Le terreau infertile

Vingt ans après la mort de l'accord du lac Meech, aucun n'a le courage de préparer le terrain pour obtenir l'adhésion de la deuxième province du pays à la Constitution.

MEECH - 20 ans plus tard...



Il y a ceux qui attendent le fruit mûr tombant miraculeusement du ciel. Il y a les autres qui rêvent, sans lever le petit doigt, du terreau fertile où planter l'arbre fruitier. Et il y a finalement ceux qui se retroussent les manches, labourent la terre, l'engraissent pour la rendre fertile et s'assurent ainsi de récolter le soi-disant fruit mûr.
Malheureusement pour le Québec, aucun leader politique n'appartient actuellement à cette dernière catégorie. Vingt ans après la mort de l'accord du lac Meech, aucun n'a le courage de préparer le terrain pour obtenir l'adhésion de la deuxième province du pays à la Constitution. On fera sans, semblent-ils se dire, parce qu'on ne veut pas «gaspiller» une once d'intérêt politique à faire comprendre et valoir ce que serait une vraie reconnaissance du Québec comme nation.
On ne parle pas ici d'une motion parlementaire, mais d'une inscription dans la Constitution avec ce que cela veut dire au moment de les interpréter, elle et la Charte canadienne des droits et libertés. (Cela aurait peut-être changé la donne dans le jugement sur les écoles passerelles, mais on ne le saura jamais.)
Cette approche à courte vue du leadership politique fait en sorte qu'on remet toujours à plus tard plusieurs contentieux constitutionnels et qu'on laisse, du même coup, s'élargir le fossé d'incompréhension qui a alimenté la résistance à l'accord du lac Meech.
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L'émergence d'une identité canadienne fondée sur la Charte et le multiculturalisme a joué un rôle important dans le rejet de la notion de société distincte, la véritable pomme de discorde à l'époque. Cette vision d'une nation canadienne unique, composée d'individus armés de droits, de communautés culturelles variées et de provinces égales n'a pas perdu de terrain depuis 20 ans. Au contraire, elle s'est encore plus enracinée, entraînant avec elle l'oblitération de la notion de peuples fondateurs.
Le visage du Canada change à la vitesse grand V avec l'arrivée chaque année de presque un quart de millions de nouveaux immigrants et réfugiés. À la décharge des conservateurs fédéraux, le nouveau guide de la citoyenneté a réintégré cette notion de peuples fondateurs que les libéraux avaient effacée. Et il était temps, car comment un immigrant peut-il comprendre la raison d'être de deux langues officielles, ou encore les demandes traditionnelles du Québec s'il n'en connaît pas les racines historiques?
Mais les immigrants ne sont pas en cause ici. L'existence de deux peuples fondateurs est surtout contestée de l'intérieur. Par les autochtones d'abord, et cela se comprend. Ils devraient être inclus dans ce concept, et c'est ce qu'ils exigent. Dans le reste du pays par contre, les raisons du rejet sont plus complexes, allant de ceux qui jugent que la conquête a réglé la question à ceux qui ne connaissent pas leur histoire, qui sont incapables de voir le Canada comme un pays plurinational ou encore qui estiment que le nouveau visage du pays exige d'oublier le passé.
Tout cela joue un peu plus chaque jour contre la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme société distincte ou encore comme nation. Par conséquent, plus nos leaders politiques attendent le fruit mûr, plus ils risquent de le voir pourrir sous leurs yeux.
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Le Québec n'est pas le seul à souffrir de cette impasse. Les autochtones ont subi leur propre échec au lendemain du rapatriement de 1982. Quatre conférences devaient définir leur droit à l'autonomie gouvernementale. À la quatrième, qui avait lieu un mois avant la toute première rencontre du lac Meech, Québec ne s'est pas présenté. Aucun accord n'était possible de toute façon, mais plusieurs autochtones ont gardé l'impression que l'entente québécoise était née des cendres de leurs propres conférences.
Alors, 20 ans plus tard, leurs revendications, comme celles du Québec et même celles de l'Ouest, languissent et s'enlisent. Les conservateurs se vantent d'avoir fait adopter une motion sur le sujet à la Chambre des communes, mais cette dernière n'a pas plus de poids que celle, adoptée en 1989, exigeant la disparition de la pauvreté infantile pour l'an 2000.
Stephen Harper tente de réformer le Sénat à coups de projets de loi ayant de bonnes chances d'être déclarés inconstitutionnels. Il ne convoquerait jamais une conférence des premiers ministres pour en parler. Trop compliqué, mais aussi trop explosif politiquement. De toute façon, M. Harper ne cherche pas à s'allier ses homologues pour s'attaquer aux grands défis de l'heure, quels qu'ils soient, y compris celui des changements climatiques.
À Québec, pendant ce temps, Jean Charest attend, comme Newton, que le fruit mûr lui tombe sur la tête.
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En 1987, 11 hommes ont accepté de mettre de l'eau dans leur vin, de voir au-delà de leurs stricts intérêts particuliers et ont signé une entente minimale, mais prometteuse. La mesquinerie a eu gain de cause par la suite, mais on oublie que la grandeur de la politique se trouve dans cet amalgame de détermination et de compromis pour faire passer le bien commun avant tout le reste.
Aujourd'hui, dans ce pays, personne n'ose faire ne serait-ce que le premier pas. On en est réduit à la politique de la petitesse, qui laisse pourrir les problèmes. Aux générations futures de ramasser les pots cassés. Un autre héritage de cet échec.


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