Essais québécois

Le Québec, la souveraineté, le monde

Géopolitique — le Québec dans le monde


Le Québec et la nouvelle donne internationale
_ Pierre Dubuc
_ Renouveau québécois
_ Montréal, 2011, 152 pages
Lionel Groulx et le réseau indépendantiste des années 1930
_ Mathieu Noël
_ VLB
_ Montréal, 2011, 144 pages


Directeur et rédacteur en chef du mensuel L'aut'journal, Pierre Dubuc analyse l'actualité avec le regard d'un indépendantiste de gauche. Selon lui, au Québec, les questions nationale et sociale sont indissociables. La question nationale, explique-t-il, n'est pas seulement une question constitutionnelle ou une simple lutte de pouvoir entre les bourgeoisies canadienne et québécoise; «c'est d'abord et avant tout la lutte d'un peuple contre son assujettissement économique, politique et culturel».
Le parti Québec solidaire (QS), en gros, ne dit pas autre chose. Or, Dubuc refuse d'y adhérer parce qu'il considère que cette formation, au fond, continue de faire passer le social avant le national, comme en témoignent ses positions mitigées en matière de défense du français (oui au français langue de travail, mais non à l'application de la loi 101 au collégial) et ses accointances avec le NPD. Plus encore, Dubuc croit à la nécessité d'un grand parti populaire pour réaliser la souveraineté, d'où son adhésion au Parti québécois (PQ), qu'il tente cependant de tirer vers la gauche avec le SPQ libre. À QS, donc, pour le moment, le social prime sur le national, alors qu'au PQ, c'est l'équation inverse qui prévaut. Remarquons, au passage, pour donner raison à Dubuc, que les questions nationale et sociale, dans la situation actuelle, n'évoluent pas dans un sens favorable aux indépendantistes de gauche.
Une perspective large
Dans Le Québec et la nouvelle donne internationale, un recueil d'articles parus, pour la plupart, dans les pages de L'aut'journal, Dubuc inscrit sa réflexion dans un contexte plus large. «Nous avons souvent l'impression, écrit-il, que le Québec se retrouve à l'écart des grands courants politiques internationaux et nous oublions trop facilement que notre destin a été façonné par la vie internationale.»
Sur le plan historique, l'affaire est évidente. En 1763, le Québec subit les contrecoups de la Guerre de Sept ans, qui oppose principalement la France à l'Angleterre. En 1774, l'imminence de la Révolution américaine force la Grande-Bretagne assimilatrice à jeter du lest avec l'Acte de Québec. Plus tard, cette même révolution inspire les patriotes. Au XXe siècle, les mouvements de décolonisation et celui des droits civiques des Noirs américains deviennent à leur tour des sources d'inspiration pour les Québécois progressistes. On constate donc, avec Dubuc, que «le Québec a toujours été au confluent des grands mouvements sociaux et politiques qui agitaient la planète». La remarque s'applique aussi à notre droite nationale, teintée par le fascisme européen ou le maccarthysme américain.
Aujourd'hui, alors que le Canada conservateur se redéfinit sans le Québec en tablant sur les sables bitumineux de l'Alberta, en se rapprochant de la Chine (qui investit dans les précédents) et en devenant le valet militaire des États-Unis, le mouvement indépendantiste doit déterminer sa «propre stratégie de positionnement mondial».
Des liens avec l'étranger
Dubuc, par exemple, estime que la militarisation de l'Arctique à laquelle se livre actuellement le gouvernement canadien vise moins à contrer des menaces étrangères (Russie, Danemark, États-Unis) sur la souveraineté de ce territoire qu'à prévenir les velléités indépendantistes des Inuits du Nunavut et du Nunavik.
En 2021, en effet, les Inuits du Groenland obtiendront probablement leur indépendance complète du Danemark. Leurs frères des territoires canadiens seront alors tentés de les rejoindre, suggère Dubuc dans un exercice de prospective. Les États-Unis, qui contestent la souveraineté canadienne sur les eaux de l'Arctique, pourraient appuyer les Inuits. Que feront, alors, les indépendantistes québécois, surtout si le Plan Nord bat son plein? «Est-ce qu'ils feront cause commune avec le gouvernement fédéral pour s'y opposer et défendre l'unité canadienne, demande Dubuc, ou bien feront-ils alliance avec les Inuits contre le fédéral, liant leur combat pour la souveraineté du Québec à celui des Inuits, dans le cadre de ce qui pourrait être une souveraineté-association?»
Dans un autre texte qui montre que le Québec entretient des liens avec la scène internationale, Dubuc illustre que la droite québécoise (Legault, Dumont, ADQ, Journal de Montréal) s'inspire actuellement de l'exemple du Wisconsin, un État américain qui, au nom du réalisme budgétaire, mène une attaque frontale contre les syndicats de la fonction publique. Les indépendantistes, dont le mouvement syndical constitue la principale base organisationnelle, ne peuvent laisser faire, sous peine d'être rayés de la carte. «Que l'offensive contre le mouvement syndical soit coordonnée avec une attaque contre le mouvement indépendantiste, comme on le voit avec l'initiative de François Legault, et que les deux soient soutenus par les mêmes organes de presse, n'est pas un hasard. Il faudrait que les membres et les dirigeants de deux mouvements, syndical et national, en prennent conscience et tirent les leçons qui s'imposent.»
Le grand mérite de cet ouvrage, dont le propos est hasardeux par moments, est de rappeler aux indépendantistes et aux autres que la question nationale n'est pas qu'une chicane provinciale, mais s'inscrit dans le grand jeu international.
Les indépendantistes des années 1930
Avant de s'inspirer des mouvements internationaux de gauche, les indépendantistes ont donc flirté avec des idéologies étrangères de droite. Le jeune historien Mathieu Noël le démontre dans Lionel Groulx et le réseau indépendantiste des années 1930. Il se penche principalement sur trois groupes qui ont mis l'idée d'indépendance au coeur du débat québécois dans cette période agitée. Admirateurs de Lionel Groulx, un nationaliste autonomiste qui refuse de provoquer la rupture avec le Canada tout en la souhaitant, les jeunes intellectuels de ces mouvements n'ont pas la retenue de leur chef spirituel.
Les Jeune-Canada, menés par André Laurendeau, «acceptent le parlementarisme et la démocratie», mais ne sont pas à l'abri des dérapages antisémites et antiimmigrants. Les collaborateurs du journal La Nation, dirigé par Paul Bouchard, et les membres des Jeunesses patriotes, dont Dostaler O'Leary est la figure dominante, s'opposent au fédéralisme d'inspiration nazie d'Adrien Arcand, mais c'est pour mieux prôner un Québec indépendant et fasciste, de type mussolinien.
«Les indépendantistes n'ont pas réussi à travailler ensemble à un objectif commun, conclut Mathieu Noël pour expliquer la chute du réseau. Trop souvent, ils se sont divisés en clans et ont préféré lutter entre eux.» Il y a donc des choses qui ne changent pas.


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