Le prix du courage : la Bar Mitzvah de Goldstone et le livre de Finkelstein

Livres - revues - 2010

Ramzy Baroud - Finkelstein produit une recherche détaillée et sans fautes qui met en lumière la propagande répugnante qui a précédé et qui a suivi le massacre de Gaza, écrit Ramzy Baroud.

Dans son rapport sur Gaza, publié à la fin de l’année dernière, l’éminent juriste sud-africain, Richard Goldstone, a accusé Israël et le Hamas d’avoir commis des crimes de guerre. Son rapport montre bien qu’Israël est une puissance occupante détenant un arsenal extrêmement sophistiqué (à preuve le nombre de victimes palestiniennes) tandis que le Hamas est une faction assiégée, occupée, en situation d’autodéfense. Bien que Goldstone ait dû se rendre compte du genre d’hystérie que son rapport provoquerait, il n’a pas permis que son affiliation idéologique ou ethnique s’interposent dans ses convictions morales.

Malgré une certaine appréhension initiale - étant donné que Goldstone se déclare sioniste et qu’il a des liens avec Israël - beaucoup de partisans de la justice et de la paix ont été rassurés par le passé de cet homme. Il a été juge à la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud et procureur de la Cour pénale internationale pour l’ancienne Yougoslavie et le Rwanda.

En avril 2009, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (UNHRC) a chargé Goldstone d’une mission d’enquête sur les crimes de guerre commis par Israël lors de la guerre dévastatrice menée contre Gaza du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009. Goldstone a insisté pour que son mandat inclue également les violations qui auraient été commises par les Palestiniens. Il a finalement été invité à rédiger son propre mandat, preuve de la confiance que lui faisait l’UNHRC.

Le rapport a été publié en septembre 2009 et contient des recommandations parmi les plus vigoureuses, sobres et claires jamais faites par une mission des Nations unies depuis qu’Israël a commencé sa campagne permanente de massacres et de violations de la souveraineté territoriale et de la dignité humaine du peuple palestinien et de ses voisins arabes.

C’est la nature des recommandations du rapport qui a choqué Israël et ses partisans. Il y est demandé instamment à la communauté internationale « d’entreprendre une enquête criminelle dans les tribunaux nationaux.... devant lesquels ceux qui auraient perpétré (les crimes de guerre) devraient être traduits et poursuivis conformément aux normes de justice internationalement reconnues ». Mais qui plus est, ce qui a mis en colère les Israéliens et les sionistes est le fait que Goldstone est censé être « l’un d’eux ». Il n’est pas facile de le tourner en dérision parce qu’il serait « un juif animé de la haine de soi », ni de l’ accuser d’antisémitisme, accusation bateau à l’encontre de quiconque ose critiquer la conduite criminelle d’Israël.

Je m’intéresse personnellement à Goldstone pour trois raisons. D’abord, Gaza est toujours dans la douloureuse situation que le juge Goldstone a si bien décrite dans son rapport. Rien n’a été fait depuis pour soulager la douleur des victimes, ni pour répondre à son appel à la justice.

Deuxièmement, il y a une « controverse » au sujet de la participation de cet homme à la cérémonie de Bar Mitzvah de son petit-fils en Afrique du Sud. Il a maintenant été forcé de négocier sa participation à cette cérémonie de passage avec un groupe de dirigeants juifs sud-africains. Le rabbin chef d’Afrique du Sud, Warren Goldstein, a accusé Goldstone d’être un menteur dont le rapport « délégitime Israël ». Le Conseil sud-africain des députés juifs a accusé Goldstone de « trahison ».

Il incombe de rappeler au rabbin Goldstein que c’est uniquement l’assassinat barbare de milliers de civils innocents qui « délégitime » Israël. Quant à la « trahison », Goldstone « trahit » effectivement toute affiliation tribale aveugle, affiliation qui semble l’emporter, pour le conseil des députés juifs, sur la cause de la justice, de l’équité, de l’égalité et de la paix inscrite dans toutes les grandes religions et philosophies du monde en dépit du judaïsme.

Ceci m’amène à la troisième raison qui m’a obligé à revenir à cette question : le dernier livre de Norman Finkelstein This Time We Went Too Far : Truth and Consequences of the Gaza Invasion. Norman Finkelstein (JPG) Finkelstein n’est pas un écrivain ordinaire. Ses lecteurs savent très bien que peu d’écrivains réunissent autant de qualités solides : recherche académique irréfutable, moralité inflexible, style lucide et refus de déshumaniser le sujet et la victime.

This Time We Went Too Far servira dans les milieux universitaires et dans celui des défenseurs des droits humains - tout comme le rapport Goldstone dans le domaine juridique - à inculper catégoriquement Israël pour la brutalité de sa conduite à Gaza. En outre, ce livre fera honte à jamais à ceux qui ont permis que leurs titres, l’argent, le prestige et, à nouveau, une affiliation tribale aveugle les rendent incapables de voir les actes inhumains indicibles qui ont été perpétrés et qui continuent de l’être à Gaza et dans le reste de la Palestine. Il est à regretter que cette cruauté continue à sévir, tout comme les diatribes émanant des défenseurs d’Israël. Finkelstein n’est pas épargné par les attaques ignobles des amis inconditionnels d’Israël, et Goldstone finira aussi probablement par s’y habituer.

Finkelstein place son livre dans les contextes historiques appropriés : événements ayant conduit à la guerre israélienne contre le Liban durant l’été de 2006, événements qui se sont produits pendant et après cette guerre qui a tué et blessé des milliers de victimes et détruit une grande partie de l’infrastructure civile. Les similarités sont trop évidentes, mais Finkelstein les rend beaucoup plus claires en évaluant avec patience les deux événements. En outre, il revient à la guerre et à l’invasion du Liban par Israël en 1982, dont il révèle en grande partie le comportement bizarre, mais prévisible.

Finkelstein produit une recherche détaillée et sans fautes qui met en lumière la propagande répugnante qui a précédé et qui a suivi le massacre de Gaza. Bien qu’il fasse allusion plusieurs fois au début du livre à la mission Goldstone et à son rapport , il consacre la plus grande partie de l’épilogue audit rapport et à ses nombreuses conséquences. Ses révélations et son analyse sont encourageantes en ce qu’elles suggèrent qu’en fait les choses changent.
Israël, État voyou de par des normes raisonnables, ne retrouvera jamais son ancien statut fictif de phare du progrès et de la démocratie. Aucune quantité de mensonges, d’intimidations ou de chantages, ne pourra faire passer les crimes de guerre d’Israël pour de l’auto défense, ni salir ceux qui le critiquent en les accusant d’antisémitisme. Le livre présente des arguments très convaincants à l’appui de cette assertion.

« Les temps changent » a écrit Finkelstein. C’est vrai et ce succès des plus impressionnants a été possible grâce à des gens comme Jimmy Carter, John Mearsheimer, Stephen Walt, Richard Goldstone, Richard Falk, John Dugard, et Finkelstein lui-même ainsi que les innombrables écrivains, journalistes et blogueurs qui ont travaillé sans relâche pour documenter la vérité.

Mais c’est aussi le courage des Palestiniens de Gaza et d’ailleurs qui nous a permis de prendre de telles positions. Nos efforts sont bien modestes comparés à leur courage, leur résilience et leurs sacrifices.

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est chroniqueur syndiqué international, et rédacteur en chef de PalestineChronicle.com. Son dernier livre est : Mon père était un combattant de la liberté : l’histoire indicible de Gaza (Pluto Press, Londres), actuellement disponible sur Amazon.com

6 mai 2010 - Transmis par l’auteur

Traduction : Anne-Marie Goossens


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