorale en milieu populaire succédera un axe syndical-communautaire, dans le cadre de la stratégie du deuxième front proposée par la CSN et la FTQ. Les militants des groupes communautaires apparaissent alors, aux yeux de plusieurs, comme des «révolutionnaires bien décidés à casser le système», ce qu'ils sont dans certains cas. Lamoureux, en effet, évoque l'existence d'organisations politiques radicales qui utilisent «les organismes populaires comme des relais pour la lutte des classes». Il critique «cette dérive psychopolitique et sado-maso», mais insiste pour mentionner que la plupart de ces militants voulaient vraiment se vouer au bien commun et que nombre d'entre eux ont poursuivi un engagement social plus sain par la suite, notamment dans le mouvement féministe, un des fleurons du militantisme des années subséquentes.
L'État a d'ailleurs fini par comprendre que les groupes d'action communautaire pouvaient lui être utiles. Il met alors en place, dans les années 1970, des programmes de création d'emplois dans ces domaines. On assiste, dans la foulée, à une certaine professionnalisation de la pratique de l'action communautaire, désormais intégrée aux politiques gouvernementales.
Entre la reconnaissance et la récupération
La troisième phase du développement des milieux communautaires est marquée par une recherche de stabilité, qui ne va pas sans soulever quelques problèmes. Les experts y prennent de plus en plus de place, le réseau emploie 50 000 personnes et gère un budget d'un milliard de dollars. Toutefois, demande Lamoureux, «le mouvement communautaire est-il toujours un mouvement citoyen d'intérêt public ou en voie de devenir une composante du réseau public»? N'y a-t-il pas un danger, comme le formule en 2004 le Regroupement intersectoriel des organisations communautaires de Montréal, que ces groupes ne deviennent «que des producteurs de services à moindre coût qui doivent aider le réseau de la santé et des services sociaux à accomplir sa mission»?
La lutte pour le changement social aurait-elle fait place à la seule gestion des problèmes sociaux, satisfaisant ainsi un gouvernement néolibéral qui profite de cette main-d'oeuvre bon marché pour exercer «une pression à la baisse sur les conditions de travail des personnels syndiqués de l'État» et qui donne aux groupes communautaires «un rôle d'encadrement du mécontentement des citoyens qui favorise une gestion chorégraphiée de la grogne populaire, laquelle s'exprimera de manière plus prévisible et moins menaçante pour une paix sociale essentielle à la bonne marche des affaires»?
Les milieux communautaires, explique Lamoureux, remplissent quatre fonctions principales: offrir des services de première ligne, réaliser des activités éducatives visant à renforcer l'autonomie des personnes, offrir un lieu de regroupement à des individus vivant des problèmes semblables afin qu'ils puissent agir ensemble et mener des activités politiques visant à faire connaître des revendications particulières dans une perspective de bien commun.
Aujourd'hui, ces groupes continuent à bien remplir leur première fonction, mais peinent souvent à mettre en oeuvre le reste de leur programme, autant pour des raisons structurelles que parce qu'ils ont oublié, parfois, le sens fondamental de leur mission. «Bref, constate Lamoureux, la plupart des mouvements sociaux ne font plus peur aux exploiteurs et aux oppresseurs. Dégriffé, le tigre ronronne, attendant que les gardiens du zoo lui jettent sa pitance.»
Les raisons de la colère, pourtant, n'ont pas disparu. Il importe donc, conclut Lamoureux, que les militants de l'action communautaire renouent avec l'élan initial du mouvement pour ne pas devenir de simples «gestionnaires de la misère humaine».
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louisco@sympatico.ca


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